REVUE DE PRESSE : 666≠88 Rassemblements Rac'NSbm clandestins. Figures NSBM völkisch. Stratégie métapolitique fasciste à posture apolitique de façade. Musée des horreurs White Power
LA GRANDE HISTOIRE. Avant, les skinheads étaient gentils. Ils écoutaient du ska. Les Blancs, les Noirs et les Maghrébins étaient les bienvenus dans leurs bandes. Mais ça, c’était avant… Skinhead, épisode 1.
🔴 Rendez-vous samedi prochain à 10h pour l’épisode 2.
Avec William Deligny Figure skinhead RAC membre historique de Evil Skins.
LA GRANDE HISTOIRE. Au début des années 80, les “naziskins” prennent le pouvoir sur le mouvement. C’est le début des ratonnades… Leur ultra-violence s’abat sur les immigrés croisés au hasard de leurs descentes. Skinhead, épisode 2. 🔴 Rendez-vous samedi prochain à 10h pour le 3e et dernier épisode.
Les hooligans sèment le chaos – Skinhead, épisode 3
Alors qu’à Boulogne-Billancourt, les skinheads provoquent le chaos dans les tribunes du Parc des Princes, dans les rues de Paris, les Ducky Boys pourchassent ces militants de la suprématie blanche. Skinhead, épisode 3.
🔴 Rendez-vous samedi prochain à 10h pour le 4e épisode.
Bilan : bière baston foot … OK c’est pas une introduction vers un vrai reportage documentaire. Merci pour la carte postale folklorique vintage mais on attend la suite ! Il y a tellement de choses à dire sur l’actualité des skinheads vintage : Blood and Honour, Combat 18, le PNFE, la famille Beaussart, le bordeaux Vintimille, la profanation de Carpentras, la profanation de Toulon, Charlemagne Hammerskins, Sébastien Deyzieux, C9M, GUD, les skinheads du Havre, Bunker 84, Legion 88, Lemovice, Wolfsangel, Unité Radicale, Front des Patriotes, Le Local, les Gabber-Skins de Picardie, JNR, Troisième Voie, l’affaire Clément Méric, l’affaire Claude Hermant, l’affaire des noyés de la Deule, Bench and Cigars, Pride France, le MMA, les salons de tatouage, les concerts RAC, … etc.
Zioclo vidéoréac : Commentaires particulièrement confus, imprécis, non-contextualisés
surtout l’intervenant en début d’émission qui élude les faits en évoquant encore plus de folklore d’autant qu’il semble particulièrement capable, renseigné et connaisseur, il pourrait mettre en lumière, mais non, il participe à maintenir totalement la confusion.
rediff
Zioclo vidéoréac : Commentaires particulièrement confus, imprécis, non-contextualisés mais merci d’avoir coupé l’intervention du type connaisseur qui occulte tout dans la première version diffusée
Serge Ayoub, skin d’influence – podcast 2018
2020 – Evils Skins témoigne de la violence skinhead
Un collectif s’est rassemblé samedi 29 avril 2023 en mémoire d’Imad Bouhoud et James Dindoyal, tués par des néonazis dans les années 1990. Une sœur du premier était présente.
À l’appel, national, de la Marche des solidarités et d’Uni.e.s contre l’immigration jetable, quelque soixante-dix personnes sont rassemblées sur le parvis de la chambre de commerce et d’industrie du Havre, samedi 29 avril 2023, à 15 h. La manifestation « contre les lois et les crimes fascistes et racistes » a dans le viseur le projet de loi sur l’immigration du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Mais aussi l’opération de lutte contre l’immigration clandestine menée par l’État à Mayotte.
C’est surtout un vibrant hommage à deux personnes victimes de crimes racistes qui marque ce rendez-vous au bord du bassin Vauban.
À l’appel, national, de la Marche des solidarités et d’Uni.e.s contre l’immigration jetable, quelque soixante-dix personnes sont rassemblées sur le parvis de la chambre de commerce et d’industrie du Havre, samedi 29 avril 2023, à 15 h. La manifestation « contre les lois et les crimes fascistes et racistes » a dans le viseur le projet de loi sur l’immigration du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Mais aussi l’opération de lutte contre l’immigration clandestine menée par l’État à Mayotte.
C’est surtout un vibrant hommage à deux personnes victimes de crimes racistes qui marque ce rendez-vous au bord du bassin Vauban.
« Cet assassinat a marqué Le Havre »
C’est dans ces eaux que le corps du Havrais Imad Bouhoud, Français d’origine tunisienne âgé de 19 ans, avait été découvert, le 7 mai 1995. Deux hommes appartenant à la mouvance skinhead avaient été condamnés pour y avoir jeté le jeune habitant du quartier du Bois-de-Bléville, après l’avoir frappé. « Cet assassinat a marqué Le Havre. Je n’ai jamais oublié », explique Roselyne Mabille, militante de l’union syndicale Solidaires et de l’Ahseti (Association havraise de solidarité et d’échanges avec tous les immigrés).
Les couleurs du NPA, de la CGT, de LH Antifa sont aussi arborées. Le collectif représenté ici est le même que celui qui animera sur l’esplanade Nelson-Mandela une contre-manifestation en opposition à la Fête de la Nation du Rassemblement national, au Havre, lundi 1er mai 2023. « Cet hommage a été décidé lors de nos discussions autour du 1er mai et de la venue du RN », raconte Roselyne Mabille.
La sœur d’Imad Bouhoud : « Ils ont tué toute une famille »
Le collectif a pu retrouver des membres de la famille d’Imad Bouhoud. Dont sa sœur Sarah, présente sur le parvis avec son mari Lounes et d’autres proches. « Je n’avais que 6 ans. Aujourd’hui la douleur est encore plus forte. Ils ont tué toute une famille. Mais je tenais à venir », dit la jeune femme. « Tout son entourage a été traumatisé par cette affaire », ajoute son époux.
Tout près d’eux, en bordure du quai, vient d’être posée une plaque en la mémoire de son frère, mais aussi de celle de James Dindoyal, dont l’entourage n’a pu être invité. Ce Mauricien était mort le 3 juillet 1990 à l’âge de 24 ans suite à un empoisonnement à la soude caustique. Là encore, deux membres de la sphère néonazie avaient été condamnés.
« D’autres plaques avaient été placées par le passé autour du bassin pour Imad. Puis cassées. Celle-ci n’est pas sur le lieu exact du drame. Mais il y a ici beaucoup de passage. Jamais nous ne devrons oublier », souligne Roselyne Mabille. « James, Imad, on n’oublie pas ! On pardonne pas ! » entonne le groupe.
Bientôt, une partie des militants s’en va pour improviser un regroupement devant le Carré des Docks. Où la salle de meeting du RN est en préparation. « Le Pen, casse-toi ! Bardella, casse-toi ! » crient-ils.
Le meurtre de Brahim Bouaraam, un ressortissant marocain mort noyé dans la Seine, après y avoir été jeté pour des motifs racistes et homophobes par des militants d’extrême droite, le 1er mai 1995 à Paris, a sans doute été, par sa résonance politique et médiatique, le point culminant d’une longue série de faits divers, souvent meurtriers, qui ont jalonnés les années 1980-90 et qui ont été attribués à la catégorie, au demeurant floue dans sa définition, des « skinheads », recouvrant un large spectre d’opinions politiques allant de l’extrême droite néo-nazie à l’antifascisme radical représenté entre autres par les « Redskins ». La culture skinhead a été décrite avec raison par Michel Wieviorka, reprenant le sociologue britannique Mike Brake, comme « une sous-culture ouvrière, profondément marquée par une éthique puritaine du travail » et par l’opposition au mouvement hippie[1]. Cette partie du mouvement skinhead qui s’est arrimée politiquement à l’extrême droite française des années 1980-1990 peut toutefois être cernée avec davantage de précision. Pour cela, il importe de dégager les étapes de l’importation en France des phénomènes skinheads anglo-saxons, et ce qu’ils recouvrent alors en termes de radicalité et de violence. Une fois effectuée cette caractérisation des skinheads, il s’agit de dégager les aspects de militance politique pris par ce qui était un phénomène socio-culturel, venu s’enchâsser dans les formations des extrêmes droites.
Caractérisation du phénomène skinhead
Avant que d’être une affiliation idéologique, le fait skinhead doit être vu comme un phénomène subculturel transnational, à l’origine urbain, où la question de la violence participe de la norme comportementale.Le skinhead se revendique d’une culture de la violence mais aussi de la transgression. Il se distingue de la norme par ses codes vestimentaires (crâne rasé ou cheveux coupés ras, port du bomber et des chaussures montantes à lacets connues sous le nom générique de Doc Martens). Ceci étant, ces codes ne sont pas déterminés par l’idéologie mais sont étroitement liés aux origines sociales de la sous-culture qu’ils représentent, née dans la Grande-Bretagne ouvrière des années 1960 et unissant, à l’origine, de jeunes prolétaires blancs appartenant au phénomène des Mods à de jeunes Afro-antillais de même milieu, passionnés de musique ska et reggae[2]. C’est à la fin des années 1970 qu’avec la crise économique qui frappe l’Angleterre industrielle d’une part, et l’émergence d’un parti politique, le National front, fugacement sorti de la marginalité, que s’entérine la séparation définitive, au sein du mouvement skinhead, sur une base ethnique et politique, mais également musicale : la scène skinhead d’extrême droite se structure autour de l’archétype du Militant blanc[3], mais surtout du Rebelle blanc, adolescent ou jeune homme (ou, minoritairement, femme) qui revendique sa couleur de peau et son origine ethnique contre l’émergence des minorités visibles, endosse un racisme et un antisémitisme extrêmes dont l’action violente est une composante essentielle, et abandonne définitivement les musiques « non-européennes » pour deux styles propres : la Oi, un dérivé du punk rock[4] et le RAC ( « Rock against Communism »), qui est un dérivé politisé du précédent dans lequel les paroles glorifient non pas seulement la lutte anticommuniste mais surtout le « nettoyage ethnique » des villes britanniques, et la violence physique en général[5]. Pour autant, l’extrême droite n’a jamais eu une emprise totale sur le mouvement communément appelé skinhead, ni en France, ni ailleurs : le mouvement S.H.A.R.P. (Skinheads Against Racial Prejudice) notamment, rassemble des skinheads de même extraction ouvrière mais proches de l’extrême gauche ou des milieux libertaires. Ils sont souvent actifs dans les villes mêmes où sont leurs rivaux qu’ils surnomment, pour s’en démarquer, boneheads (crânes d’os). Ils sont restés musicalement ouverts aux styles des origines puis au punk. La division idéologique du mouvement skinhead donne lieu, dès les années 1980, à l’émergence de « bandes » rivales qui se disputent la maîtrise des territoires urbains par la violence[6].
De même que l’arrivée en France du phénomène skinhead d’extrême droite était une importation d’un phénomène britannique, et même anglais, la radicalisation idéologique de la scène française dans les années 1990 fut le résultat du transfert en Europe d’idées, de méthodes d’action et d’effets de mode venus des États-Unis. La première apparition publique importante des skinheads américains, lors d’un meeting du 7 octobre 1989 fédérant à peu près toutes les tendances de l’extrême droite autour d’une commémoration de la Confédération sudiste[7], avait montré la convergence, au moins partielle, des skinheads « White Power », des nostalgiques de la ségrégation raciale et de la nébuleuse connue sous le nom d’Identity Churches, sortes de dénominations religieuses sectaires professant l’idée de la suprématie de la race blanche voulue par la volonté divine et les Écritures, relues à la lumière de l’anglo-israélisme (pour lequel les Anglo-saxons sont les descendants des tribus perdues d’Israël) et de l’idée d’un christianisme débarrassé de toutes ses racines juives. Loin de n’être qu’une sous-culture marginale de la jeunesse, cette nébuleuse s’était organisée sous un modèle, la « résistance sans chef », qui prônait la lutte armée contre l’État fédéral, jugé illégitime et appelé ZOG, ou Zionist Occupation Government (gouvernement d’occupation sioniste).
Dès 1983-1984, de petites cellules étaient passées à l’action terroriste contre des agents fédéraux et des adversaires politiques. Elles étaient connues sous le nom de The Order, disposaient de leur manuel de passage à l’action pour déclencher une guerre raciale (le livre de William Luther Pierce, alias Andrew Macdonald, The Turner Diaries, publié en 1978) et d’une forme de mantra, les 14 Mots, formulés par le suprémaciste David Lane pour lequel « We must secure the existence of our people and a future for white children » (« Nous devons préserver l’existence de notre peuple et un avenir pour les enfants blancs »). Cet ensemble de concepts, mis en action, font qu’au milieu de la décennie 1990, les autorités fédérales et les associations du type watchdog, luttant contre le racisme (Anti-Defamation League ; Southern Poverty Law Center) estiment que les 3 500 skinheads recensés ont commis 22 meurtres depuis 1990. C’est précisément ce qui séduit des skinheads français.
En juin 1993, parait le premier numéro du bimensuel Terreur d’élite, « voix indépendante et radicale des nationaux-socialistes francophones ». En couverture de ce fanzine d’une qualité d’impression inhabituelle, cette phrase : « Juifs : lire cette publication vous transformera en abat-jour, en savonnettes ou en engrais. » Le ton de l’antisémitisme délirant est donné. Il est habituel chez les Hammer Skins, réseau skinhead américain dont l’emblème est le marteau de Thor et dont la branche française, éditrice du bulletin, se nomme Charlemagne Hammer Skins. Très hostile au Front national (le FN serait « le dernier bastion de la juiverie française »), proche du parti nazi transnational NSDAP/AO[8], elle est animée par Hervé Guttuso, un jeune Marseillais dont la précédente publication s’intitulait Neuvième Croisade. Ancien membre de Troisième Voie, puis de la section Prinz Eugen (du nom d’une division SS) du Parti Nationaliste Français et Européen (PNFE), Guttuso s’est formé au contact de l’American Front et des Chicago White Vikings lors d’un séjour outre-Atlantique. Il y a rencontré les animateurs de la revue Résistance, fanzine devenu un magazine en quadrichromie doublé d’une maison de disques, Resistance Records, dont l’audience est devenue mondiale (le numéro 1 du journal, en 1994, est tiré à 12 000 exemplaires). Idéologiquement, les Hammerskins américains défendent l’idée selon laquelle la résistance armée au pouvoir fédéral est légitime puisque, loin d’être l’émanation du peuple, le gouvernement serait aux mains des juifs qui assureraient leur mainmise sur le pouvoir politique, économique et médiatique, dans l’objectif d’éliminer la race blanche en promouvant le métissage généralisé. Dès lors, toute forme de résistance armée est juste et nécessaire, y compris le terrorisme[9], par des modes d’action souvent inspirés des Turner Diaries, traduits en français tardivement (1999) par Henri de Fersan, avec des illustrations de Chard, caricaturiste à Rivarol[10]. D’où ce surnom de ZOG (Zionist Occupation Government), qu’elle donne au gouvernement des États-Unis.
Cette théorie conspirationniste, qui se réfère souvent aux Protocoles des sages de Sion, débouche sur la conviction que le seul espoir de survie pour la race blanche réside dans la création de communautés aryennes vivant en autarcie dans des régions reculées (aux États-Unis, dans les montagnes Rocheuses et les Appalaches). À partir d’elles s’organisera la riposte violente au pouvoir en place, qu’un livre décrit en détail : les Turner diaries (1978), de William Pierce, leader du groupe américain National Alliance, sorte de bible des suprémacistes blancs. L’intention terroriste apparaît clairement dans Terreurd’élite : « Les cibles principales du révolutionnaire aryen doivent être en première priorité des cibles économiques, énergétiques, puis en dernier lieu des cibles humaines. Le paroxysme de la jouissance étant bien sûr de cumuler les trois facteurs à grande échelle » (n° 5, printemps 1995). La nouveauté dans le rapport à la violence est ici qu’elle est revendiquée dans sa dimension terroriste, comme dans la couverture du magazine skinhead nazi anglais The order (n° 10) qui montre un militant en train de manipuler des détonateurs. En France, le magazine de Guttuso suit le même chemin et celui qui lui succède, 14 Mots, indique clairement « nous devons tuer »[11].
Un nouveau bulletin confidentiel, Das Schwartze Korps (n° 2, 1995), franchit un pas supplémentaire en écrivant : « Nous, Blancs purs, ne reconnaissons aucun droit aux non-Blancs de quelque sorte qu’ils soient. Si, peut-être un seul, celui de crier dans la chambre à gaz quand on jettera le Zyklon B! ». Cette référence explicite au génocide nazi montre que les skinheads, tout en reprenant quelquefois les textes des historiens négationnistes sur la Shoah, ont plutôt tendance à en assumer et même à en valoriser l’existence. La montée en puissance de la tendance terroriste du mouvement skinhead néo-nazi sera toutefois arrêtée nette dès 1993 par la très forte volonté politique du ministre de l’Intérieur Charles Pasqua et de son conseiller pour la lutte contre le racisme, Patrick Gaubert, suivi par ses successeurs : début 1998 Guttuso est arrêté à Londres, où il séjournait depuis 1996 chez les frères Sargent, animateurs de Combat 18, mouvement considéré par la police britannique comme responsable de meurtres racistes et ayant des intentions terroristes. En définitive, un juge d’instruction toulonnais fera écrouer neuf personnes mises en examen pour « incitation à la haine raciale et menaces de mort », notamment contre Anne Sinclair, Jean-François Kahn, Simone Veil et Patrick Gaubert[12]. Les Charlemagne Hammer Skins survivront à cette répression et perdurent jusqu’à ce jour[13], mais avec un fonctionnement plus discret, comme leur concurrent direct les Blood and Honour Hexagone[14] avec leur revue Signal 28, tous deux ayant pour activité visible essentielle l’organisation de concerts ou de tournois de MMA (mixed martial arts). La propension à la violence demeure : le 30 mars 2016, principalement en région marseillaise, onze skinheads néo-nazis ont été mis en examen après la découverte à leur domicile d’un stock d’armes.
Cette appétence pour la violence relève des actions des skinheads mais également de leur vision du monde, voire de leur caractérisation psycho-sociale.Dans son ouvrage sur les motivations de l’adhésion au Front national (FN)[15], Birgitta Orfali reprend la distinction faite par Michael Billig, dans son ouvrage sur les militants du National front britannique[16], entre le militant autoritaire et « l’homme de violence ». Ce dernier, mû par le ressentiment, « est ainsi dénommé car c’est la notion de lutte, de combat qui retient toute son attention. L’opposition violente à tout adversaire (individu ou groupe) le caractérise. L’antagonisme, le conflit sont les lieux par excellence qui définissent ce type ». Elle ajoute que ces hommes « vivent à l’heure de la psychologie des foules grâce au FN »[17]. Stéphane François a bien montré que ce type d’individu correspondait profondément au profil des militants des mouvements qui, aujourd’hui encore, appartiennent à la frange la plus radicale de l’extrême droite, celle qui refuse l’aggiornamento du FN et se manifeste par une activité particulièrement élevée dans la région des Hauts-de France, parfois sur le mode de ce que le même auteur appelle le « skinhead rural » [18].
Au-delà de la typologie sociologique et psychologique, le concept d’homme de violence s’est traduit, dans les décennies 1980 et 1990, par toute une série d’actions dont se sont saisies, non seulement les organisations antiracistes (Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme ; Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples ; SOS-Racisme ; Ligue des Droits de l’Homme), mais aussi la presse locale et nationale, qui a ainsi donné une visibilité importante au phénomène skinhead néo-nazi. À bon escient d’ailleurs : en effet, la glorification continue de la violence physique, telle qu’elle figurait dans les publications skinhead de l’époque, accompagnée par l’affirmation de la supériorité ethnique blanche et un antisémitisme obsessionnel, avait de grandes chances d’aboutir à un passage à l’acte. L’accroissement des agressions imputables aux skinheads était déjà sérieux dans les années 1987-90 : en 1988, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) leur imputait 20 actions violentes sur 64 actes racistes répertoriés ; l’année suivante 16 sur 53. Il s’ensuivit une répression policière avec 70 arrestations en 1987.
Il n’est pas possible de dresser ici une chronologie exhaustive des homicides commis par des skinheads néo-nazis sur la période. Pour ne citer que ceux au plus fort retentissement, on rappellera le meurtre, à Lille, d’un clochard par un proche du mouvement Troisième Voie (TV), en 1988[19]. En 1990 au Havre, une dizaine de militants locaux et parisiens du groupe Blood and Honour tue un jeune Mauricien, obligé par eux d’avaler de la soude caustique avant d’être jeté à l’eau. Les faits ne sont élucidés qu’en 1998 et les deux principaux mis en cause, Régis Kerhuel[20] et Joël Giraud, sont également des membres des Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires (JNR). Puis, en 1995, David Beaune, 25 ans, est accusé du meurtre d’Imad Bouhoud, mort noyé, dans un bassin du port du Havre. Il est jugé par la cour d’assises de Rouen. Pour lui, le FN se trompe en voulant forcer les immigrés à quitter la France : il souhaitait construire pour eux des «camps de concentration et des chambres à gaz en Normandie ». « Maintenez-vous toujours cela aujourd’hui ? » lui demande le président lors de l’audience. Il maintient[21].
L’affaire est intéressante à un autre titre, celui de la persistance des comportements violents de l’auteur des faits, même après sa sortie du milieu skin : Beaune est de nouveau condamné en 2013 à un mois ferme pour menaces avec arme[22], sans circonstance aggravante de racisme. Ce qui n’est pas le cas pour Marc Grubica, ancien responsable du fanzine nordiste Tempête et Tonnerre, appréhendé en 2010 pour des dégradations commises contre la façade de la mosquée Salman-Al-Farissi, à Tourcoing et qui, à 43 ans, a déjà sept condamnations à son casier – dont une pour meurtre lors de sa période skinhead[23]. Enfin, le 7 janvier 1998, à Mortefontaine-en-Thelle (Oise, autre département de prédilection de la scène skinhead), Antoine Bonnefis, 18 ans, tue son beau-frère et un de ses amis africains. Il écope de 14 ans de prison sans que le mobile raciste soit retenu et les parties civiles sont déboutées.
Ce panorama serait incomplet sans citer deux événements. Le premier est la profanation d’un cadavre dans le cimetière juif de Carpentras (Vaucluse), en mars 1990. Imputé à l’influence culturelle du FN, cet acte, qui devint un événement de mobilisation fondamental dans la stratégie de mobilisation politique et associative contre le Front national, fut élucidé seulement en 1996, alors que l’un des auteurs, Jean-Claude Gos, skinhead de Denain (Nord) et membre du PNFE, était déjà décédé. Le second est exceptionnel parce qu’il est entièrement provoqué par la commande d’un média télévisuel peu scrupuleux (et disparu) qui, comme bien d’autres à l’époque, traite le phénomène skinhead sous l’angle du sensationnalisme : le 22 avril 1990 pour les besoins d’un reportage, une équipe de journalistes incite des membres des JNR, dont Joël Giraud, à agresser un Africain, Karim Diallo, sous les caméras des journalistes. Les mis en cause seront condamnés à 8 mois de prison avec sursis en janvier 1994 pour cette agression.
Certains de ces actes violents ont notablement influencé l’image de l’ensemble de la mouvance. Ce qui est devenu « l’affaire Bouarram » a connu un retentissement exceptionnel parce que les faits se sont déroulés en marge du cortège de Jeanne d’Arc organisé chaque premier mai par le Front national, dont le service de sécurité a d’ailleurs collaboré avec la police dans l’identification des agresseurs. Ils sont également emblématiques de trois dimensions du phénomène de la violence skinhead en France autour desquelles peut s’organiser la réflexion sur cette mouvance dans une période qui constitue son apogée.
La première est la dialectique de l’autonomie et du militantisme politique au sein du FN ou de groupuscules activistes plus radicaux : violents, ouvertement racistes, antisémites et même néo-nazis, réputés incontrôlables et hostiles à toute forme d’organisation sociale autre que celui de la « bande », les skinheads veulent-ils, peuvent-ils s’agglomérer durablement à une organisation hiérarchisée, voire à un parti impliqué dans le jeu électoral ? Seconde question : quelle est l’ampleur du phénomène, à la fois en termes de nombre de personnes concernées, d’influence politique sur le reste de l’extrême droite et de niveau de violence, symbolique ou physique ? Enfin, la catégorie « skinheads » a-t-elle un contenu clair ? N’est-ce pas en partie une construction, notamment médiatique, qui inclut à la fois des individus se revendiquant tels et d’autres qui y ont été rattachés pour des raisons liées à leur « look » (tout « crâne rasé » n’est pas un skinhead) ou à leurs idées – des skinheads ont milité aux Faisceaux nationalistes européens (FNE) ou au PNFE, mais ceux-ci n’étaient pas uniquement ni même prioritairement des mouvements skinheads ?
Deux éléments de réponse peuvent être avancés. Le premier est que les skinheads ont vite été repérés par les fondateurs du PNFE et dans une moindre mesure des FNE, comme le seul canal leur permettant d’étoffer de maigres effectifs et de dépasser la fonction de mouvements nationaux-socialistes orthodoxes, voire de cultes néo-nazis. Le second est que l’époque où ils apparaissent est plus largement celle où les medias découvrent le phénomène des « bandes urbaines » (skins mais aussi « zoulous » ou punks d’extrême gauche) et lui donnent une couverture qui n’est que bénéfice pour les groupes d’extrême droite. La police elle-même prend conscience du phénomène que les Renseignements généraux globalisent sous l’appellation « Violences urbaines ». Ils créent en 1991 une section spécialisée intitulée « Villes et banlieues ». Volens, nolens le phénomène skinhead s’est en tous cas polarisé à l’extrême droite, posant par là-même la question de sa possible structuration par les mouvements organisés de cet espace politique.
La mouvance skinhead et les organisations françaises d’extrême droite
Le mouvement skinhead politisé à l’extrême droite apparaît d’abord vers 1983-1984 et se signale lors de la fête de Jeanne d’Arc 1985 par la présence d’un groupe qui s’appelle « Les Amis de Barbie ». Il s’étend vraiment à partir de 1987, lorsque l’organisation Troisième Voie (TV), alors dirigée par Jean-Gilles Malliarakis[24], se rapproche des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR) menées par Serge Ayoub. Avec le PNFE, ces deux groupes sont ceux qui ont voulu et réussi à recruter en milieu skinhead avec le plus de constance et de succès. Cependant, ils ont des précurseurs, figures individuelles qui ont généralement connu les skinheads politisés à l’extrême droite lors de séjours à l’étranger, en particulier en Grande-Bretagne, qui en deviendront des figures et qui prouvent que la culture skinhead est un article d’importation comme beaucoup de modes qui façonnent les sous-cultures de la jeunesse européenne. Les antifascistes radicaux publiant la revue REFLEXes, puis le site internet éponyme[25], et qui ont suivi avec une précision certaine la trajectoire des skinheads de la droite radicale, datent de 1983-84 l’apparition à Marseille de skinheads ayant séjourné en Grande-Bretagne et à la même période, celle à Tours d’un fanzine intitulé Bras tendu, édité par Olivier Devalez alias « Tod », une des figures historiques de la scène, mis au contact du British Movement lors d’un séjour à Londres. La même source affirme que Serge Ayoub (né en 1964), aurait adopté le « look » skinhead au retour d’un voyage outre-Manche. Enfin, une autre personnalité importante de la scène skinhead des premières années est un Britannique installé en France, Bruce Thompson, qui suivra Ayoub aux JNR et restera actif jusqu’en 1995 au moins[26].
La question est de savoir comment, et pourquoi, le développement des skinheads d’extrême droite en France, à cette époque précise, croise la route d’organisations politiques du même milieu et aboutit à ce que celles-ci cherchent à attirer des individus connus pour leur propension à la violence et dont le credo consiste à rejeter tout type de hiérarchie autre que le charisme naturel du chef de bande, généralement reconnu pour ses « faits d’armes », sans parler du fait que les skinheads, dont Thompson semble être le vétéran, étant trentenaire dans les années pionnières, ne souhaitent pas se donner de leader n’appartenant pas à leur génération.
C’est là qu’intervient la dialectique de l’autonomie et de la récupération. En 1983-1984, l’arrivée de la gauche au pouvoir trouve un Front national qui attire toujours des militants très radicaux, mais l’entreprise de marginalisation de ceux-ci, commencée par Jean-Pierre Stirbois, aboutit à la création de groupuscules qui se disputent le maigre espace existant à la droite d’un FN déjà jugé embourgeoisé. En 1989, Bruce Thompson déclare ainsi au fanzine Le rebelle blanc : « Le Pen est trop vieux, trop mou, trop riche »[27]. Les quelques mouvements qui existent à l’époque en dehors du FN ont un rapport de suspicion vis-à-vis de la violence politique. L’Œuvre française, de Pierre Sidos, est un groupe dont le chef a connu l’épuration puis la répression de l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS), il tient au respect de la légalité et dirige en outre son organisation, étroitement nationaliste française, d’une manière hyper-centralisée, tout en normant étroitement les comportements des militants (costume tenant de l’uniforme, défilés en rangs, chant du mouvement…) : les jeunes aux cheveux ras qui y militent ressemblent aux skinheads, mais n’en sont que très exceptionnellement. Le Parti Nationaliste Français (PNF), scission du FN opérée fin 1982 par les animateurs du journal Militant, militent pour un nationalisme européen racialiste qui recoupe davantage le slogan du White Power, mais outre qu’il est aussi légaliste, ses animateurs d’alors sont en majorité d’anciens du Parti Populaire Français ou du Francisme [28] ayant servi dans les rangs de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme ou de la Division Charlemagne et nés dans les années 1920 : le fossé générationnel est trop important. Serge Ayoub fondera en 1990 un éphémère Comité de base jeunesse, hébergé à l’adresse du local du PNF avec lequel il partageait la « défense de l’identité française face au cosmopolitisme », l’affirmation selon laquelle « la nation est avant tout une communauté de destin et de sang », inaccessible aux non-européens, l’« opposition au système », la démocratie étant décrite comme un moyen d’asseoir la domination des « grands financiers et des grands trusts », la « lutte pour la justice sociale » et la répudiation de la lutte des classes ; la « conscience européenne contre le mondialisme ». Ce rapprochement restera toutefois sans lendemain.
L’instrumentalisation la plus réussie du phénomène skinhead par des mouvements politiques d’extrême droite est le fait de deux groupes : Troisième Voie (1985-1992, réactivé en 2010-2013) auquel il faut ajouter les Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires (JNR, 1987-2013)[29] et le PNFE[30], fondé en 1987 par un ancien militant de l’OAS et du FN, Claude Cornilleau, qui avait en 1983 réussi à se faire élire conseiller municipal de Chelles (Seine-et-Marne) sur une liste menée par un élu du Rassemblement Pour la République (RPR).
Troisième voie a été fondée en 1985 par Jean-Gilles Malliarakis sur des bases idéologiques nationalistes-révolutionnaires ou solidaristes ; il n’était pas un mouvement skinhead. Son slogan était : « Ni trusts, ni soviets » et outre un anti-sionisme affiché, il tenait à une Europe réunifiée et indépendante des blocs américain et soviétique. Le rapprochement opéré en 1986-1987 entre TV et Serge Ayoub, volontiers interviewé par les media et présenté comme la figure emblématique du milieu skin français, est une initiative de ce dernier, originaire de la classe moyenne parisienne à fort capital culturel, et déjà une figure de la scène skinhead depuis 1982 environ. Il est à la fois chef d’une bande (le Klan), qui se targue volontiers d’avoir le recrutement prolétarien, l’attitude violente et les objectifs anticapitalistes des Sections d’Assaut (SA) ; acteur du milieu hooligan politisé qui, à partir de 1984, s’installe dans la tribune Boulogne du Parc des Princes et qui s’engage dans des affrontements violents contre des personnes de couleur, des supporters des clubs adverses ou d’autres groupes de hooligans apolitiques ou antifascistes[31] ; et entrepreneur ouvrant en 1986 une boutique de vêtements brassant une clientèle de skinheads, hooligans et amateurs de marques anglaises que se sont appropriés comme dress-code une partie des jeunes d’extrême droite.
Le noyautage des supporters parisiens a débuté en septembre 1989 avec la création du groupe Pitbull Kop par Serge Ayoub. Leur prise en main par les JNR est allée de pair avec l’établissement de liens internationaux avec d’autres supporters d’extrême droite, comme ceux du « 0 Side » d’Anderlecht (Belgique) ou les Brigadas Blanquazules de Barcelone. Vers l984-1985, divers sous-groupes se sont constitués, tous influencés par les thèmes racistes et comprenant des skinheads, mais possédant chacun leur mode d’habillement et leur forme préférée d’affrontement : les « casual », hooligans qui n’arborent plus l’allure skinhead et sont donc moins repérables de prime abord, se sont développés sous le nom de « Commando pirates », tandis que les Fire Birds, une cinquantaine d’individus formant la fraction la plus violente au Parc des Princes, ont choisi une stratégie d’affrontement contre la police et les supporters adverses.
Les JNR, dont Ayoub reste la figure tutélaire avec une longévité exceptionnelle ne se terminent qu’avec la dissolution de 2013 et la fermeture administrative de son quartier général parisien, Le Local. C’est une sorte de garde prétorienne composée d’éléments généralement issus des classes populaires, impliquée comme on l’a vu dans des agressions racistes sordides, dans lesquelles, à l’exception de la « ratonnade » télévisée évoquée plus haut, Serge Ayoub, bien que son nom ait souvent été évoqué après les faits, n’a jamais été condamné*
Serge Ayoub connaît bien les arcanes du monde judiciaire et les histoires de bagarres qui terminent mal. Ce fils de magistrate, qui a fait ses études secondaires au très bourgeois collège Saint-Sulpice dans le VIe arrondissement, est repéré assez tôt par les services de renseignement.
Dans une fiche de juin 1993 que StreetPress s’est procurée, les RG déroulent son pedigree de skinhead violent.
- « Agression et propos racistes tenus à l’encontre d’élèves du Lycée Voltaire » (1983) ;
- interpellation pour « port d’arme blanche » et « vol avec violence » (avril 1984) ;
- « coups et blessures volontaires » (juillet 1984).
Son casier fait aujourd’hui (2018) mention de six condamnations légères.
https://www.streetpress.com/sujet/1536574128-serge-ayoub-parrain-meurtriers-meric
L’histoire des JNR comporte deux périodes : l’une court jusqu’à l’autodissolution du milieu des années 1990 et est celle de la violence débridée ; l’autre, de la reformation en 2010 jusqu’à 2013, est celle de la violence canalisée, et même de la tentative pour engager une nouvelle mouture de Troisième Voie dans davantage de visibilité publique, avec la présentation de candidats aux élections (2012), l’ouverture de locaux associatifs à Paris et à Lambersart (Nord) sous le nom à consonance régionaliste flamande de Vlaams Huis et la publication d’un journal intitulé Salut public.
Le mouvement est aussi le seul de la scène à avoir réussi à construire des ponts avec le milieu des « bikers » et l’un des rares à prendre la grande majorité de ses références idéologiques dans l’histoire de France, que ce soit chez les révolutionnaires les plus radicaux (Babeuf), les blanquistes et le syndicalisme-révolutionnaire, adoptant d’ailleurs comme emblème le faisceau des licteurs[32]le rattachant bien davantage à la Révolution française qu’au fascisme. La carrière des JNR et de Troisième Voie se terminera cependant dans la violence avec l’implication de plusieurs de leurs membres dans la mort du militant antifasciste Clément Méric, le 5 juin 2013. Une des questions essentielles qui se pose, au moment de dresser le bilan de l’activité violente des JNR, est celle de la facilité avec laquelle, des années 1980 à nos jours, les multiples groupes qu’a dirigés Serge Ayoub ou dont il a été proche, ont pu continuer à opérer en étant impliqués dans des faits très graves : en mars 2017 encore, il comparaissait devant le tribunal correctionnel d’Amiens en compagnie d’une quinzaine de membres du groupe picard White Wolves Klan (WWK), poursuivis pour des faits de violences, vols, séquestration et tentative de meurtre. Serge Ayoub a été relaxé.
Le PNFE n’a jamais disposé d’un porte-parole ayant les capacités communicationnelles de Serge Ayoub. Il a toutefois joué un rôle essentiel dans la socialisation politique des skinheads. Adepte d’un néo-nazisme orthodoxe qui s’exprime dans les colonnes de son journal, Tribune nationaliste, le PNFE décide, semble-t-il en 1988, de se lancer dans l’action violente et ce, de manière préméditée et concertée. Le 31 juillet 1988, le journal Globe est plastiqué. En novembre 1988 quatre policiers membres du parti participent au Château de Corvier (Loir-et-Cher) au congrès du PNFE. Ils y assistent à une démonstration sur la fabrication et l’utilisation d’engins explosifs et y apprennent que de tels engins ont déjà été utilisés lors de deux attentats encore inexpliqués, ceux du foyer d’immigrants du Cannet (9 mai 1988) et contre Globe (31 juillet 1988)[33]. Certains adhérents non-skinheads se rendent coupables, le 19 décembre 1989, d’un attentat contre le foyer Sonacotra de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes) qui fait un mort et onze blessés. Cette affaire déclenche une vague de répression policière qui se traduit, début 1989 par une vague d’arrestations de 24 cadres (dont le président) et militants dont quatre policiers appartenant à la Fédération Professionnelle Indépendante de la Police (FPIP), un fait qui donne au PNFE la réputation d’être au moins aussi infiltré par des indicateurs qu’il dit avoir réussi à infiltrer la police. Le 5 juin 1990, son journal est interdit. Cependant le PNFE connaît une seconde vie à partir de son cinquième congrès, tenu le 3 avril 1993 en présence de John Tyndall, le président du British National Party (BNP) comme de néo-nazis allemands, et qui consacre sa fusion avec les FNE. Ce sursaut est dû, en bonne partie, au choix stratégique de Cornilleau ainsi résumé par Alain Léauthier dans le quotidien Libération du 2 août 1996 : « Adepte du marketing et de la communication, il [Cornilleau] a su donner à ses troupes le style et le ton qui manquaient aux concurrents : tenues de parade copiées sur celle des SA (sections d’assaut nazies), chants hitlériens, congrès événement, comme en 1989 au château de Corvier. Surtout, quand le phénomène s’est développé, Cornilleau a fait la cour aux skins rétifs aux longues séances d’endoctrinement mais amateurs de musique oï (rock des skinheads, ndlr), de bière et de bastons avec les “bronzés”, c’est-à-dire avec toute personne d’apparence non-européenne. Résultat : à son apogée, vers 1990, le PNFE compte plusieurs centaines de sympathisants dans toute la France. Il adopte une structure extrêmement décentralisée. Les sections locales sont très autonomes, ont leur fanzine[34]. Le PNFE s’implante dans le Nord, l’Ouest et le Sud-Est ».
Le mouvement attire à lui, précisément en raison de cette décentralisation, les groupes musicaux de skinheads d’extrême droite les plus en vue, généralement formés sur une base strictement locale. Le plus connu est Légion 88, dans l’Essonne, qui fera du nom du mouvement le titre d’une de ses chansons[35].
L’organisation satellise aussi de nombreux fanzines et leurs animateurs ainsi que plusieurs structures à but commercial dont la plus importante est, de 1987 à 1994, le label Rebelles européens, basé à Brest. Les CDs sont aussi vendue et des concerts, organisés, par une structure militante non-lucrative et amie, l’AME ou Association Musicale Européenne, basée dans les Bouches du Rhône). Vis-à-vis des militants ou des recrues potentielles, la musique est utilisée comme moyen d’endoctrinement : la plupart des fanzines publient des interviews de groupes de musique « oi ! », qui laissent peu de doutes quant à la motivation politique des chansons. Le groupe Bifrost, dénommé d’après un terme de la mythologie nordique désignant le pont qui relie le monde des hommes à celui des dieux, déclare par exemple que ses textes « véhiculent le sentiment de révolte face au capitalisme sauvage, hybride et apatride ». Ses références doctrinales sont Georges Sorel et Proudhon, Drieu La Rochelle et Doriot, ou l’écrivain néo-nazi français René Binet. Le groupe Baygon blanc se réfère à Rudolf Hess et Hitler[36]. Action dissidente, basé dans les Yvelines, a pour slogan : « Mort à ZOG [Zionist occupation government] et à tous les parasites de notre pays. » Dans les années 1984-1985 le groupe-culte Evilskins chantait : « le Führer est de retour, on va rallumer les fours, dérouler les barbelés et préparer le Zyklon B », ce texte sans ambiguïté constituant jusqu’à aujourd’hui un « tube » de la scène skinhead. Une partie de cette violence antisémite a pu se transformer en actes sous la forme de profanations de cimetières juifs, particulièrement en Alsace et Lorraine, tandis que celles de carrés musulmans des cimetières ont été nombreuses dans le Nord-Pas-de-Calais.
Une nouvelle catégorie de profanateurs a même vu le jour en 1997, lorsqu’a été violé un caveau du cimetière de Six-Fours (Var). Les auteurs, jugés en 2004, diffusaient la revue W.O.T.A.N. (Will of the aryan nation – volonté de la nation aryenne), « bulletin mensuel de rééducation » des CHS (Charlemagne Hammer Skin – nom choisi en référence à la division SS française), édité à Londres. Un des mis en cause avait été condamné, en 1997, pour avoir exhumé un corps dans le cimetière central de Toulon lors d’une sorte de rituel gothico-satanique. Courant de longue date aux Etats-Unis, le lien entre satanisme et néo-nazisme se retrouve en 2001 dans le procès de David Oberdorf, meurtrier en 1996 d’un prêtre haut-rhinois et dont l’un des mis en cause du Var avait été l’inspirateur[37]. À Rouen, la police arrêtera en mars 1995 les animateurs d’un fanzine nazi-sataniste, Deo Occidi, précurseurs du sous-genre musical connu sous le nom de National-Socialist Black Metal (NSBM), qui avaient formé une association nommée AMSG (Ad Majorem Satanae Gloriam), valorisant l’action terroriste. Sa charte stipulait en effet : « Tout terrorisme se pratique de manière individuelle sans engager la totalité du mouvement Black Metal (…). Chacun doit s’armer de manière individuelle en vue de combattre tout opposant. Tous les moyens devront être utilisés pour se procurer un armement légal et illégal »[38].
La réussite du PNFE dans la manière d’agglomérer les skinheads a évidemment eu un coût en termes d’image et hypothéqué finalement la pérennité du mouvement. Son journal est interdit en 1990, ses réunions militantes sont interrompues par la police[39]. Une réorganisation de l’appareil, en 1990-1991, voit le PNFE diversifier ses activités vers le soutien aux prisonniers politiques néo-nazis en France et à l’étranger via le COBRA (Comité Objectif Boycott de la Répression antinationaliste) créé par Olivier Devalez dans les années 1980 et animé par Rolf Guillou, un skinhead du Havre. À cette époque, le nombre de « prisonniers de guerre » que Devalez demande aux lecteurs de soutenir dans son fanzine L’Empire invisible[40] est de 37, en majorité américains. Les Français ne sont que 4, deux militants du PNFE inculpés dans l’affaire des attentats azuréens du Cannet et de Cannes, l’ancien militant frontiste Edouard Serrière, et Michel Lajoye, figure emblématique de l’activisme racialiste qui a rejoint le parti pendant son incarcération[41]. Le PNFE se lance également dans le soutien au négationnisme du génocide des juifs par l’intermédiaire de l’ANEC (Association normande pour l’Éveil du Citoyen) basée à Caen et fondée par Vincent Reynouard, qui adhère au parti et devient, jusqu’à ce jour, une icône de la seconde génération des auteurs négationnistes. Néanmoins dès 1995, l’activité militante semble fléchir dans les départements où le journal Le Flambeau « compte pourtant un nombre d’abonnés non négligeables, tels que les Alpes-Maritimes, la Seine-Maritime, certains départements bretons ou d’Ile- de- France »[42].
Le PNFE se désintègre lentement, malgré une tentative de revitalisation qui passe par l’importation en France d’un certain nombre de thématiques américaines comme la guerre ethnique : dans son avant-dernier numéro, son journal dresse un tableau apocalyptique des violences commises dans les « quartiers sensibles » par des personnes non-blanches et conclut : « seule une répression im-pi-to-ya-ble viendra à bout de la violence. Mais d’ici-là, vu l’état d’abrutissement dans lequel le régime a plongé la masse des veaux, beaucoup de sang aura coulé. Et la reconquête sera longue et douloureuse »[43]. Toutefois dans la surenchère idéologique et la promotion du passage à l’acte dans ce qu’il faut bien appeler la guerre raciale, le PNFE est déjà débordé.
Les organisations radicales ayant quelque difficulté à gérer les bandes skinheads, il va de soi que les relations de celles-ci avec le FN ne sauraient être monolithiques. Si les cortèges annuels de la fête de Jeanne d’Arc et d’autres manifestations frontistes rendaient visible la présence en queue de cortège (ou en marge de celui-ci) d’individus au « look skinhead », il faut garder à l’esprit que le concept de « partei-skin » (skin de parti), élaboré par l’historien et politiste Patrick Moreau pour désigner le skinhead inféodé à un parti organisé dans lequel il milite[44], n’a jamais été pertinent en France. D’une part, l’individualisme, le caractère provocateur et incontrôlable des skins les rendent inaptes à s’insérer durablement dans une structure politique hiérarchisée comme celle du FN. D’autre part, contrairement à une idée reçue, si la stratégie dite de dédiabolisation ne s’est imposée vraiment qu’à partir de 2011, lorsque Marine Le Pen a supplanté son père, elle n’était pas totalement inexistante auparavant : ainsi, outre que la double appartenance était interdite dans les statuts, le parti cherchait à exercer un contrôle étroit sur l’emploi de la force et de la violence, tâche dévolue au Département Protection Sécurité (DPS), placé sous le seul contrôle du président Le Pen. Les projecteurs s’étant braqués sur celui-ci, tout au long de la décennie 1990, au point qu’en 1999 il faisait l’objet d’une enquête parlementaire préludant à une éventuelle dissolution[45], le FN se devait de contenir les skinheads, de sorte que les relations entre le parti et eux étaient depuis longtemps très conflictuelles. Ainsi, lors du défilé FN du premier mai 1993, 32 skins furent interpellés sur dénonciation d’un responsable du DPS et c’est dans la « zone grise » alors constituée autour du Front national de la jeunesse (FNJ) et des nationalistes-révolutionnaires radicaux (notamment ceux d’Unité radicale[46]) que la jonction pouvait s’opérer, davantage d’ailleurs sur le mode du jeune « rebelle blanc » proclamant son appartenance ethnique face à la société multiculturelle que du skinhead proprement dit, en prélude en somme au futur phénomène identitaire des années 2000 à nos jours que Stéphane François analyse dans le chapitre 7 du présent volume.
Idéologiquement, la mouvance skinhead trouvait le discours de Le Pen beaucoup trop modéré. Elle ne comprenait pas la tactique de normalisation par le jeu électoral exposée par Hubert Massol, élu municipal du FN (depuis 1989) et président de l’Association pour défendre la mémoire du Maréchal Pétain (ADMP), dans un fanzine skinhead finement intitulé Gestapo[47]: « Pour que les nationaux reviennent au pouvoir, ils doivent être de plus en plus présents dans le jeu démocratique qui leur permet d’exister, afin de le faire basculer en leur faveur et ensuite faire pression pour instaurer la Révolution nationale. » Subtilité que l’éditeur (Fabien Ménard, des Sables d’Olonne en Vendée, ancien militant du FNJ) de ladite publication récuse ainsi : « Comme notre présence les dérange, exprès nous serons toujours là et encore plus provocants. Notre but n’est pas de nuire au FN, mais rien ne doit nous empêcher de nous exprimer ». Cette affirmation donne la clé de l’attitude des skinheads lors des manifestations du FN : une sorte de complicité idéologique mâtinée d’une réelle aversion à fusionner de manière organisationnelle, ainsi qu’un refus de la « mise au pas » par le DPS, dans la rue. C’est Gestapo encore, orné en couverture d’un portrait d’Hitler, qui l’avoue au final : « Beaucoup critiquent le FN, mais il serait bon de s’apercevoir qu’en fait ce parti est le déclic pour notre peuple. Par la modération de son programme, il permet d’être écouté et de convaincre, apportant ainsi parmi notre grande famille des nationalistes d’innombrables sympathisants. » D’autres ont eu un avis plus tranché : dans son n°10, le fanzine Le Rebelle blanc affirme qu’il s’agit non seulement « d’un parti de corrompus » mais aussi qu’il est « infiltré par les sionistes »[48].
Conclusion
Les skinheads français ont constitué dans les décennies 1980 et 1990 un mouvement que des observateurs étrangers, ceux de l’Anti-Defamation League (ADL), estimaient entre 1000 et 1500 personnes en 1985-1986[49] et que le rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme pour 1995 évaluait encore à un millier. Ils ont formé une sous-culture de la jeunesse séduite par un mode de vie au slogan apolitique (« bière, baise et baston », ou, dans la version du fanzine One Voice : « Oï, Sex and Beer »[50]) mais que certains groupes d’extrême droite ont tenté de radicaliser politiquement, à une époque où le Front national dépassait pour le première fois la barre des 10% des voix (1984) mais où les skins séduits par les idées nationalistes, voire racistes, le considéraient déjà comme une formation « bourgeoise ». Ne voulant pas s’intégrer durablement dans un parti politique d’extrême droite, les skins nationaux-socialistes, que d’ailleurs le Front national ne souhaitait utiliser que pour des tâches électorales (collages) ou de service d’ordre, ont constitué un vivier facile pour des groupuscules glorifiant la violence raciste voire le terrorisme (PNFE) qui s’est exprimé par un niveau exceptionnellement élevé d’actes violents visant les personnes de couleur et les personnes d’origine maghrébine. La réaction des autorités politiques, l’existence d’une législation antiraciste votée dès 1972 et renforcée en 1990, ainsi que la différence entre les lois française et américaine sur la détention des armes, ont sans doute permis que le passage au terrorisme soit évité.
L’internationalisation des liens entre skinheads, en particulier en direction de l’Europe de l’Est, notamment la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie après 1990, a donné une dimension transnationale à la violence de ces milieux. Les groupes musicaux voyagent, se produisent sur tout le continent. Les deux principaux réseaux, Hammerskins et Blood and Honour, sont par essence transnationaux et les concerts qu’ils organisent, y compris en France, drainent un public souvent venu des pays voisins (par exemple en Alsace-Lorraine, d’Allemagne et de Belgique ; en Franche-Comté, d’Allemagne et de Suisse). Cette dimension transnationale de la violence, tout comme le caractère d’importation des idées, des méthodes et même de la musique et de la mode, font du phénomène skinhead un mouvement en porte-à-faux avec le nationalisme français. Il s’agit en définitive d’un phénomène d’affirmation raciale dans l’optique d’une imminente confrontation du type « guerre urbaine »[51], entre Européens blancs et « allogènes », soit cette part de l’idéologie d’extrême droite qu’un FN intégré dans le système parlementaire ne peut plus assumer et qui continue, en 2017, à être l’horizon partagé d’une partie importante de l’extrême droite, avec toutefois un nombre de violences graves et d’homicides moins élevé que dans les années 1980.
Notes
[2]Cf. George Marshall Spirit of ’69: A Skinhead Bible, Dunoon, S.T. Publishing, 1991.
[1] Michel Wieviorka, La France raciste, Paris, Seuil, 1992, ch. 10.
[3] Titre d’un fanzine publié au milieu des années 1990 dans les Bouches- du-Rhône par Mickael P., alors proche du Parti Nationaliste Français et Européen.
[4] Le terme « oi !» est une déformation, utilisée en argot anglais, de « hey you ».
[5] Cf. Timothy Scott Brown, «Subcultures, Pop Music and Politics: Skinheads and “Nazi Rock” in England and Germany », Journal of Social History, 2004, Volume 38, Number 1, p.157-173.
[6] Sur ce sujet, voir le documentaire de Marc-Aurèle Vecchione : Antifa, chasseur de skins (Résistance films, 2008) et pour une version diamétralement opposée celui produit par les proches de Serge Ayoub : Sur les pavés, (Autonomiste media, 2009).
[7] Voir Leonard Zeskind : Blood and Politics, the history of the White Nationalist Movement, Farrar, Strauss and Giroux, 2009, ch. 22.
[9] Des suprémacistes américains sont les auteurs de l’attentat contre un bâtiment fédéral d’Oklahoma City qui fit, le 19 avril 1995, 168 morts et 680 blessés.
[19] Le mouvement Troisième Voie, fondé en novembre 1985, se réclamait du nationalisme-révolutionnaire : voir la contribution de Nicolas Lebourg dans ce volume. Sa direction était composée d’anciens cadres du Parti des forces nouvelles (PFN) et du Mouvement Nationaliste-Révolutionnaire (MNR) menés par Jean-Gilles Malliarakis. Il attira toutefois, notamment à Lille, des éléments de la mouvance skinhead. C’est l’existence de ce vivier spécifique qui conduisit Serge Ayoub à créer en 1987 les JNR comme une structure destinée à regrouper les sympathisants skinheads de TV, qui disparaitra en 1991. Après cette date, les JNR sont définitivement une organisation autonome se réclamant tantôt du « solidarisme », tantôt du nationalisme-révolutionnaire », mais dont les militants sont bien issus du milieu skinhead et l’assument. Cf. Petrova Youra, « Les skinheads : solidarité de classe ou combat national », Agora débats/jeunesses, vol. 9, n°1, 1997, pp. 76-93.
[20] Kerhuel était le bassiste d’un groupe nommé Evil Skins, jusqu’en 1987. Il a affirmé lors de son procès avoir adhéré aux JNR. À l’audience Giraud a déclaré : «Aux JNR, on pouvait se permettre d’avoir une connotation raciste.» Cf. Libération, 18 octobre 2000.
[24] TV a édité un bulletin mensuel, Troisième voie information [dir. publ. Philippe Cabassud], n°1, décembre 1986.
[25] Voir : http://reflexes.samizdat.net/. Si l’information factuelle contenue dans tous les numéros (désormais numérisés) à partir de juin 1986 est donnée dans un contexte militant avoué, du point de vue de la mouvance libertaire, et qu’elle doit être prise par les chercheurs avec les précautions d’usage, puisqu’elle n’est pas toujours confirmable par des archives accessibles, elle n’en donne pas moins une trame historique fiable du mouvement.
[28] Le Francisme, fondé en 1933 par le héros de la guerre de 1914-1918, Marcel Bucard (1895-1946), a été le parti d’extrême droite le plus proche du Fascisme italien jusqu’à son tournant ultra-collaborationniste de 1943. Pierre Sidos, de l’Œuvre française, Pierre Bousquet, de Militant, en ont été membres. De même que l’adolescent Jean Mabire, selon l’ancien Franciste Antoine Graziani. Cf. Les visiteurs de l’aube, Chemise bleue, Volume, III, p. 458, Paris, Dualpha, 2009.
[29] Dissous tous deux par décret du 10 juillet 2013.
[30] Jamais dissout, le PNFE s’est mis en sommeil au printemps 1999. Le dernier numéro de son journal Le Flambeau (mai 1999), porte en couverture la photo de Bruno Mégret.
[31] Sur le hooliganisme : Nicolas Hourcade , « L’engagement politique des supporters “ ultras” français. Retour sur des idées reçues », Politix, vol. 13, n° 50, 2000, p. 107-125. Le hooliganisme constitue un objet d’étude séparé, dans la mesure où il a ses ressorts de mobilisation propres et n’a été utilisé par l’extrême droite que comme un vivier de recrutement.
[32] Symbole porté par l’escorte des magistrats de la Rome antique, ce faisceau a été repris sous une forme proche par l’Assemblée Constituante de 1790, comme allégorie du pouvoir dévolu au peuple. Le Fascisme italien l’a parfois repris sur ses monnaies.
[34] À savoir : Walkyrie (pour les militantes); Niebelungen (groupe Thor à Metz); Le Marteau (Saint-Lô, groupe Thulé), Charlemagne (section Léon Degrelle, Nord-Pas-de-Calais); Le chêne (section Jacques Doriot, Seine-et-Marne); Le Glaive (section Roger Degueldre, région parisienne); L’if de Ross (Lyon); Liberté (groupe Odal, Marseille); Sang et Honneur (groupe René Binet, région parisienne); Ultime ralliement (Seine-et-Marne); Wikings (groupe Odin, Normandie). Le nom des sections souligne le poids de la mémoire de l’engagement sur le front de l’Est (Binet, Degrelle et Doriot y furent volontaires) et du néo-paganisme nordiciste, justement activé dans l’extrême droite française à cette période (cf. Nicolas Lebourg et Jonathan Preda, « Le Front de l’Est et l’extrême droite radicale française : propagande collaborationniste, lieu de mémoire et fabrique idéologique », Olivier Dard dir., Références et thèmes des droites radicales, Bern, Peter Lang, 2015, p. 101-138 ). Degueldre était quant à lui membre de l’Organisation de l’Armée Secrète, fusillé en 1962.
[39] Cf. Le Flambeau n°15, août 1995, p. 22, qui rapporte le déroulement d’un solstice d’été à Paris, le 24 juin précédent.
[40]L’Empire invisible, n°11, janvier-février 1990, p.11. Devalez se présentait alors comme « organisateur national » du 33/5 ce qui, dans la numérologie du Ku-Klux-Klan américain, renvoie à la cinquième époque du mouvement, dont le théoricien était Robert Miles (1925-1992), partisan d’un Klan agissant dans le secret absolu, mystique dans le sens des Identity Churches.
[41] Michel Lajoye (1967) a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 18 ans pour avoir posé en 1987 une bombe dans un café du Petit-Quevilly, fréquenté par des Maghrébins. Il a été libéré en 2007 et a toujours prétendu avoir été manipulé par son complice, un démineur des services de police qui aurait été chargé de pousser l’ultra droite à commettre des attentats. Voir son livre : 20 ans, condamné à la prison à vie, Paris, Dualpha, 2002.
[44]Cf. son livre Les Héritiers du Troisième Reich, Paris, Seuil, 1994.
[45]Le DPS : service d’ordre du FN ou garde prétorienne ? Rapport n°1622 enregistré le 26 mai 1999, deux volumes, Les documents d’information de l’Assemblée nationale.
[46]Fabrice Robert, leader à partir de 1996 du groupe de rock nationaliste Fraction, cadre d’Unité radicale et élu municipal FN en 1995, avant de prendre la tête du Bloc identitaire en 2003, a rendu compte de ce qu’il appelle sa période « rebelle blanc » dans un texte intitulé « Retour sur un parcours politique personnel ». Cf : http://fr.metapedia.org/wiki/Fabrice_Robert_:_%22Retour_sur_un_parcours_politique_personnel%22.
[48] Non daté, sans doute publié en 1989-1990, ce fanzine est un des premiers à évoquer la nécessité d’importer en France « la lutte légitime des Palestiniens contre les occupants israélites ».
[49] ADL : The Skinhead International : A worldwide survey of Neo-Nazi Skinheads, 1994, p. 30.
9 Décembre ’84, Il tient la main de sa copine pour défier l’hiver La nuit part pour être belle, Mais elle se transforme vite en triste fait divers Ils se croient seuls au monde dans les ruelles, Mais à l’évidence ils ne le sont plus Deux Skinheads en manque d’embrouilles et d’adrénaline viennent leur tomber dessus Une gifle pour éloigner la fille, Les mecs le rouent de coups à deux contre un Le visage contre le bitume glacé voyant la mort arriver il se sent contraint De sortir son arme car il est tout sauf un enfant de cœur L’un des Skins meurt sur le coup et l’autre hurle encore sa douleur
Tout est allé si vite mais pourquoi ces mecs se sont retrouvés sur son chemin? La douleur physique n’est rien quand il la compare à la peur du lendemain Il s’est rendu au matin plaidant la légitime défense corporelle Il est jugé en quelques mois en prends 10 ans de réclusion criminelle Il pense souvent à eux, il rêve tout le temps à elle Il a beau regarder très loin il ne voit pas le bout du tunnel Il découvre le cauchemar, l’humiliation, les matelas crades, Les pieds enchaînés lors des transferts, et les bagarres lors des promenades, Et alors qu’il subit depuis plus d’un an le système carcéral, Une terrible nouvelle vient ajouter sa voix à la triste chorale,
…
Laurent Jacqua passe 25 ans en prison : le premier motif de son incarcération est un homicide par arme à feu lors d’une rixe contre des skinheads2en 1984, au cours de laquelle il tue d’un coup de revolver3 Olivier « Turlut » Berton, âgé de 16 ans, et atteint à la colonne vertébrale Iman Zarandifar (chanteur du groupe de oi!Evil Skins), qui restera paralysé4. En prison, il apprend que sa compagne toxicomane lui a transmis le sida5.
Après plusieurs évasions (en 1990 et 1994)6 et périodes d’isolement, il crée, rédige et illustre le blog Vue sur la prison. Dès sa sortie de prison le 12 janvier 2010, il est embauché à Act Up-Paris comme coordinateur de la commission prison et milite activement pour les prisonniers, notamment les prisonniers malades. Il organise des visites dans des établissements pénitentiaires, mène une action soutenue de plaidoyer, intervient pour faire appliquer la loi Kouchner de 2002, qui permet théoriquement de suspendre les peines des personnes incarcérées les plus malades.
Son deuxième livre J’ai mis le feu à la prison paraît en juin 2010.
En 2013 Grand Corps Malade lui dédie un morceau de son album Funambule, Le Bout du tunnel, où il raconte en slam son parcours7. En 2015, Mehdi Idir en réalise un court-métrage8.
Filmé en noir et blanc et en caméra subjective, le court métrage est interprété par Izia Higelin, Kyan Khojandi, Nicolas Duvauchelle, Richard Bohringer, et il obtient le prix de la meilleure fiction à l’Urban Film Festival de Paris4.
Grand Corps Malade « Le Bout du Tunnel »
Texte : Grand Corps Malade
Musique : Ibrahim Maalouf
Arrangements : Clément Animalsons & Ibrahim Maalouf
Le film raconte, sur une période de 19 ans (de 1994 à 2013), l’histoire de Marco (Alban Lenoir) et de ses acolytes, Braguette (Samuel Jouy), Grand-Guy (Paul Hamy) et Marvin (Olivier Chenille). Ils sont ce que l’on appelle des skinheads et passent leurs journées à cogner des noirs et des Arabes, à se battre contre des punks et des redskins, et à coller des affiches de l’extrême-droite. Mais peu à peu, au fil des années, Marco se remet en question et décide de se repentir, de devenir quelqu’un de bien et d’abandonner cette haine et ce mépris. On va alors suivre le parcours d’un homme essayant par tous les moyens d’abandonner la colère, la violence et la bêtise qui le rongent pendant qu’autour de lui, à l’inverse, la société se radicalise de plus en plus et plusieurs personnes de son entourage, notamment sa petite amie et un de ses amis, tous deux décidés à garder leurs idéaux racistes, xénophobes, islamophobes, homophobes…, ne le reconnaissent plus.
Un Français – Film de fiction inspiré de faits réels et d’individus connus.
Régis Kerhuel
bassiste du groupe Evil Skins
et militant des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR)
du militant néo-nazi Serge Ayoub dont il est le second supposé,
est arrêté en 1998
et condamné en octobre 2000 à vingt ans de réclusion criminelle
pour sa participation au meurtre de James Dindoyal au Havre, le 18 juin 19903.
Il est libéré en 2010 après avoir effectué la moitié de sa peine4,5,6.
Il décède le 8 août 2019, à l'age de 54 ans7.
Originaire de la région parisienne et du Havre, le groupe se forme en 1983. Nommé dans un premier temps Zyklon B, il est d'abord composé d'Iman Zarandifar (alias Sniff ou Fesni) au chant, William Deligny (alias P'tit Willy) à la guitare, Régis Kerhuel (1965-2019)1 à la basse et Cornette à la batterie.
Au début des années 1980, Sniff et P'tit Willy rencontrent Madskin (qui a des notions de basse) et Cornette, skinheads du Havre avec qui ils décident de monter un groupe de rock anti-communiste.
En 1984, à la sortie d'un bar-concert, à Paris, dans le quartier festif d'Oberkampf, une bagarre oppose le chanteur, Sniff, à Laurent Jacqua, un jeune de 17 ans. Sniff est blessé d'un coup de revolver : il est atteint à la colonne vertébrale et restera paralysé. À la suite de cet événement, le chanteur continue malgré tout au sein des Evil Skins, chantant désormais en chaise roulante.
En 1986, ils publient leur premier 45 tours Docteur Skinhead sur leur label Intensive Produc., qui fera connaître le groupe dans le milieu skinhead. Pour leur premier concert, ils assistent à une scène ouverte et prennent d'assaut la scène, expulsent les musiciens en train de jouer, prennent leurs instruments et jouent. C'est la photo qu'il y a sur le premier 45 tours des Evil Skins.
L'année suivante sort l'album intitulé Une force, une cause, un combat sur le label Evil Records (réalisé par Rock-O-Rama Records). Parmi les titres les plus connus du groupe, peuvent être mentionnés : La Zyklon Army, Bêtes et méchants, Paris by Night, Marcel ne regrette rien, Vivre pour frapper, Docteur Skinhead, Le Poisseux, Un amour perdu et Luxembourg.
Le guitariste du groupe William Deligny, quant à lui, se considère comme un repenti et est à présent moine Vaishnava dans une communauté hindoue8. Auteur de livres religieux, il ouvre en 2003 un centre, puis un monastère, à Rouen. En 2013, Il témoigne dans le cadre de l'affaire Clément Méric9.
Le drame s’est produit en marge d’une vente privée d’une marque de vêtements organisée rue Caumartin dans le 9e arrondissement de Paris. Voyant le look très explicite des skinheads, qui arboraient tatouages de croix gammées et sweat-shirt “Blood and Honour” (un groupe [une nébuleuse néo-nazi internationale qui propose une vitrine RAC folklorique skinhead d’origine] britannique), les militants de gauche se moquent d’eux. Les deux groupes se retrouvent dans la rue, les skinheads acculent les militants de gauche contre le mur. La confrontation tourne court : Clément Méric reçoit un coup de poing qui le déséquilibre et sa tête tape un poteau.
Dans le coma, il sera admis en état de mort cérébrale à l’hôpital avant de décéder jeudi après-midi. Ses agresseurs ont pris la fuite, mais jeudi, quatre suspects ont été arrêtés, “dont l’auteur probable” du coup mortel selon le ministre français de l’Intérieur, Manuel Valls.
Les quatre skinheads incriminés pourraient appartenir aux Jeunesses révolutionnaires nationalistes, un groupuscule ouvertement raciste et néonazi fondé par Serge Ayoub en 1987, réactivé en 2010 après la création du mouvement Troisème Voie. Sur leur chaîne YouTube, ses membres n’hésitent pas à poster les vidéos de leurs processions et manifestations, clairement inspirées des mouvements fascistes des années 1930.
Vidéo de procession des Jeunesses Révolutionnaires Nationaliste. Crédit : Troisième Voie
Le leader, surnommé dans les années 1980 “Batskin” en raison de son usage de la batte de baseball dans les rixes, a démenti toute implication de son groupe, assurant par ailleurs que les skinheads avaient été “pris à parti par cinq militants d’extrême gauche qui leur ont promis de les massacrer à la sortie”.
Droite et gauche française ont unanimement condamné l’agression, et plusieurs responsables politiques, dont le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, ont évoqué la dissolution des groupuscules d’extrême droite. Le parti nationaliste français, le Front national, a assuré, par la voix de sa présidente Marine Le Pen, n’avoir “aucun rapport’ avec les agresseurs.
Des commémorations étaient prévues dans de nombreuses villes françaises jeudi soir, en mémoire de Clément Méric, notamment place Saint-Michel à Paris.
“Tabasser quelqu’un jusqu’à qu’il soit à terre et ne respire plus, c’était une vraie jouissance”
William Deligny a été skinhead dans les années 1980, avant de faire “une overdose de violence” et de changer de vie pour devenir moine hindou au sein de la Congrégation Gaudiya Vaisnava à Saint-Étienne du Rouvray.
Cette agression est terrible, mais quelque part, elle ne me surprend pas, car la violence c’est la façon de vivre des skinheads. Elle est la base de leur engagement, elle est inscrite dans leur look, dans ce qu’ils véhiculent.
L’agression dont a été victime Clément Méric est assez typique du comportement des skinheads : quand ils se battent, ils le font toujours en veillant à être en situation de supériorité : dans ce cas, ils étaient aussi nombreux, mais savaient très bien qu’ils étaient mieux préparés à combattre que les militants d’extrême gauche. Les skinheads ont une règle claire, ils estiment qu’ils n’ont pas le droit de perdre. Donc de toute façon, ils feront toujours une escalade de la violence : si quelqu’un résiste, ils sortiront une arme, appelleront des renforts, etc. L’issue de l’agression est classique : une fois la victime battue, on se disperse et on prend la fuite pour se retrouver plus tard et ailleurs.
“Le gauchiste est le concurrent de base”
Taper à plusieurs fait partie de l’esprit de bande inhérent aux skinheads. Les personnes qui rejoignent ce type de mouvement sont très souvent en détresse, des marginaux qui ont rejeté leur famille, à la recherche de repères. Ce sont des gens qui imputent leurs problèmes aux autres. On se crée des ennemis pour expliquer sa propre détresse, ce qui engendre la violence. Les leaders du mouvement ne tolèrent pas ceux qui ne savent pas se battre, et la violence devient votre vie. Quand j’étais skinhead, tabasser quelqu’un jusqu’à qu’il soit à terre et ne respire plus, c’était pour moi une vraie jouissance.
Cette chute dans la violence est influencée par l’ignorance. 90% des skinheads ne savent pas pourquoi ils détestent l’autre, mais ils le détestent. Cette haine est particulièrement forte à l’égard des militants d’extrême gauche : ce sont eux aussi des extrémistes, ils veulent également un monde où tout le monde pense pareil. Le gauchiste est le concurrent de base.
C’est d’autant plus le cas depuis une vingtaine d’années. À la base, les skinheads n’étaient pas forcément politisés, ils étaient surtout une contre-culture. Mis à mal par les “chasseurs de skins” à la fin des années 1980, le mouvement s’est structuré idéologiquement, et une partie s’est tournée vers les idées d’extrême droite, sous l’impulsion notamment de Serge Ayoub.
Le « rock identitaire français » (RIF) peut être considéré comme une musique groupusculaire. Non seulement parce qu’il s’agit d’un courant musical écouté, pratiqué et promu au sein des différents groupuscules de la droite radicale, mais également parce que ses modes de pratique et de diffusion relèvent eux aussi d’une logique groupusculaire. Ainsi s’agit-il d’une musique confidentielle, voire semi-clandestine, dont les manifestations publiques comme les réseaux de diffusion ne touchent qu’une communauté relativement fermée d’adeptes aux effectifs restreints. Cette logique groupusculaire est dans une large mesure contrainte : disqualifiés par leur positionnement politique, les groupes de RIF sont ignorés des grandes maisons de disques et exclus des circuits traditionnels de diffusion commerciale ; ils ne peuvent en conséquence compter que sur des labels et des circuits de distribution propres à leur mouvance. En ce sens, il s’agit également d’une musique stigmatisée (Goffman 1975), qui comme telle impose à ses adeptes de soigneusement contrôler l’information les concernant et de consolider leur cohésion par l’entretien d’un sentiment de fierté identitaire. L’exclusion du RIF du reste du monde musical est ainsi retournée, sur le mode du « faire de nécessité vertu », en refus de compromission avec une industrie du disque honnie parce qu’asservie au « capitalisme mondialiste », dans le même temps que sa relative clandestinité permet à ses adeptes l’adoption d’une posture « révolutionnaire » symboliquement valorisée dans cet univers militant. L’intérêt du RIF ne se limite cependant pas à sa participation à la sociabilité militante des jeunes activistes d’extrême droite. Son étude permet également d’avancer dans la compréhension des usages militants de l’art en proposant à l’analyse un cas extrême d’asservissement d’une pratique artistique à des enjeux proprement politiques. Ce sont donc les modalités, mais aussi les difficultés et impasses, de cette instrumentalisation de l’art à des fins de politisation que l’on étudiera dans ce chapitre.
1 Principalement, car le RIF est aussi diffusé ou valorisé – mais dans une moindre mesure – dans d’a (…)
2 Pour un panorama historique de la mouvance, voir Mathieu (2003a) et Lebourg (2004).
2Les musiciens et auditeurs de RIF appartiennent principalement1 à ce secteur particulier du champ politique d’extrême droite qu’est la mouvance nationaliste révolutionnaire (NR). Celle-ci s’est au fil des ans incarnée dans plusieurs groupuscules, fruits de scissions ou de recompositions entre différents courants ou tendances : Groupe union défense (GUD), Groupes action jeunesse (GAJ), Groupes nationalistes révolutionnaires (GNR), Mouvement nationaliste révolutionnaire (MNR) dans les années soixante-dix, puis Troisième voie (fondée en 1985), Nouvelle résistance (fondée en 1991), Unité radicale (UR, issue en 1996 de la fusion de Nouvelle résistance avec le GUD) et enfin, suite à une dernière scission puis à la dissolution d’UR en juillet 2002 consécutive à la tentative d’assassinat de Jacques Chirac par Maxime Brunerie, Bloc identitaire et Réseau radical2. Si c’est au sein de cette mouvance qu’a émergé et s’est développé le RIF, il faut également prendre en compte que nombre de ses adeptes ont également fréquenté le Front national de la jeunesse (FNJ, branche jeunes du Front national) et le Renouveau étudiant (RE, syndicat étudiant FN), au sein desquels les nationalistes-révolutionnaires ont toujours été relativement nombreux et actifs.
3La nébuleuse NR est au sein de l’extrême droite française la principale héritière des courants fascistes des années trente, dont elle poursuit la dénonciation de la société capitaliste bourgeoise, à laquelle elle oppose une idéologie qui se revendique du socialisme tout en étant anti-marxiste, anti-matérialiste et antidémocratique. Le projet de société défendu par les nationalistes-révolutionnaires est celui d’une « troisième voie » entre capitalisme et communisme, et cela au moyen d’une conception corporatiste de la société unie autour d’un État fort. Cette idéologie a été renouvelée dans les années soixante-dix par les travaux du GRECE (Groupe de recherche et d’études sur la civilisation européenne), qui défend une conception biologisante des identités culturelles et rejette le nationalisme d’autres courants de l’extrême droite (royalistes ou nostalgiques de l’Algérie française, par exemple) au profit de la défense d’une identité européenne ethnicisée. Volontiers antisémites (et a fortiori antisionistes), les nationalistes révolutionnaires s’opposent également aux courants catholiques traditionalistes ou intégristes par la revendication d’un héritage païen pré-chrétien.
4Ce détour par l’idéologie NR n’avait pas pour seul enjeu de situer ce courant au sein de l’extrême droite française, mais également de pointer une de ses caractéristiques majeures qui est son investissement prioritaire sur le terrain de l’élaboration idéologique plutôt que sur la construction d’une véritable force politique.
3 Les citations sont tirées du document de présentation Unité radicale. Questions et réponses.
5À ce titre, si certains militants NR ont par le passé joué un rôle important dans la construction du FN, la plupart entretiennent aujourd’hui un rapport ambivalent au parti lepéniste, à la fois reconnu comme pilier central de l’extrême droite française mais aussi rejeté parce que soumis à l’influence de courants adverses (catholiques, spécialement), disqualifié par sa participation au jeu électoral et subordonné au clan Le Pen. De ce point de vue, UR entendait placer son action non sur le terrain électoral (rôle dévolu au FN puis, après la scission, au Mouvement national républicain de Bruno Mégret), mais sur celui de la propagande idéologique et culturelle, à même selon ses leaders d’influer sur « les décisions et prises de positions du mouvement national dans son entier ». Ainsi, par des « campagnes militantes et par un combat culturel adapté », UR entendait « contribuer à une “renationalisation” de la jeunesse par imprégnation idéologique, de la même manière que la propagande des divers groupes d’extrême gauche […] contribue à une imprégnation idéologique favorable au métissage et à la société multiculturelle3 ».
4 Un milieu associatif à dimension intellectuelle se consacre ainsi à l’étude et à la promotion de l (…)
6Le soutien apporté par les organisations de la droite radicale à la scène RIF doit être compris comme une des principales expressions de cet investissement sur le terrain idéologique et culturel, dont les jeunes sont la cible principale. De ce point de vue, la stratégie des leaders NR s’inscrit dans une optique explicitement inspirée des théories de Gramsci – celui-ci, auteur de prédilection de la Nouvelle droite, constituant de longue date une référence centrale des héritiers du fascisme – qui font de la lutte contre l’hégémonie idéologique bourgeoise et de la prise de pouvoir culturel des préconditions à la prise du pouvoir politique. Sans en être la seule expression4, le RIF est conçu comme un des principaux vecteurs de ce combat culturel, contribuant à « l’élaboration d’une véritable contre-culture populaire nationaliste » (P. Vardon, in Bouchet 2001, p. 174). Les propos qui suivent sont exemplaires de cette mobilisation de la culture dans une entreprise de contestation de l’ordre politique et social dominant :
« Aujourd’hui, le système mondialiste nous a déclaré la guerre culturelle. Il cherche à subvertir les valeurs propres de la jeunesse européenne dans le but de lui imposer des modes américanomorphes dans le domaine musical (rap), artistique (tags) et même culinaire (Coca, fast-food). Nous devons nous battre sur tous ces fronts, afin de substituer une “hégémonie culturelle nationaliste et enracinée” à l’actuelle “hégémonie mondialiste et cosmopolite”. » (B. Merlin, in Bouchet 2001, p. 129.)
7Mais la stratégie culturelle des nationalistes-révolutionnaires possède aussi sa face plus étroitement tactique lorsque le RIF devient un instrument de sensibilisation ou de recrutement de jeunes aux intérêts d’ordre davantage musical que strictement politique. C’est cette dimension instrumentale du rapport des militants NR au RIF que nous allons à présent évoquer, tout en situant ce courant dans l’histoire du monde musical d’extrême droite.
8Pour les stratèges de la mouvance NR, le RIF n’est en effet pas que l’expression d’un combat culturel, mais aussi un outil militant, dont il est attendu qu’il permette d’entrer en contact avec des jeunes peu sensibles aux thèses politiques développées par les groupuscules mais intéressés par la découverte de nouveaux groupes ou styles musicaux. Il constitue donc un instrument dans une tactique – qu’on propose d’appeler l’activisme musical – de recrutement de nouveaux sympathisants ou militants, de longue date décrite par la sociologie des mobilisations. Cette pratique correspond en effet à ce que David Snow et al. (1986) désignent comme l’« extension de cadre », lequel est un mode d’enrôlement privilégié par les organisations de mouvement social qui visent des individus ne partageant pas leurs valeurs ou objectifs. Il s’agit alors d’élargir le discours de l’organisation en y intégrant des éléments qui a priori n’en font pas partie mais qui sont pertinents pour sa cible de recrutement potentielle. Ces éléments peuvent prendre la forme d’incitations sélectives telles que, pour un amateur de rock, l’accès à de nouveaux styles ou groupes. Les propos qui suivent sont significatifs de cette appréhension du RIF sous l’angle de sa « rentabilité militante » :
« Le RIF, moyen d’expression privilégié de la révolte de notre jeunesse européenne, doit être un vecteur efficace de recrutement et de sensibilisation de jeunes encore extérieurs à la famille d’idées ou pas encore encadrés. Chacun de nos groupes de base un peu conséquent doit participer à la création d’un groupe de RIF local. […] Un concert de RIF avec dix jeunes Européens encore isolés deux heures auparavant, cela vaut cinq mille tracts boîtés. » (E. Marsan, in Bouchet 2001, p. 97.)
5 Voir l’exemple de l’engagement des avant-gardes poétiques dans la Résistance étudié par Gisèle Sap (…)
9Se signale ainsi une des dimensions fondamentales du rapport du RIF au champ politique, qui est sa complète hétéronomie : à des années-lumières de ces formes esthétiques dont la légitimité est à la mesure de leur autonomie au sein du champ de production culturelle, et auxquelles ce sont précisément ces autonomies et légitimité qui confèrent un poids éventuellement mobilisable à des fins politiques5, le RIF est avant tout un outil, dépendant des stratégies politiques de militants guidés par des considérations d’efficacité plutôt que d’esthétique.
6 Fabrice Robert, « La diffusion de l’idéal identitaire européen à travers la musique contemporaine (…)
10Cette instrumentalisation est le fruit d’une réflexion soigneusement élaborée, comme en témoigne le fait que l’un des principaux acteurs du RIF, Fabrice Robert, ait consacré un mémoire de maîtrise en science politique à la diffusion de la propagande nationaliste par la musique6. Ancien élu FN et dirigeant d’UR puis du Bloc identitaire, F. Robert est aussi le batteur d’un des principaux groupes de RIF, Fraction, et l’un des fondateurs du label Bleu-blanc-rock (BBR). C’est à l’appui de ce même label que les principes d’enrôlement de jeunes par une première sensibilisation via la musique ont commencé à être appliqués : à la fin des années 1990, une cassette compilant des chansons de différents groupes a fait l’objet d’une large diffusion (5 000 au total auraient ainsi été vendues au prix de dix francs) par des militants à la sortie des lycées et lors de la fête de la musique ; cette opération a par la suite été rééditée avec l’édition d’une autre compilation, intitulée « Antimondial », cette fois sur support CD et vendue au prix de deux euros.
11Les « théoriciens » du RIF ont en fait systématisé une démarche d’instrumentalisation de loisirs juvéniles masculins à des fins de conversion idéologique ou d’enrôlement militant déjà existante au sein de l’extrême droite extra-partisane. La sensibilisation politique et l’organisation militante des groupes de supporters d’équipes de football, visant à en faire des hooligans prêts à défendre des valeurs identitaires et racistes dans des affrontements violents, a en effet constitué une première tentative d’instrumentalisation de loisirs de jeunes hommes. Cette démarche de « politisation des stades » était solidaire, lorsqu’elle a été engagée au début des années 1980, de l’entreprise de radicalisation de la mouvance skinhead – c’est-à-dire, bien avant la naissance du RIF, l’investissement d’une forme de sociabilité juvénile masculine organisée autour d’un style musical.
12Le mouvement skin, apparu à la fin des années 1960 dans la jeunesse populaire anglaise, était à l’origine un mouvement musical et vestimentaire non politisé, et notablement influencé par des styles musicaux joués ou écoutés par les jeunes immigrés jamaïcains. Son développement ultérieur a vu s’opérer une scission entre un courant d’extrême gauche et libertaire (redskins) et un autre d’extrême droite, violent et raciste (Orfali 2003). Les skins d’extrême droite sont apparus en France à la fin des années 1970 et leur mouvement s’est diffusé dans les années 1980 autour de différents groupes et de fanzines dont les musiciens ou rédacteurs étaient fréquemment membres de groupuscules comme l’Œuvre française ou le Parti nationaliste français et européen (PNFE). La mouvance skinhead se singularise surtout par des formes de sociabilité majoritairement masculines, centrées sur une musique spécifique (la « oï »), la consommation d’alcool et la « baston » entre soi ou à l’encontre de personnes appartenant à des groupes honnis (militants d’extrême gauche, Arabes, Juifs). De ce fait, les diverses tentatives d’organiser les skins français n’ont eu que des résultats mitigés : les fanzines, labels ou groupes militants se sont toujours signalés par une existence brève et fréquemment conflictuelle, et leur idéologie antisémite et raciste n’a eu qu’un écho limité.
13Une tentative ultérieure, et elle aussi importée d’Angleterre, de politisation via la musique rock est le RAC, c’est-à-dire le « rock against communism ». Cette appellation a été adoptée dans les années 1980 en opposition aux concerts « rock against fascism » organisés à l’époque par les militants d’extrême gauche. Le terme RAC a en France surtout servi à désigner les groupes les plus politisés et les plus proches des milieux militants organisés ; parmi ceux-ci, signalons Légion 88, Evil Skins, 9e Panzer Symphonie et Fraction Hexagone. Pour autant, et précisément parce qu’elle bénéficiait de meilleures organisations et politisations, la mouvance RAC a constitué la première base sur laquelle le RIF s’est ultérieurement développé : Fraction Hexagone, devenu simplement Fraction au milieu des années 1990, est au sein du RIF le principal héritier de cette mouvance.
14Les noms (faisant référence à la seconde guerre mondiale ou au fascisme), les textes (se réclamant fréquemment du nazisme ou du Ku Klux Klan) et la musique (proches des formes « métal » ou « hardcore » ultra-violentes) interdisaient de diffuser le RAC au-delà de cercles extrêmement restreints d’adeptes « initiés » et partageant déjà ses options idéologiques et politiques. Or, on l’a vu, c’est précisément à éviter cet enfermement dans un entre-soi de convertis, et à plutôt favoriser la diffusion des idées NR à de nouvelles recrues, que vise le RIF. L’« invention » de celui-ci à la fin des années 1990 correspond donc, non à une évolution esthétique interne à un courant musical autonome, mais à une réorientation tactique, misant sur l’ouverture et l’acceptabilité d’un discours politique particulier, imaginée et impulsée par des responsables militants. Une nouvelle fois se signale l’hétéronomie du RIF à l’égard des considérations politiques : alors que des formes musicales antérieures (oï ou RAC) correspondaient à un investissement musical de jeunes militants de la droite radicale, dans lequel ceux-ci exprimaient explicitement (dans leur style musical comme dans leurs textes), et à destination d’un public exclusivement composé de pairs, leurs préoccupations ou idéologies propres, la dimension instrumentale du RIF témoigne d’une démarche plus tacticienne. Parce qu’elle est destinée certes à des pairs (dont il faut satisfaire les options politiques et musicales), mais également à des « profanes » qu’il s’agit de convertir, le RIF se doit de respecter certaines contraintes de discrétion ou de camouflage (quant au contenu des idées diffusées et à l’orientation politique), lesquelles ont une influence directe sur les productions des groupes, et permet notamment de comprendre l’hétérogénéité de styles de la scène RIF.
15L’organisation de la scène RIF témoigne de sa dimension groupusculaire, à la fois transposition du mode d’organisation propre à la mouvance politique dont elle est issue et dont elle dépend, mais aussi expression de sa stigmatisation (interdisant une large diffusion de ses productions) et de la limitation de ses ressources (en musiciens ou en supports organisationnels).
7 Cet effet d’homogénéisation de l’étiquette rock n’est en rien spécifique au RIF, comme le montre M (…)
8 Un musicien de Kaiserbund explique de même sur le site BBR la fondation de son groupe par le fait (…)
16Que le RIF se réclame du rock ne doit pas induire en erreur. L’appellation, en réalité, ne désigne pas un genre musical précis mais regroupe un ensemble de styles différents7 : les styles « hard », « métal » ou « hardcore » (prisés par Fraction, Insurrection ou Ile-de France), la musique électronique (Aion, Kaiserbund), le pop-rock (Brixia, Elendil, La Firme), ou encore des formes influencées par le ska (In Memoriam), la musique régionale (Vae Victis, Aquilonia, Traboule Gone) ou le rap (Basic Celtos). Cette diversité témoigne, une nouvelle fois, de l’hétéronomie du RIF, dont l’unité tient davantage à des considérations politiques et idéologiques (l’appellation regroupe les diverses formes de musique « jeune » promues au sein de la droite radicale) qu’à une cohérence de style. Plus encore, cette diversité est l’expression de l’instrumentalisation de la musique à des fins de sensibilisation et d’enrôlement de nouveaux militants : pour recruter le plus largement possible au sein de la jeunesse, les groupuscules NR pensent devoir s’ajuster à la diversité de ses goûts, et proposer une expression « identitaire française » de chaque style prisé par les jeunes. Les discours des leaders de la droite radicale expriment une nouvelle fois explicitement cette volonté de s’ajuster à ce qui est supposé être les attentes du public dont l’enrôlement est recherché ; ainsi l’ancien secrétaire général d’UR Christian Bouchet estime-t-il qu’il « serait judicieux qu’ils [ses “amis du RIF”] accroissent encore plus l’éventail de leur offre et que certains de leurs groupes s’ouvrent à la variété ou aux chants et musiques régionales » (Bouchet 2001, p. 438).
17Le groupe qui a sans doute poussé le plus loin cette logique d’ajustement aux attentes supposées du public est Basic Celtos, puisqu’il s’est investi dans ce style musical honni au sein de l’extrême droite qu’est le rap (ou plus précisément une forme de rap intégrant, défense de l’identité régionale oblige, des sonorités celtes). Ainsi ses musiciens défendaient-ils leur musique en avançant des considérations d’ordre avant tout tactique dans une interview à la revue Jeune résistance (n° 15) : « Aujourd’hui le rap représente 20 % du marché jeunes, est-ce que les fafs vont être les seuls à ne pas être de la partie ? » Cet investissement dans un style aussi disqualifié – parce que propre aux « adversaires ethniques » que sont pour les militants NR les « jeunes issus de l’immigration » – au sein de l’extrême droite ne va toutefois pas de soi, et se heurte à l’hostilité de certains militants. Les propos de ce codirecteur du MNJ (mégretiste) interviewé par Magali Boumaza sont de ce point de vue explicites :
« D’abord j’aime pas musicalement parlant, franchement, j’aime pas tellement. Et ensuite je pense que d’un point de vue non pas musical mais plus politique, c’est une erreur. Parce que c’est, en fait, c’est entrer dans le jeu de l’adversaire, le rap c’est en fait une espèce de, une espèce de sous-culture qui vient des ghettos noirs américains. C’est quand même ça l’origine du rap, ça ne ressemble à rien et surtout pas à de la musique. » (Cité in Boumaza 2003, p. 12.)
9 Les grossesses des musiciennes ou chanteuses sont à plusieurs reprises évoquées comme des causes d (…)
18Une autre caractéristique de la scène RIF est le nombre restreint des formations (une dizaine) et leur relative fragilité. Si Fraction existe depuis 1994, et Ile-de-France ou In Memoriam depuis 1996, d’autres se sont dissous après quelques années (comme Vae Victis, né en 1993 et premier groupe à se revendiquer du RIF, ou Elendil). Surtout, tous les groupes connaissent de permanents changements de musiciens, les bouleversements de la vie professionnelle (imposant des déménagements) ou familiale9, inhérents au statut de jeunes entrant dans la vie adulte, interdisant la poursuite des répétitions. Les changements de composition des groupes témoignent également de la dimension groupusculaire – au sens ici d’univers aux effectifs restreints – du RIF, en ce que les transferts d’une formation à une autre sont fréquents : trois des musiciens d’Ile-de-France et un de Kaiserbund faisaient antérieurement partie de Vae Victis, la chanteuse de Brixia était parallèlement membre d’Elendil, etc. Enfin, la plupart des praticiens ne sont pas des musiciens professionnels ou ayant suivi une formation musicale prolongée ; ce statut de musicien autodidacte, qui n’est certes pas une rareté au sein du monde du rock, prend dans le cas de certains groupes une forme extrême (il est dit de Traboule Gone que deux de ses membres n’avaient aucune connaissance musicale avant la formation du groupe).
19Si les styles musicaux ne peuvent, à la différence de la oï ou du RAC, être immédiatement rapportés à la droite radicale, les textes des chansons (ou les échantillons samplés dans le cas des groupes de musique électronique) et les interviews diffusées dans des fanzines, revues ou sites internet sont davantage explicites quant aux options politiques des groupes. Outre leur inspiration littéraire ou historique (que l’on évoquera plus loin), les thèmes développés reprennent en effet la plupart des thématiques de prédilection de la mouvance NR, telles que la dénonciation de l’immigration, le rejet de la mondialisation, la condamnation de l’avortement, l’antisémitisme et le révisionnisme. Quelques extraits donnent une idée de la tonalité de ces textes :
« Aujourd’hui la Serbie, demain la Seine-Saint-Denis/Un drapeau frappé d’un croissant flottera sur Paris » (In Memoriam, « Paris-Belgrade »).
« Aux ordres des banquiers rapaces/Le mondialisme se met en place » (Insurrection, « Invasion »).
« L’avortement c’est épatant/Pourquoi s’faire chier pour des enfants » (In Memoriam, « Das Capital »).
« Je viens de la rue du Sentier, je vendais du dégriffé/Aujourd’hui j’ai tout lâché/Juste avant le krash boursier qui m’a bien rapporté » (Elendil, « Bourgeois, nouveaux riches et décadents »).
« Des universitaires sont traqués/Ils défendent une vision de l’histoire/Certains lobbies tiennent à leur pouvoir » (Fraction, « Hérétique »).
10 Fraction, sur le site du Vlaamse Jongeren Mechelen (mouvement de jeunes nationalistes flamands).
20Mais témoignage également de l’entretien par le RIF d’un « entre-soi » de militants unis par un sentiment d’appartenance à une même communauté militante, certains textes ne peuvent être compris que des initiés, telle cette chanson en hommage à Sébastien Deyzieu, militant de l’Œuvre française mort accidentellement en essayant d’échapper à la police, et martyr de la mouvance NR : « Tu t’appelais Sébastien/Ton prénom n’évoque rien/Pour le gratin médiatique/Tu dois t’appeler Malik » (Vae Victis, « Sébastien »). De même les interviews des musiciens signalent-elles un univers politique et intellectuel précis ; dans leur interview sur le site Coq gaulois les musiciens de Kaiserbund citent parmi leurs sources d’inspiration Maurice Bardèche, Lucien Rebatet, Céline, Vacher de Lapouge, Leni Riefenstahl, ou Oswald Mosley ; ceux de Fraction, quant à eux, évoquent « Drieu la Rochelle, Brasillach, Blanqui, Sorel, les frères Strasser, Che Guevara et bien sûr Nietzsche pour son hymne à la volonté de puissance10 ».
21Un indice supplémentaire du caractère groupusculaire du RIF est que certains musiciens sont également les responsables de sites de vente par correspondance ou de labels. Ainsi, on l’a dit, Fabrice Robert cumule-t-il les positions au sein de cet univers politico-musical : outre un leader d’UR puis du Bloc identitaire, un animateur de revues NR (Jeune résistance et L’Épervier), un « théoricien » de l’activisme musical et un musicien au sein de Fraction, il est aussi un des dirigeants de l’association Bleu-blanc-rock, spécialisée dans la vente de RIF par correspondance. De même la maison de disques Memorial Record a-t-elle été créée en 1996 par deux musiciens du groupe In Memoriam, auxquels est venu se joindre le chanteur de Vae Victis qui en a pris la direction.
22L’évolution de l’organisation de la scène RIF témoigne aussi et surtout de sa dépendance à l’égard du champ politique : c’est en effet la SERP, maison de disque propriété de Jean-Marie Le Pen et dirigée par sa fille Marie-Caroline, qui a produit le premier disque de RIF français, celui de Vae Victis. On peut faire l’hypothèse que l’autonomisation de ce groupe (ensuite imité par l’ensemble de la scène RIF) de la sphère d’influence de la famille Le Pen témoigne de la réticence de la mouvance NR à l’égard du FN – réticence qui a conduit la plupart des militants NR membres du parti lepéniste à suivre B. Mégret lors de la scission de 1998. Depuis, Memorial Records est devenu le principal label de RIF. C’est d’abord sous la forme d’une association loi 1901 que le label a commencé par diffuser une cassette de compilation, puis par produire le premier CD du groupe de ses fondateurs, suivi de celui d’Elendil. En 1998 Memorial Records a pris la forme d’une SARL et sorti de nouveaux disques de Vae Victis, In Memoriam, Elendil, ainsi qu’une compilation, « Sur les terres du RIF ».
23La production et la diffusion des productions RIF par des supports propres est, on l’a dit, une manière de « faire de nécessité vertu » : l’amateurisme des musiciens, le contenu de leurs textes et les effectifs restreints de leur public leur interdisent l’accès aux grandes maisons de disque et aux canaux de diffusion traditionnels (radios commerciales ou grandes surfaces du disque). C’est donc de manière contrainte que les groupes diffusent leurs productions essentielle- ment sur des radios émettant sur internet (Canal RIF) et en vente par correspondance (ainsi que dans les librairies d’extrême droite ou plus ponctuellement lors de rassemblements militants, comme ceux en l’honneur de Jeanne d’Arc). Outre celui de Memorial Records, Le Coq gaulois et BBR sont les principaux sites de vente de CD par correspondance. Pour autant, ceux-ci ne se limitent pas à cette activité : y sont également en vente des disques de chanteurs d’extrême droite autres que de rock (Dr Merlin, Jean-Pax Méfret ou musique folklorique, avec une dominante celte), des gadgets (autocollants, T-shirts, ainsi que bijoux « croix celtique » ou « marteau de Thor » prisés par les néo-païens), des bandes dessinées (de style science-fiction ou mythologique ou à vocation plus humoristique), des revues idéologiquement proches (Terre et peuple, Réfléchir et agir, L’Épervier…) et des livres d’auteurs d’extrême droite ou n’appartenant pas à cette mouvance mais dont les ouvrages sont enrôlés dans la réflexion NR. On trouve par exemple sur le site du Coq gaulois des ouvrages relevant de la première catégorie, comme Une terre, un peuple de Pierre Vial (éditions Terre et peuple), Le mondialisme, mythe et réalité (Éditions nationales) ou José Antonio, La phalange espagnole et le national-syndicalisme d’Arnaud Imatz (Éditions Godefroy de Bouillon), aux côtés du Livre noir du communisme dirigé par Stéphane Courtois (Robert Lafont) et du Mitterrand et les 40 voleurs de Jean Montaldo (Robert Lafont).
24Outre leur vocation commerciale, ces sites comportent une dimension plus militante. Dans une rubrique significativement appelée « combat militant », celui de BBR invite ses visiteurs à s’organiser en « cellules Bleu-blanc-rock » pour « agir en organisant concerts, tractages, collages et ventes de K7 », tandis que celui du Coq Gaulois propose une rubrique « pourquoi ? » déclinant une série de questions telles que : « Pourquoi le gouvernement s’acharne-t-il à tuer 220 000 enfants chaque année par l’intermédiaire de l’IVG ? », « Pourquoi lors des innombrables émeutes de banlieue on n’entend parler que de “jeunes” et non pas d’immigrés ? » ou encore « Pourquoi n’organise-t-on pas un référendum sur le rétablissement de la peine de mort, alors qu’une majorité de français est pour ? ». On y trouve également des « arguments » contre les principaux adversaires – tels que le casier judiciaire du rappeur Joey Starr ou des propos, estimés « significatifs », de personnalités honnies (Robert Hue, Jack Lang, Ariel Sharon, le groupe de rap Sniper…). L’intrication des dimensions musicales, commerciales et militantes de ces canaux de diffusion peut toutefois se retourner contre eux : Maxime Brunerie était le correspondant pour la région parisienne de BBR et le responsable de ce même site a été incarcéré au printemps 2004 après que la police ait saisi chez lui un stock d’armes et de propagande négationniste.
25Les groupes RIF n’éprouvent pas seulement de la difficulté à se faire diffuser, mais également à apparaître publiquement. Ce rapport problématique des musiciens de RIF à la publicité, inhérent à leur statut stigmatisé, s’exprime par exemple par le fait que leurs photos sur les sites de vente par correspondance sont parfois floutées. Mais il s’exprime surtout dans la rareté de leurs concerts, laquelle tient à plusieurs facteurs parmi lesquels l’amateurisme des musiciens joue un rôle important. Résidant souvent dans des villes différentes, pris par leur vie familiale, professionnelle et militante, ils peinent à se réunir pour répéter, tandis que d’autres sont encore trop inexpérimentés pour jouer en public. Mais le principal obstacle aux prestations publiques des formations RIF tient à leur stigmate qui leur interdit d’accéder à la plupart des scènes, festivals ou tremplins réservés aux jeunes groupes de rock. Ainsi Ile-de-France s’était-il en 1999 porté candidat dans un tremplin rock et, bénéficiant d’un bon classement, pouvait prétendre poursuivre la compétition quand l’association antifasciste Ras l’Front est intervenue auprès des organisateurs pour l’en faire exclure au motif de son ancrage politique. En conséquence, certains groupes préfèrent-ils se présenter sous un faux nom pour pouvoir jouer dans des lieux hostiles à l’extrême droite.
11 La brochure de Ras l’Front consacrée au RIF contient des conseils pratiques pour faire interdire u (…)
26Dans ce contexte, les opportunités de jouer en public sont rares : les groupes peuvent profiter des facilités offertes par les fêtes de la musique, mais celles-ci ne sont qu’annuelles et ne les mettent pas à l’abri de leurs adversaires. Ces prestations publiques apparaissent en conséquence comme des « contacts mixtes » au sens de Goffman (1975, p. 23), c’est-à-dire des interactions entre des stigmatisés et des « normaux », au cours desquelles la révélation du stigmate des groupes RIF est tout à la fois recherchée (afin de populariser leur musique et leurs idées tout en recrutant de nouveaux militants) mais aussi redoutée pour les sanctions auxquelles elle expose (interdiction de jouer et disqualification définitive auprès des lieux de concerts, voire « bastons »). En conséquence, comme l’a décrit Goffman, les stigmatisés exposés à la vindicte publique n’ont souvent d’autre recours que de se replier sur des « lieux retirés » (1975, p. 100), composés uniquement de pairs et où le stigmate étant uniformément partagé il n’est plus nécessaire de le dissimuler. Ces lieux de concert (qui clôturent souvent des réunions ou rassemblements militants) sont relativement clandestins, n’étant révélés aux spectateurs qu’au dernier moment ou à l’issue d’un véritable jeu de piste. Ces précautions, si elles valorisent les adeptes du RIF en entretenant leurs sentiments de risque et de clandestinité, ne sont pas sans fondement : il arrive fréquemment que les concerts soient annulés après que des militants antifascistes aient informé le propriétaire d’une salle de concert de la « véritable nature » des groupes qui doivent s’y produire, ou qu’ils aient incité les forces de l’ordre à les interdire en prévention de tout « trouble à l’ordre public11 ».
27Un autre type de lieux retirés, mais soumis à une plus large visibilité, qui permet aux groupes de RIF de se produire sur scène, sont les spectacles organisés par des partis ou groupes d’extrême droite. La fête « Bleu blanc rouge » organisée tous les ans par le FN a vu se produire (avant la scission avec le MNR) des groupes de RIF comme In Memoriam et a accueilli leurs stands et ceux des labels spécialisés ; le même groupe a joué lors de la « Fête de l’identité et des libertés » organisée par Terre et peuple à la salle Wagram le 9 novembre 2002. Les mairies dirigées par l’extrême droite ont elles aussi apporté leur contribution à l’expression du RIF : la mairie FN d’Orange a ainsi organisé en 1996 un tremplin rock faisant la part belle aux groupes RIF, et la mairie mégretiste de Vitrolles a en 1998 organisé en partenariat avec Memorial Records un festival au cours duquel se sont produits In Memoriam, Ile-de-France et Vae Victis (dans un premier temps compromis par la destruction de la sono par une bombe artisanale, ce festival a finalement rassemblé moins de 400 spectateurs).
28Le RIF apparaît donc pris dans un paradoxe : destiné à sensibiliser et recruter de nouveaux militants, son stigmate de musique d’extrême droite le contraint à la clandestinité et, ce faisant, conforte la tendance de ses adeptes à en faire un instrument d’entretien de leur entre-soi groupusculaire. Ce paradoxe contraint d’autant plus largement les modes d’affichage public du RIF que la posture contestataire qu’il valorise est davantage, ou mieux, incarnée par ses adversaires.
29Le site des Jeunesses identitaires (section jeunes du Bloc identitaire) contient une rubrique musicale, donnant accès à des chansons de groupes de RIF en MP3, qui s’ouvre par ces mots : « Il existe des artistes vrais loin de Star Academy et Popstars, il existe des groupes révoltés autres que NTM ou Sniper, il existe des groupes réellement engagés contre la mondialisation aux antipodes de l’hypocrisie de Noir Désir, il existe d’autres labels que Sony et Universal… » Si la confidentialité de la scène RIF lui est imposée par son exclusion de l’industrie du disque et de ses circuits de diffusion, cette dernière, on le voit, est transmuée en « vertu » par l’adoption d’une posture de rejet de son mercantilisme : la dénonciation d’une industrie du disque asservie aux intérêts du « capitalisme mondialiste et cosmopolite » permet de retourner l’exclusion du RIF en signe d’élection témoignant de sa pureté idéologique. Pour autant, le rapport des musiciens de RIF aux groupes ou styles dominants (par leurs ventes comme par leur légitimité) dans le champ de production culturelle, a fortiori lorsqu’ils se posent eux aussi comme « engagés », signale l’intériorisation d’une forte domination symbolique.
12 Ainsi la célèbre photo du Che par Korda a-t-elle été détournée par les militants NR, l’étoile sur (…)
13 Ainsi les musiciens d’Ile-de-France regrettent-ils sur le site BBR que « les relais de l’anti-mond (…)
30Ce rapport aux groupes engagés est lui-même la transposition du rapport dominé que les jeunes militants de la droite radicale entretiennent au militantisme gauchiste. Se posant en révolutionnaires luttant contre le « système capitaliste mondialisé », les militants NR souffrent qu’en l’état actuel du champ politique « l’excellence révolutionnaire » trouve davantage à s’incarner à l’extrême gauche qu’à l’extrême droite, et que le mouvement altermondialiste paraît bien plus à même de contester le néolibéralisme qu’une mouvance NR groupusculaire et marginale. Ce rapport dominé contribue à expliquer certaines stratégies de présentation de soi (détournement de l’imagerie gauchiste, par exemple12) ou d’appropriation et redéfinition de thématiques issues de la gauche contestataire – comme l’écologie (UR comportait une branche écologiste, au sein de laquelle figuraient des militants exclus des Verts suite à des discours antisémites), la « malbouffe » (la même UR avait organisé un « Comité national anti-McDo ») ou l’altermondialisation13 – destinées à en détourner les sympathisants.
14 « En réclamant la libre circulation des individus, des gens comme José Bové se transforment en res (…)
31De même qu’ils reprochent aux altermondialistes de se faire les complices du « système » qu’ils prétendent pourtant combattre14, les groupes de RIF tentent de contester, tout en essayant d’en capter une parcelle du capital symbolique, le prestige des musiciens connus et reconnus pour leur talent et/ou leur engagement politique. Conformément au principe selon lequel s’attaquer aux grands est une manière de se grandir (Boltanski 1990), il s’agit pour eux non de disqualifier ces concurrents (leur prestige doit être préservé pour pouvoir être approprié), mais au contraire de pointer leurs carences, contradictions ou reniements pour mieux se poser en modèles d’intégrité. Ainsi les groupes citent-ils volontiers comme des références ou des sources d’inspiration des groupes largement étrangers à leur mouvance. Ile-de-France se targue d’avoir « une bassiste comme Téléphone, une boîte à rythme comme Rita Mitsouko et les Bérus » tandis que Vae Victis se réclame des Têtes raides, Pigalle, Louise Attaque, voire même Brassens et Brel, et se pose en héritier du « rock alternatif » tout en dénonçant les « trahisons » mercantiles des groupes phares (et engagés à gauche) de ce courant :
« Nous avons une certaine fascination pour les groupes de rock alternatif des années quatre-vingt et leur mode de fonctionnement. Même si le message qu’ils divulguaient n’était pas le nôtre, nous considérons que leur démarche était sincère. Aujourd’hui ils ont tous été récupérés et sont largement diffusés par le système quoi qu’ils en disent. La FNAC et VIRGIN leur offrent leurs bacs et les mettent en écoute. Les seuls alternatifs sont aujourd’hui les groupes de RIF. » (Interview sur le site Coq Gaulois.)
15 Kaiserbund, sur le site BBR.
16 « Les pros sont des collabos », éditorial du site BBR, septembre 2001.
32Mais l’identification à l’excellence contestataire exige aussi de s’en distinguer en dénonçant son impureté et ses compromissions. Le fait que la plupart des groupes engagés à gauche soient produits par de grandes maisons de disques constitue la dénonciation la plus fréquente. On rappelle ainsi que Zebda est « produit par le monstre économique Vivendi-Universal15 » et on avance que « les rockers de métier, bien payés, mais surtout bien contrôlés par les multinationales qui les emploient, ont beaucoup moins de mérite que les petits groupes autonomes et déterminés16 ». Les engagements de ces groupes ne sont pas non plus ignorés mais régulièrement dénoncés – même si, une nouvelle fois, sont reconnues (et enviées) leurs qualités :
17 « Gentillesse bon ton = piège à cons ! », éditorial du site BBR, novembre 2001.
« Songez aux dégâts qu’ont pu faire dans la jeunesse blanche des groupes comme […] Noir Désir ou Matmatah, qui derrière une musique de bon niveau voire même des textes intéressants – ne soyons pas mauvais joueurs – délivrent un message clairement anti-national. » (P. Vardon, in Bouchet 2001, p. 174.)
« Le 10 décembre prochain, des groupes comme Noir Désir, Zebda et Les Têtes raides vont participer à un concert de soutien aux immigrés […] Qu’ils ont de bons sentiments nos collabos du libéralisme mondial ! Pourtant, sous prétexte de solidarité avec les exclus, il s’agit bien de soutenir le système, et non ses victimes. Sous prétexte de solidarité, les rockers de Vivendi et consorts viennent tout naturellement donner un petit coup de pouce au capitalisme international17.»
18 Présentation Basic Celtos sur le site Memorial Records.
33Mais la plus grande frustration des musiciens RIF aura sans doute été de voir un groupe parvenir au succès en reproduisant les formes les plus caractéristiques de leur courant – à savoir l’intégration de sonorités musicales « traditionnelles » à des formes modernes – mais sans appartenir à leur mouvance. Ainsi le succès du groupe Manau « La tribu de Dana » (qui intègre cette référence majeure du RIF qu’est la musique celte) a-t-il été particulièrement mal accueilli par les musiciens RIF : « Le groupe Manau sort “La tribu de Dana” qui donne envie à BC de répondre par “L’histoire de Ronan Kerguénu”, où le petit Dana mondialiste se prend une rouste par un bon breton de chez breton qui en a ras-le-bol de voir sa culture récupérée par les commerciaux déracinés de tout poil18 ! » Nouveau signe de leur domination, les musiciens RIF ne peuvent conserver la maîtrise, ni revendiquer la propriété, de leurs formes musicales les plus originales.
19 Cette dimension identitaire ne peut d’ailleurs être considérée comme spécifique à la seule musique (…)
34La fréquence de ces références des groupes RIF à la culture celte mérite d’être soulignée, non seulement en ce qu’elle signale le double processus de mobilisation et de reformulation des traditions culturelles que Eyerman et Jamison (1998, p. 7) placent au cœur des rapports entre musique et mouvements sociaux, mais surtout parce qu’elle témoigne du marquage idéologique spécifique de la mouvance NR. Ces références ne participent pas seulement, en effet, de la défense des héritages régionaux et de l’enracinement culturel contre le « mondialisme nivellateur des cultures ». Non que celle-ci ne soit pas présente : de même que tous les défilés du 1er mai du FN comptent leur lot de cortèges en costume folklorique (qui, dans la filiation pétainiste, ravivent le souvenir des provinces d’ancien régime), les groupes RIF invoquent fréquemment leur ancrage régional, présenté comme constitutif de l’identité qu’ils s’attachent à défendre. Ainsi, les musiciens d’Aquilonia expliquent-ils sur le site Coq Gaulois leurs références à la Bretagne par « un besoin d’enracinement, de personnalisation, une nécessité de se rattacher à une famille, un pays, “une identité” à une époque où les matricules remplacent de plus en plus les noms19… »
35Mais derrière ce régionalisme, et dans le vocabulaire du « sang » ou du « clan » qu’il mobilise volontiers, transparaît la principale influence idéologique du RIF qui est celle du GRECE. Les propos d’Aquilonia que l’on vient de citer sont précédés de ces phrases significatives : « Quant à la place de la Bretagne dans l’Europe, elle réunit peut-être avec d’autres les derniers européens à ne pas avoir oublié qu’ils étaient des Celtes. Nous ne mettons surtout pas en cause le bon vouloir de chacun mais seulement les destructeurs de notre civilisation tels que la christianisation, les bolcheviques et tant d’autres. » L’inspiration gréciste est sensible dans les noms des groupes (Brixia, Vae Victis et Aquilonia sont des références à la Gaule, Aion à la Grèce antique), les titres ou les textes de leurs chansons qui n’hésitent pas à recourir au latin et qui développent une thématique ethnique européenne, ou les liens assumés avec les représentants de la nouvelle droite (Terre et peuple vendu sur les sites RIF ou présence des groupes lors des fêtes de l’identité organisées par l’association de Pierre Vial). Les références historiques récurrentes à ce passé pré-chrétien trouvent leur principale source d’inspiration dans la mythologie (celte ou scandinave) qui partage son imaginaire guerrier avec des références littéraires elles aussi fréquemment citées : Elendil est à l’origine le nom d’un personnage du Seigneur des anneaux, roman très prisé des jeunes militants NR.
20 Aion déclare sur le site Coq gaulois que « le parallèle entre la Rome antique et le monde moderne (…)
36Ces allusions mythologiques ou littéraires ne font pas qu’afficher publiquement une idéologie ou entretenir la cohésion du groupe par l’exaltation d’un ensemble de références partagées. Elles permettent également, par leur relative légitimité culturelle, l’adoption d’une posture intellectuelle valorisante : signaler que l’on maîtrise suffisamment le latin pour écrire des textes de chansons dans cette langue, mettre en avant (comme le fait un musicien d’Aion) que l’on a soutenu une thèse sur « le rôle de l’empereur romain au combat » ou démontrer que l’on connaît suffisamment l’histoire antique pour tracer des parallèles avec la société contemporaine20 sont autant de manière de se réévaluer en même temps que les positions que l’on défend lorsqu’on est marginal non seulement à l’intérieur du champ politique, mais aussi au sein d’une extrême droite largement dominée par le FN. Ajoutons que la posture intellectuelle adoptée par certains groupes (d’autres jouent sur ce plan une carte beaucoup plus « populiste ») trouve à s’exprimer sur d’autres terrains que les seules références grécistes. Elle se signale dans les allusions récurrentes à la culture légitime (Kaiserbund se réfère à Varèse et Stravinsky) ou dans des formulations recherchées (« nous nous sommes retrouvés dans la démarche du peintre qui à travers un simple tableau se risque à exprimer un concept complexe », avance le même groupe sur le site Coq gaulois). Cette hypercorrection culturelle semble témoigner d’un rapport dominé, empreint de révérence, à la culture légitime (ou plus précisément une culture classique en voie de déclassement). L’absence d’informations sur les origines, trajectoires et capitaux culturels des musiciens empêche toutefois d’aller plus loin dans la compréhension des ressorts sociaux de ces goûts esthétiques et options politiques particuliers.
21 Jeune résistance, n° 25, hiver 2001.
22 Site Coq Gaulois.
37Les interviews des groupes RIF martèlent les principes de l’activisme musical : pour Fraction, il s’agit de « diffuser un message politique clair sur un support musical susceptible de toucher le plus grand nombre21 », tandis que Traboules Gones rappelle que « la musique permet de faire passer pas mal d’idées “en douceur”22 ». Cette mobilisation de la musique à des fins militantes se heurte toutefois aux effets de la double contrainte qui pèse sur le RIF : musique visant à accéder à un extérieur (les jeunes non politisés susceptibles d’être recrutés) et devant à ce titre éviter ce qui tendrait à la disqualifier, elle sert également à l’entretien de la cohésion du cercle de ses adeptes, ce qui tend à la renvoyer à un entre-soi fermé et, en exprimant les références politiques et idéologiques qui la fondent, à en interdire l’accès à ceux qu’elles rebutent. Cette tension est caractéristique de tout univers groupusculaire, inévitablement pris dans une logique de renfermement contradictoire avec sa vocation à l’élargissement politique ou idéologique. Elle ne peut toutefois à elle seule expliquer l’échec du RIF, dont une autre des causes pourrait résider dans le manque de ressources strictement musicales de ses praticiens, c’est-à-dire dans leur amateurisme qui grève son potentiel de séduction auprès du public des jeunes non politisés qu’il voudrait atteindre.
Notes
1 Principalement, car le RIF est aussi diffusé ou valorisé – mais dans une moindre mesure – dans d’autres secteurs de l’extrême droite, tels que les royalistes et catholiques nationalistes. Signalons également que nous ne traiterons ici que du rock identitaire français, et laisserons de côté les groupes similaires d’autres pays (Italie, Espagne, Québec, Slovénie notamment), avec lesquels le RIF français entretient par ailleurs des liens étroits.
2 Pour un panorama historique de la mouvance, voir Mathieu (2003a) et Lebourg (2004).
3 Les citations sont tirées du document de présentation Unité radicale. Questions et réponses.
4 Un milieu associatif à dimension intellectuelle se consacre ainsi à l’étude et à la promotion de l’histoire de la « civilisation européenne », à l’exemple de Terre et Peuple du professeur d’histoire médiévale de Lyon 3 (et ancien responsable FN puis MNR) Pierre Vial.
5 Voir l’exemple de l’engagement des avant-gardes poétiques dans la Résistance étudié par Gisèle Sapiro (1999).
6 Fabrice Robert, « La diffusion de l’idéal identitaire européen à travers la musique contemporaine », mémoire de maîtrise de science politique soutenu en 1996 à l’Université de Nice, cité in Lebourg (2004, p. 399).
7 Cet effet d’homogénéisation de l’étiquette rock n’est en rien spécifique au RIF, comme le montre Mignon (1996).
8 Un musicien de Kaiserbund explique de même sur le site BBR la fondation de son groupe par le fait qu’« il manquait au sein du RIF un pôle “électronique” ».
9 Les grossesses des musiciennes ou chanteuses sont à plusieurs reprises évoquées comme des causes de modification de la composition des groupes. On remarquera à ce propos qu’une des caractéristiques du RIF est sa relative féminisation, a priori étonnante dans des mouvances musicale et politique majoritairement masculines.
10 Fraction, sur le site du Vlaamse Jongeren Mechelen (mouvement de jeunes nationalistes flamands).
11 La brochure de Ras l’Front consacrée au RIF contient des conseils pratiques pour faire interdire un concert de musiciens d’extrême droite.
12 Ainsi la célèbre photo du Che par Korda a-t-elle été détournée par les militants NR, l’étoile sur le béret étant remplacée par une croix celtique. De même est-on frappé par la récurrence, dans les théorisations stratégiques des intellectuels organiques de la mouvance NR, des références au léninisme ou au trotskisme : si les programmes et idéologies de l’extrême gauche sont violemment rejetés, les qualités politiques qui lui sont prêtées sont en revanche enviées et font l’objet de tentatives d’imitation.
13 Ainsi les musiciens d’Ile-de-France regrettent-ils sur le site BBR que « les relais de l’anti-mondialisme, en France du moins, sont souvent entre les mains de véritables internationalistes, qui ne critiquent la mondialisation que pour mieux promouvoir la disparition des États, des peuples et des cultures ». Sur les tentatives d’infiltration du mouvement altermondialiste et d’appropriation de ses thématiques par les militants de la droite radicale, cf. BOUMAZA (2003).
14 « En réclamant la libre circulation des individus, des gens comme José Bové se transforment en responsables des Ressources humaines au service des grandes multinationales », affirme Fraction dans le n° 25, hiver 2001, de Jeune résistance.
16 « Les pros sont des collabos », éditorial du site BBR, septembre 2001.
17 « Gentillesse bon ton = piège à cons ! », éditorial du site BBR, novembre 2001.
18 Présentation Basic Celtos sur le site Memorial Records.
19 Cette dimension identitaire ne peut d’ailleurs être considérée comme spécifique à la seule musique d’extrême droite, ainsi que l’indique la diversité des styles étudiés dans l’ouvrage sur ce thème dirigé par Alain Darré (1996c).
20 Aion déclare sur le site Coq gaulois que « le parallèle entre la Rome antique et le monde moderne est tellement évident et a tellement été abordé qu’il serait vain d’y revenir. Mêmes causes, mêmes effets : cosmopolitisme et dévirilisation entraînent inéluctablement la chute des civilisations, même les plus brillantes et les plus stables. Seul un retour aux valeurs archaïques pourra redonner l’énergie vitale nécessaire au redressement intellectuel, démographique et esthétique de l’Europe ».
Un reportage, tourné au havre, sur un groupe de jeunes skinhead que nous avons suivi pendant plusieurs semaines, pour mettre a jour leur univers, leurs motivations, leur quotidien.
Reportage “Envoyé Spécial” diffusé sur France 2 le 25 janvier 1996.
Commentaire: Marie Noëlle Himbert Images: Patrick Descheemaekere Son: Pascal Querou Montage: Martine Alison