J’avais commencé par ressortir de vieux vêtements. Ceux qu’on fout sous son lit. Une paire d’Adidas sale et usée, avec ses trois bandes, blanches. C’est important, ça, le “white”, qu’on m’avait dit. D’ailleurs, on ne le dit pas dans certains milieux d’extrême droite, on le scande, on le fait suivre d’un “!”. C’est un slogan. En haut, un polo cintré, avec sa couronne de laurier, noire, flanquée au niveau du coeur. Ça, c’est à défaut d’avoir mon talisman fasciste à moi, la petite croix celtique. L’oublier, c’est presque commettre une faute de goût dans les codes de ce milieu-là, me fera remarquer un skinhead. Un type pas tout jeune mais plutôt sympa, bière à la main, bière logée un peu partout au niveau de son bassin. Et m’apostrophant en tapotant la sienne, de croix, comme d’autres caressent leur patte de lapin. Reste la veste. Foncée, de préférence. Pour ne pas dénoter. Pour rester dans l’esprit “brun” de la droite extrême. J’en chope une avec deux poches latérales cousues dans la diagonale, façon porte-flingues. Col rabattu et tartan rouge. Je me regarde, j’ai le look. C’est parti.
Ça déconne sec dans la voiture. Il y a Sophie*, il y a Jean et puis moi, journaliste infiltré. On part tous de la région Centre, pas loin de chez “notre pucelle nationale”. Un bon petit convoi de patriotes en ce samedi 14 novembre. On roule vers Rungis, dans le Val-de-Marne, “un département de bougnes !” (bougnoules) hurle Edouard, bras tendu. Tout le monde éclate de rire en frappant des mains.
C’est là que se tient le congrès européen du Gud. Le deuxième du nom. Gud pour Groupe Union Défense, syndicat d’extrême droite nationaliste révolutionnaire, célèbre pour ses actions violentes et un temps interdit. Au programme, une ribambelle de groupes de l’ultra droite européenne. En Guest Star ? Aube Dorée, la sulfureuse bande néonazie grecque. A part ça, des groupes d’Italie, d’Espagne, de Chypre, de Belgique, de Russie, d’Afrique du Sud, et avec, son cortège de militants.
Jean, 21 ans, les phalanges déjà abîmées
Forcément, tout le monde est impatient. Surtout Jean. Il a envie d’en découdre. Ce genre de rassemblements, c’est aussi l’occasion de se faire “des petites sorties avec les camarades”. Traduction : des ratonnades. Jean, c’est le plus excité de la bande. Il est tout jeune, 21 ans, une licence de droit en poche, mais les phalanges déjà abîmées, quelques bagues au doigt et des marques de la tête aux pieds. Bien sapé. Tellement que les nanas sont impressionnées, qu’il raconte. Le mois dernier, il a failli se faire la nana “d’un enculé de nègre”. “Elle kiffait mon style, un peu viril”. C’est vrai qu’il a une bonne tête, avec ses cheveux courts. Surtout sur les côtés. Un peu de longueur sur le dessus, pas trop sinon c’est “socialo”. Après tout, rigole Jean :
On peut être nazi, mais un nazi stylé.”
Et c’est parti pour une séance de saluts hitlériens sur fond de musique punk glorifiant le Maréchal Pétain.
Entre blancs
On arrive vers 12 heures. Déjà une centaine de personnes présentes. Des jeunes, des vieux, des femmes et des gamins. Beaucoup de tatoués, surtout des crânes rasés, tous ou presque habillés de sombre. J’aime pas les clichés mais là, il y a une belle photo à faire. Ça fume des clopes, ça boit des bières et mange des saucisses “100% porc”.
Ça discute attentats de la veille mais pas trop.
C’est la guerre là, il faut prendre les armes. On a la chance d’être entre blancs donc parlons-en …”, propose un ancien qui n’a pas le temps de conclure.
Tout le monde se retourne. Stupéfaction. Voilà qu’arrive Logan Dijan, leader du Gud. Un grand gaillard, costaud et sans cheveux, un tatouage qui ressemble fort au blason de la division SS Charlemagne sur le bras gauche. Il donne quelques consignes, un peu tendu. Dit qu’il ne veut pas en voir certains traîner ici. On comprend qu’il y a de la bisbille en interne. Tu m’étonnes, début octobre, il a cogné l’ancien leader du Gud à son domicile. Une castagne qui l’a envoyé éphémèrement derrière les barreaux, mais qui lui interdit surtout de prendre part aux affaires franciliennes. Logan Dijan n’a pas le droit d’être là. Et il ne restera pas.
Tour d’Europe
15 heures, le congrès va commencer. On passe un portique, une petite fouille :
Pas de poing américain, pas de couteau ?”
Et on file 20 euros à un gars un peu stressé. Tout ça paraît bien officiel. Il y a même des agents de sécurité-incendie, des vrais, en pull rouge et pantalon bleu, tout sourire et décontractés. Le petit monde se dirige vers la salle de conférence, plafond haut et noir. Il y a 350 chaises et c’est plein. On en rajoute même tout au fond.
Elam ouvre la première partie consacrée à l’actualité européenne. Elam, c’est un parti chypriote grec se vantant d’être “l’Aube Dorée” de Chypre. Il faut “reconquérir les territoires”, lance-t-il, et “retrouver la liberté avec les mains et le sang”. Dans leur cas, expulser les turcs de l’île. Les gens hochent la tête, ça plaît, applaudissements nourris dans une ambiance quasi militaire.
Au tour de Casapound de s’exprimer, parti fasciste italien, et de son leader, Gianluca Iannone, un géant à la longue barbe poivre et sel façon cascade de ruisseaux. Lui aussi dira de l’immigration que c’est un “venin”. Idem pour Aube Dorée juste après, qui rendra même hommage à ses militants emprisonnés. Rien, pour les victimes de l’attentat qui a frappé Paris la veille. Rien, à part qu’ils l’avaient “prévu”, tous.
Surtout Hervé Van Laethem, qui intervient en deuxième partie, un homme aux petites lunettes rondes qui discourt pas trop mal, plus une allure de prof ou de politicien que de boxeur. C’est le fondateur de Nation, un mouvement identitaire belge prônant la rémigration. Il fait l’éloge de l’armée syrienne…bon, celle de Bachar Al-Assad, “avant-garde de l’Europe et premier rempart contre le Djihadisme”. Et jure que “l’Europe vaincra”.
Oui, mais comment ? Au tour du Gud d’apporter un fragment de réponse dans son “plaidoyer pour une jeunesse rebelle”. “Les peuples blancs de la planète doivent s’unir (…) car nous ne sommes pas tous égaux”, avance le jeune porte-parole, biceps gonflés comme des voiles en pleine mer. Autre solution, occuper le terrain du “social”.
Des thèmes chers au Mouvement d’action sociale (MAS), qui intervient en dernière partie, et dont le leader est Arnaud de Robert, un grand type aux cheveux noirs coquettement plaqués vers l’arrière. C’est le genre de groupuscule nationaliste à préférer distribuer des repas et collecter des vêtements que se “bastonner dans un pub… même si ça fait toujours du bien”. Enfin, “parfois” seulement. Un peu comme Hogar Social, organisation espagnole connue pour les livres et les conférences qu’elle donne aux “vrais nationaux démunis”. Mais aussi réputée pour occuper les centres de réfugiés, se battre avec les antifas ou “enseigner la boxe”. Et elle a un joli slogan en guise de conclusion : “il faut remplacer les larmes par les armes”.
Fans de la Wehrmacht et de Jean-Marie Le Pen
En parlant d’arme, Jean veut me montrer quelque chose. Ça tombe bien, c’est la fin. Il file vers sa voiture, ouvre sa boîte à gants et brandit façon trophée une matraque télescopique “toute neuve”.
Je comprends alors que ce n’est pas en tendant l’oreille aux discours policés des conférenciers qu’on se cultive, mais en captant les murmures extérieurs. Près du stand de livres, là où ça vend du Robert Brasillach sans trompettes. A l’écart, là où des skins écoutent un chant de la Wehrmacht sous un ciel vidé d’étoiles. Dehors, où on adule Jean-Marie Le Pen au terme d’une journée sans soleil. Là près des toilettes, où sa fille “Marine est une pute” et le FNJ “une bande de bourgeois sans consistance”. Dans la salle des concerts, où une jeune femme fluette arbore un t-shirt “88” (pour “Heil Hitler”). Là enfin où des bras se lèvent comme des grues, formant un essaim de saluts nazis bourdonnant au rythme des basses. En fait, lorsqu’il est devenu temps, pour moi, de lever le camp avant de devoir lever le bras.
Pierre René
(Les prénoms ont été modifiés)
Le Nouvel Observateur
Novembre 2015 : C’est la seconde édition du congrès européen du Gud, Famine de KPN Peste Noire et Misanthropic Division s’y affiche ostensiblement devant l’objectif pour la photo-souvenir.