Ces faits divers qui ont marqué la Normandie : La dérive meurtrière des skins havrais en 1995

https://prmeng.rosselcdn.net/sites/default/files/dpistyles_v2/prm_16_9_856w/2023/04/29/node_409763/39519864/public/2023/04/29/B9734151494Z.1_20230429192709_000%2BGAJMM9D3P.2-0.jpg?itok=dx5dl7FC1682790192Le 7 mai 1995, au Havre, un plaisancier met son voilier à l’eau. Il aperçoit un corps flotter. Police, sapeurs-pompiers : personne ne s’étonne dans cette ville où le suicide est plus commun qu’ailleurs. Pourtant, ce cadavre, encore anonyme, est le point de départ d’une extraordinaire affaire de violence raciste commise par des skinheads.
Par la rédaction / Publié: 3 Janvier 2021 à 13h09 Temps de lecture: 8 min 

Mai 1995 en France. Jacques Chirac vient d’être élu président de la République. Le pays est suspendu au résultat des prochaines municipales. L’ambiance est au tout politique et le maire PCF du Havre, Daniel Colliard, sait bien que le RPR Antoine Rufenacht risque de lui ravir la plus grande ville communiste de France. Le 1er mai, Jean-Marie Le Pen a fait défiler ses troupes à Paris devant la statue de Jeanne-d’Arc. Quatre skinheads venus dans les cars du parti frontiste passent en trombe devant le pont du Carrousel, voient deux Maghrébins se tenir par la main, estiment qu’il est temps de « taquiner du pédé, craquer du crouille » et poussent Brahim Bouraam dans la Seine. Il se noie. Indignation nationale, Mitterrand jette une brassée de fleurs dans le fleuve.

Le 7 mai, quand la police repêche un corps dans le bassin Vauban du Havre, personne ne songe à la violence raciste. C’est encore un suicidé, un accidenté, pense-t-on. La section opérationnelle spécialisée de l’inspecteur Daniel Blondel lance un appel à témoins pour identifier le mort. Le 11 mai, dans le quartier du Bois-de-Bléville, fait de chômage et de béton, Zouina Bouhoud s’alarme. Elle a vu l’appel à témoins, craint qu’il ne s’agisse de son fils adoptif Imad, âgé de 19 ans, diabétique et disparu depuis le 14 avril. Avec son mari, elle se rend au funérarium et identifie le corps.

La devise des SS gravée dans la peau

Au même moment, dans la ville basse, un skinhead âgé de 22 ans, tout juste sorti de prison, est interpellé dans un commerce de vêtements pour avoir tenté de passer un chèque volé. C’est David Beaune. Il entre et sort de prison depuis qu’il a 16 ans. Il a la croix gammée tatouée sur le corps, la devise des SS gravée dans la peau. Il sait que son arrestation peut lui coûter cher. Il est en récidive. La police perquisitionne son minable meublé du quartier de l’Eure et le skin s’aperçoit que l’ami qu’il héberge a tout saccagé chez lui. Il s’agit d’un autre crâne rasé âgé de 19 ans, Mickaël Goncalvès, tout juste sorti de chez les parachutistes de Tarbes. Goncalvès lui a même piqué ses disques de la Waffen SS. C’en est trop.

« J’ai peut-être quelque chose à te dire », murmure en garde à vue le skin à l’inspecteur Olivier Boulard, qui connaît la mouvance sur le bout des doigts pour avoir élucidé une sombre affaire de violences un peu avant. « Mais est-ce que ça peut me rapporter quelque chose ? ». « Je l’ai laissé venir », raconte le policier. Après trois auditions, en toute fin de garde à vue, Beaune avoue qu’avec Goncalvès, il a rencontré Imad Bouhoud le 18 avril, aux abords de la gare SNCF. Sous le prétexte bizarre d’essayer une arme qui ne fonctionne pas, le groupe va vers le bassin Vauban. Beaune attrape le jeune par le col, Goncalvès le pousse à l’eau. Imad, complètement ivre, se débat un peu et sombre. « Un de moins », exulte Beaune. Meurtre raciste précédé d’un guet-apens ou violences mortelles ?

Vu le tapage lié au meurtre de Brahim Bouraam, vu le contexte électoral, vu les violences racistes et les assassinats qui ont accompagné ce début d’année politique, la police craint le pire tandis qu’un juge met en examen Beaune pour non-assistance à personne en danger et délivre un mandat d’arrêt contre Goncalvès.

La police tape partout où les skins ont été vus : dans le bunker et le fort de Sainte-Adresse, près de la plage, dans le quartier de l’Eure. Sans succès. Elle garde surtout le couvercle sur l’information, car elle sait bien qu’elle est explosive. Mais, le 20 mai, Le Havre-Libre révèle l’affaire, raconte que Goncalvès est en fuite et détaille que la victime « savait nager » selon sa famille.

Le 22 mai, après un week-end où la tension est montée dans le quartier, les jeunes explosent. Ils se regroupent dans le quartier du Bois-de-Bléville vers 20 h, veulent manifester, se dirigent dans le quartier de pavillons de Sanvic avant de s’arrêter devant le Bar des Témoins. Un estaminet connu pour accueillir depuis des années les skins et leurs amis parisiens. C’est l’émeute. Les jeunes massacrent la façade à coups de pierres, s’en prennent aux consommateurs et la police fait refluer la révolte jusqu’au funérarium. Les émeutiers grillent des voitures et des poubelles. Les sapeurs-pompiers, mal avisés, débarquent en plein champ de bataille. Un cocktail Molotov s’écrase sur leur camion. « Ils ont voulu nous tuer. »

« J’ai bien rigolé quand il est mort le bicot »

Une marche blanche est organisée le 24 mai, elle tourne à l’insurrection en plein centre-ville. Tant que Goncalvès n’est pas « serré », les commerçants craignent le pire et la ville succombe au jeu des rumeurs. Le corps d’Imad était incomplet : est-ce le résultat de trois semaines dans l’eau et des crabes ou l’effet de la cruauté des skins avant qu’ils n’abattent leur victime ? Des cadavres d’arabes ? Il y en aurait des dizaines dans les bassins. Le skin n’est pas arrêté ? La justice et la police sont partiales. Des spécialistes de la guérilla urbaine vont arriver du « 93 », des skins d’Angleterre et l’affrontement sera terrible. La presse révèle que Beaune, la veille du meurtre, est passé à un meeting de Bruno Mégret au Havre, alors n° 2 du Front National. Collusion ? Incitation à la haine ? L’ambiance est plus que jamais explosive.

Le 1er juin, parce que le juge Christian Balayn a placé les parents de Goncalvès sur écoute et qu’ils se sont montrés bavards, la police débarque au domicile portugais d’un grand-parent du fugitif et l’arrête. Il reconnaît globalement les faits, mais accuse Beaune d’être le principal responsable du drame. Les rumeurs cessent. Comme Goncalvès a la double nationalité, il est jugé au Portugal après bien des péripéties. Il fait le salut nazi en début d’audience et se voit condamné à dix-huit ans de réclusion.

Ce n’est que le 10 décembre 1997 que s’ouvre le procès de Beaune devant la cour d’assises de la Seine-Maritime. Il se dit « complice », mais pas auteur. Il est pourtant mis en examen pour meurtre. Il écrit à une amie dans des lettres sorties du parloir : « J’ai bien rigolé quand il est mort, le bicot. » Alors, seulement complice ? « Trop facile », grogne Me Dominique Tricaud, avocat de SOS-Racisme et de la famille Bouhoud. L’avocat reprend le dossier et brandit deux cahiers d’écolier. Ce sont les écrits d’un « néonazi de France », des cahiers rédigés par Beaune pendant sa détention. Il y avoue et y glorifie sa haine du juif, de l’arabe, défend l’idée de créer des camps de concentration dans le bocage normand, hurle sa détestation de l’autre et s’avoue sans aucun remords. Comment décrit-il le drame ? « Cette nuit-là, la folie de la mort a envahi tout mon être. J’avais envie de cogner. De frapper. Nous avons rencontré Bouhoud aux abords du bassin Vauban, nous l’avons précipité dans l’eau glacée. Sans un cri, sans un hurlement, son corps a coulé. Ma soif de sang était assouvie. » Il est condamné à dix-huit ans de réclusion criminelle.

Beaune et Goncalvès, des loups solitaires ? Pas vraiment, comme la suite de l’affaire va le démontrer. Pendant le procès de Beaune, un ex-skin, Michel Huquet, témoigne. Il dit que Beaune est le plus violent, qu’il est sans doute le plus coupable. Menacé après le procès, il pousse la porte de l’inspecteur Boulard et détaille une autre scène de meurtre. En 1990, il a 15 ans. Il est un jeunot dans cette bande qui ne jure que par « la bière, la baston, la baise ». Il voit ses mentors, Régis Kérhuel – le bassiste des Evil Skins qui chante les louanges du Zyklon B – et Joël Giraud, forcer un jeune Mauricien, James Dindoyal, à avaler une bière empoisonnée. Elle contient de la soude caustique. La victime est jetée à la mer depuis une digue, arrive à se réfugier chez un médecin et meurt trois semaines plus tard, les intestins rongés, à l’hôpital du Havre. Le drame a lieu dans la nuit du 18 au 19 juin 1990. « Ce soir-là, témoigne Michel Huquet, Joël Giraud voulait casser du boucaque. » Boucaque ? Une contraction raciste de bougnoule et de macaque. C’est Kérhuel qui a accueilli Beaune dans la mouvance skin.

Les deux crânes rasés condamnés à vingt ans de réclusion

Arrêtés, les crânes rasés crient leur innocence. Leur passé ne plaide pas en leur faveur. Précurseurs du mouvement skin en France, ils ont rejoint les Jeunesses nationalistes révolutionnaires de Serge Ayoub, ce fils de magistrat surnommé Batskin et devenu porte-parole des crânes rasés de France. Régis Kérhuel a été arrêté des dizaines de fois. Toujours pour des violences. « Je n’ai pas pu participer au meurtre, j’étais à Paris avec Serge Ayoub », plaide Kérhuel lors de son premier procès en octobre 2000. Ce dernier croit que son grand ami va le sauver, lui donner un alibi. Batskin a suivi les audiences à distance. Il est convoqué à la barre. Il sait qu’un témoin, dont personne n’a pu vérifier la version, l’a placé sur les lieux du crime. « Ce jour-là, j’étais dans un avion qui allait au Japon ». Ayoub « lâche » son frère d’armes.

Les skins, si c’est baston tous les jours, c’est aussi un milieu où règnent la trahison et la veulerie. Les deux crânes rasés sont condamnés à vingt années de réclusion criminelle. En 2002, le verdict est confirmé en appel. La sanglante saga des néonazis du Havre s’achève derrière les barreaux.

Skins tueurs à la bière empoisonnée. Les meurtriers d’un Mauricien au Havre démasqués huit ans après.

par Patricia Tourancheau

publié le 9 novembre 1998 à 16h08

La mort de James Dindoyal, un soir de beuverie au Havre, est une «correction» infligée à un «boucaque», mélange de bougnoule et de macaque, qui n’avait pas à passer par là. La triste fin de ce Mauricien de 23 ans sur la plage «du bout du monde» a été élucidée huit années plus tard, après les révélations à la police de Michel H., un «jeunot» de la bande à l’époque.

Ce 18 juin 1990, des crânes rasés du Havre ­ la bande Blood and Honour ­ et des durs de Paris se retrouvent à trente devant l’église du quartier Sanvic, achètent des packs de bière et des bouteilles de rhum chez Champion, puis filent au bunker sur la falaise en face du fort de Sainte-Adresse. Circuit habituel. Le soir, les voilà «chauds», qui descendent sur la plage au bistrot la Bodega s’envoyer encore des «barons» de bière. Selon Michel, le chef Joël Giraud donne le signal du départ: «On bouge, pour aller casser du boucaque.» Il interdit aux deux mineurs, âgés de 15 ans, de sortir. Michel et «Cafard» restent. Les «autres, Kerhuel, Cédrose, Poisson, Mammouth et trois meufs suivent Giraud».

«Trempette». Du bar, Michel observe le manège des dix qui se dirigent vers la digue. «Trois garçons reviennent sur le parking pour prendre un sac dans le coffre de la voiture de Giraud», puis rejoignent le groupe. Au bout d’une demi-heure, tout le monde réintègre la Bodega, hilare. Giraud lance: «On s’est bien marrés, il a bien picolé, celui-là, avant de faire trempette.» Le «jeunot» du groupe a gardé ses doutes jusqu’au 10 avril 1997. Ce jour-là, Michel, qui a témoigné dans une autre affaire de crime raciste (1), dépose plainte au commissariat pour «menaces de mort» à cause de coups de fil. En gage de sa bonne foi, le «repenti» branche les policiers sur «l’histoire du Pakistanais». Dans les archives, les enquêteurs trouvent trace de la mort classée sans suite d’un étranger, James Dindoyal, né le 11 juillet 1966 à l’île Maurice, décédé le 3 juillet 1990 au Havre, de façon atroce. Un médecin de Sainte-Adresse avait trouvé devant sa porte un jeune homme qui «se tordait de douleur, de la bave sanguinolente aux lèvres». A l’hôpital Monod, James Dindoyal avait parlé d’une agression violente, d’une boisson bizarre avalée de force. Avant de plonger dans le coma. Et de succomber, seize jours plus tard, de ses brûlures à l’estomac. Selon l’autopsie, la mort a été causée par «l’ingestion d’un produit caustique» indéterminé.

Le film "Un Français" s'inspire de ces faits pour une de ses scènes

Aiguillés par Michel sur la piste des boules à zéro, souvent désignés par des noms de guerre et éparpillés aux quatre coins de France ­ Paris, Bordeaux, Perpignan, Le Havre ­, les policiers ont mis une année à démasquer les skinheads meurtriers. Le 12 juin 1998, six suspects ont été mis en examen par le juge Christian Balayn, du Havre, pour l’homicide de James Dindoyal.

Empoisonnement. Régis Kerhuel, 33 ans, maître-chien, et Joël Giraud, 30 ans, qui crient à la «dénonciation calomnieuse», sont accusés d’«empoisonnement». Pascal Liberge, dit «Poisson», 31 ans, qui se prétend «absent ce soir-là», Cédric Haudebout, «Cédrose», 29 ans, Carmen Vicente, 31 ans, qui «n’a rien à voir avec ça», et Elodie Lagarde, 24 ans, sont soupçonnés de «complicité». Les quatre garçons ont été écroués, les deux filles placées sous contrôle judiciaire. Me Dominique Tricaud s’est constitué partie civile pour la famille de James Dindoyal, ainsi que SOS-Racisme.

Régis Kerhuel et Joël Giraud sont des lieutenants de Serge Ayoub (2), un inconditionnel de la batte de base-ball surnommé «Batskin», qui a monté les Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR) à Paris en 1987 et a soutenu en hooligan le club de foot du Paris-Saint-Germain. «Carmen de Normandie» fabrique alors un fanzine, Bird’s Band, avec Elodie et Greg, le chanteur du groupe Viking. Son compagnon Giraud et Kerhuel, «partisans du White Power», traversent Le Havre «déguisés en grands chefs du Ku Klux Klan», tiennent des «réunions secrètes» pour monter un groupe KKK, «organisent les trajets sur Paris pour aller aux manifs du Front national, à la fête des Bleu-Blanc-Rouge ou au défilé à Jeanne d’Arc», et participent à des services d’ordre du FN au Havre et à Paris, «contre rémunération».

«Drôle de goût». Embrigadé par Kerhuel dans Blood and Honour, Cédrose a rapporté aux enquêteurs la scène du crime. «Assis sur la digue, on a vu passer un bien bronzé qui se promenait vers la mer, pas noir ni maghrébin, mais comme un Pakistanais. On l’a insulté, traité de sale boucaque: “Retourne dans ton pays. Il n’a rien dit. On lui a barré la route, on l’a entouré et bousculé. On le provoquait pour obtenir une réaction de sa part. Il voulait partir mais ne se défendait pas. On attendait qu’il se rebiffe pour le frapper. Les chefs ont décidé qu’on allait le forcer à boire. Il a vidé une bière sans rien dire. C’est la première fois qu’on faisait ça. On n’avait pas pour habitude d’user de la bière pour un boucaque. Comme il avait accepté une bière normale, Giraud et Kerhuel ont eu l’idée de lui en préparer une autre, ils se sont absentés quelques instants. Mort de trouille, le gars avait du mal à boire la deuxième bière, il faisait la grimace, il se plaignait qu’elle avait “un drôle de goût. Giraud et Kerhuel répondaient: “Mais non, c’est rien, elle doit être éventée. Soit tu la bois, soit on te tabasse. Finis ta bière, et on te laissera partir. Le mec l’a toute bue et a cherché à s’en aller. Le ton est monté, et on l’a balancé à l’eau par-dessus la rambarde. Il est remonté sur ses jambes vers la plage, trempé.» Aujourd’hui, Cédrose refuse de confirmer au juge ce long récit qu’il aurait livré «sous la pression de la police». Elodie Lagarde, elle, maintient ses aveux. Cheveux rasés sur le côté, petite queue-de-cheval, tatouée, elle est restée en retrait avec Cédrose et Carmen: «Notre rôle à tous les trois a été de servir en deuxième rideau à empêcher le gars de se barrer.» Pascal Liberge, alias Poisson, fut «l’un des gros bras qui maintenaient le gars», et Joël Giraud, «l’un des instigateurs de la correction» avec Régis Kerhuel, qui «a tendu la nouvelle canette de bière décapsulée au Black»: «Ils n’admettaient pas de personnes étrangères au groupe sur leur territoire, même simplement de passage. L’intrus était prié de s’en aller. Si, en plus, il était bronzé, il avait droit à une correction.» Sa copine Carmen Vicente prétend qu’elle est hors du coup. Mais, ex-femme de Joël Giraud, chef de la bande du Havre avec Régis Kerhuel, elle a raconté toutes leurs sales histoires.

Chat égorgé. Kerhuel et Giraud raffolent d’un «petit cocktail à base d’eau chaude, d’absinthe et d’alcool à 90°». Carmen, buveuse de whisky, a goûté à leur mixture et a souffert de brûlures d’estomac. Elle dépeint ses amis en tortionnaires. Giraud l’a souvent frappée les soirs de soûlerie, «cocards, bleus et autres», et lui a «cassé la jambe, d’un coup de pied au tibia». Kerhuel, lui, «aimait faire souffrir les animaux». Un jour, il a mis «son rat blanc dans une bouteille d’eau-de-vie pour le tuer». Un autre, il a «égorgé un chat en forêt de Montgeon pour manger son coeur, une sorte de messe noire». James Dindoyal, le pauvre «boucaque» échoué sur la plage «du bout du monde», a avalé leur breuvage mortel, un mélange de bière et de soude, ou d’acide, ou peut-être d’eau de Javel.

(1) Le meurtre d’Imad Bouhoud, noyé dans le port du Havre le 18 avril 1995 par David Beaune et Michaël Goncalves, deux skinheads du Havre.

(2) Serge Ayoub, Régis Kerhuel et Joël Giraud ont été condamnés ensemble pour l’agression de Karim Diallo à Paris en 1990 sous l’oeil des caméras de la 5.

https://prmeng.rosselcdn.net/sites/default/files/dpistyles_v2/prm_16_9_856w/2023/04/29/node_409763/39519864/public/2023/04/29/B9734151494Z.1_20230429192709_000%2BGAJMM9D3P.2-0.jpg?itok=dx5dl7FC1682790192

Le skinhead David Beaune a été condamné à dix-huit ans de réclusion criminelle

https://www.lemonde.fr/archives/article/1997/12/14/le-skinhead-david-beaune-a-ete-condamne-a-dix-huit-ans-de-reclusion-criminelle_3810383_1819218.html

David Beaune n’est pas parvenu à convaincre ses juges. Dans la soirée du vendredi 12 décembre, les jurés de la cour d’assises de Seine-Maritime l’ont reconnu coupable du meurtre d’Imad Bouhoud, un jeune beur âgé de dix-neuf ans, le 18 avril 1995, et l’ont condamné à dix-huit ans de réclusion criminelle. Il écope ainsi de la même peine que celle infligée à Mickaël Gonçalves, son comparse, jugé pour les même faits, le 4 juillet, par le tribunal de Braga, au Portugal. Les deux jeunes hommes s’accusaient l’un l’autre de la responsabilité du meurtre d’Imad Bouhoud, mort noyé dans les eaux du bassin Vauban, au Havre.

Dans son réquisitoire, l’avocat général Jean-Louis Lecué a souligné qu’« il est fondamental de dire haut et fort que David Beaune a commis un meurtre raciste », et a demandé à la cour de lui infliger une peine de vingt ans de réclusion criminelle. Me Jean-Michel Vincent, avocat de l’accusé, a, pour sa part, mis en avant l’histoire difficile de David Beaune. Abandonné à l’âge de deux ans par ses parents, « il avait besoin d’une autre famille », a-t-il notamment suggéré.

A l’énoncé du verdict, David Beaune n’a pas paru surpris. Avant que la cour ne se retire pour délibérer, il a une dernière fois pris la parole, affirmant ne pas réclamer « la clémence » de ses juges. Plus tôt dans la journée, il avait déjà dit : « Je vais m’expliquer sur les faits. Je suis là pour assumer mes actes. » Une stratégie différente de celle adoptée jusque-là. A l’ouverture du procès, David Beaune était, en effet, apparu borné, presque arrogant, quand il revendiquait à la barre son appartenance au mouvement skinhead et son attachement aux idées racistes et xénophobes (Le Monde du 11 décembre). Cette attitude suicidaire augurait mal de la suite. Pourtant, au fil des audiences, l’accusé avait modulé son propos, allant même, au soir du premier jour, jusqu’à adresser des excuses à la famille de la victime.

PLUSIEURS LETTRES

A l’ouverture du troisième et dernier jour d’audience, David Beaune a pris toute sa part de responsabilité dans la mort d’Imad Bouhoud. Bien sûr, de nouveau il affirme ne pas avoir poussé le jeune beur dans le bassin Vauban. « C’est Mickaël Gonçalves qui l’a fait, alors que je retenais Imad par le col de son blouson », précise-t-il. Le président Jean Reynaud s’étonne alors que l’accusé n’ait jamais formé de demande de mise en liberté. « Vous considérez-vous coupable de quelque chose ? », a-t-il demandé. « Oui, de complicité de meurtre. » « Pourquoi ? » « Parce que j’ai lâché Imad Bouhoud. » « Au début, ajoute-t-il, j’avais bien la haine. La prison a alimenté cette haine. Maintenant, c’est comme des regrets, j’essaie de trouver quelqu’un pour me sortir de ça. »

Le petit monde skin de David Beaune. Vingt ans de réclusion requis contre le meurtrier présumé d’Imad Bouhoud.

par Brigitte VITAL-DURAND

publié le 13 décembre 1997 à 15h38

Rouen envoyée spéciale

Les skins du Havre étaient un petit monde. «Une vingtaine de garçons, trente avec leurs copines», dit le jeune lieutenant de police en charge de leurs dossiers. Le groupe a éclaté aujourd’hui. Il s’est dispersé après le meurtre d’un Tunisien de 20 ans, Imad Bouhoud, noyé le 18 avril 1995 dans un bassin de la ville et l’incarcération de l’un des leurs, David Beaune, qui comparaît depuis mercredi devant la cour d’assises de Rouen, accusé du crime. Son complice présumé, un portugais, Mickaël Gonçalves, a été condamné dans son pays à 18 ans d’emprisonnement.

«Idéal commun». Vingt garçons. Des inséparables. Réunis par les bières, les fêtes dans les bunkers des dunes, à écouter les Garçons Bouchers, à défoncer des carcasses de voitures. Ils allaient au Bar des Témoins, parce que là, jure David Beaune, «je n’ai jamais vu un seul Noir ni un seul Arabe». Ils avaient un «idéal commun: la race blanche». Ces fêtes, et les bagarres de rues, les «bastons», c’était «une époque qu’il n’oubliera jamais». Il avait 22 ans. Il s’était inventé un surnom «Toten». Mickaël Gonçalves, c’était Mickey. Les autres, Précoce, Cafard, Bourdon.

Quand l’un faisait quelque chose, les autres suivaient. «Jeter un Maghrébin à l’eau, est-ce que c’était une idée que l’on pouvait émettre dans le groupe ?», demande l’avocat de la famille Bouhoud à l’un des garçons appelé à témoigner: «C’était une idée qui circulait, moi, je n’étais pas d’accord, mais dans le groupe, on ne pouvait pas donner son opinion.» Il fallait suivre le chef, Leroy. «C’est lui qui disait ce qu’il fallait faire», poursuit l’ex-skin. «Et qu’est-ce qu’il disait qu’il fallait faire?», insiste l’avocat. «Rien. La plupart du temps, il buvait, alors on ne faisait rien.» Un jour, pourtant, il a collé des affiches pour le Front national. Il hausse les épaules: «C’était avec Willie et Ludovic. Il y en a un qui le faisait, les autres suivaient.» Quand, deux mois avant la noyade d’Imad Bouhoud, Mickey est monté dans un bus de la ville, a sorti son pistolet et a menacé un groupe d’enfants arabes, David Beaune était avec lui.

Les filles avaient 14 ans, comme Stéphanie, une lourde blonde. Elle est au lycée aujourd’hui. A la barre des témoins, elle éclate en gros sanglots quand on l’interroge: «Qu’est-ce que c’est que cette race normande dont vous vous revendiquiez?» «Un petit peu comme si on était les descendants des Vikings, blonds, de type français». A 14 ans, elle pensait qu’il y avait «des races inférieures, toutes celles de couleurs et les juifs». Elle pensait qu’il fallait «les éliminer». Cendrine est l’ancienne amie de l’accusée. Raide, dure. Elle a 21 ans aujourd’hui. Fille de commerçants du Havre, elle a quitté Beaune quand il a été arrêté pour se marier avec un autre skin du groupe. Après la mort d’Imad Bouhoud, c’est elle qui a répété aux policiers ce que Mickey lui avait dit: «Tu vas trouver ça rigolo, j’ai poussé un mec à l’eau.» A 19 ans, elle voulait «monter une petite section des Jeunesses hitlériennes» et «éclater les crouilles».

Dans sa cellule, David Beaune écrit beaucoup. Des lettres qu’il avait fait passer en douce, qu’il signait A.H., Adolf Hitler, et que la police a retrouvées: «C’est la première fois qu’un skin tue un Sarrazin, il s’est débattu dans l’eau, quel spectacle de choix!», lit le président de la cour d’assises. Il écrit sur des cahiers, de la marque Guillaume le Conquérant, de longs chapitres où il raconte sa vie. Le chapitre III est intitulé «Béatrice et moi». Il avait 16 ans, il a eu un enfant avec «Béa», un fils. «Vous écrivez que, quand votre fils avait 7 ou 8 mois, vous lui avez appris à faire le salut la main levée comme le faisait Hitler. C’est vrai, ça?», lui demande le président de la cour d’assises. «Oui», dit simplement David Beaune.

«Ah! voilà Hitler!» Il a été élevé au Havre par la sœur de son père, «Tata». Tata a 65 ans aujourd’hui, elle a fait le déplacement jusqu’au palais de justice de Rouen pour prendre sa défense. Quand David venait chez elle avec Mickey, elle leur faisait enlever leurs insignes. Pour les bombers, les jeans, les rangers, les cheveux rasés, elle ne disait rien, «il y a beaucoup de jeunes comme ça». Ce qu’elle ne voulait pas à la maison, c’étaient les croix gammées. Elle avait connu la guerre. Son mari, un ouvrier, employé municipal du Havre, alors ville communiste, avait «sa carte CGT comme tout le monde». Quand David Beaune venait chez elle, elle disait: «Ah! voilà Adolf Hitler!» «Pourquoi l’avez vous surnommé “Dodolf?», lui demande l’avocat des parties civiles. «Moi? J’ai dit ça?», hésite-t-elle, «c’était en rigolant peut-être».

Elle aime David «comme ses propres enfants». Elle l’a adopté quand il avait 2 ans, sa mère venait de l’abandonner. Un an plus tard, son père a été condamné à dix ans de prison pour un incendie volontaire, il a récidivé, et ne s’est plus montré en famille. Disparu. Elle ne sait pas s’il est encore vivant. A la cour, la vieille dame a expliqué que David «n’a jamais été malpoli, il n’a jamais rien dit jusqu’à l’âge de 16 ans. C’est après, quand le juge des enfants l’a mis dehors, qu’il a été livré à lui-même». Au moment où il a été arrêté pour le meurtre d’Imad Bouhoud, il avait un éducateur, un homme qui entretenait des relations particulières avec lui : il avait pris l’habitude de se faire battre par le jeune skin, ou par Mickey.

«Moins un». David Beaune porte une large cicatrice. Il s’est brûlé avec une fourchette pour effacer le tatouage d’un juif en flamme. Il a gardé une croix gammée sur l’épaule, un pitt-bull, et des inscriptions «White power», «I fuck you» sur une cuisse. Avant de comparaître devant la cour de Rouen, il avait été condamné cinq fois, pour des vols, des incendies volontaires. Lorsque le jeune Tunisien a coulé, il s’est tourné vers Mickey. Il lui a dit: «Moins un». L’avocat général a requis 20 ans réclusion criminelle.

Les skinheads du Havre (1995) – Reportage Envoyé Spécial

Un reportage, tourné au havre, sur un groupe de jeunes skinhead que nous avons suivi pendant plusieurs semaines, pour mettre a jour leur univers, leurs motivations, leur quotidien.

Reportage “Envoyé Spécial” diffusé sur France 2 le 25 janvier 1996.

Commentaire: Marie Noëlle Himbert Images: Patrick Descheemaekere Son: Pascal Querou Montage: Martine Alison

«Moi, David Beaune, néonazi de France». Le skinhead, impliqué dans la mort d’un jeune beur, a écrit ses carnets en prison. Extraits.

par Patricia Tourancheau

publié le 21 octobre 1995 à 8h48

David Beaune, 23 ans, est incarcéré depuis le 15 mai pour  «non-assistance à personne en danger et non-dénonciation du crime» d’Imad Bouhoud, 19 ans, que son copain Michael Goncalves est accusé d’avoir précipité dans le port du Havre, le 18 avril. En perquisitionnant chez Beaune, la police a découvert un cahier, «L’aventure sans étoile», «dédié à mon fils Allan, petit être de 4 ans.» Il a été commencé le 30 juin 1994 à la maison d’arrêt de Rouen, où le jeune homme purge alors une peine pour «vol avec violence». Libération n’aura jamais de mots assez forts pour condamner l’idéologie néonazie. Si nous choisissons de donner à lire des passages du cahier de David Beaune, c’est pour tenter de comprendre comment, aujourd’hui en France, des skinheads peuvent devenir des criminels racistes. «Le destin est parfois cruel envers les hommes, tout être humain a une destinée différente, la mienne est stupéfiante, voire rejetable, mais il en est à vous et à vous seul d’en juger!»

Ma mère. «Vers six mois, mes parents se sont séparés et, ne voulant pas que je reste avec ma mère, mon père me confia à ma tante. Cette affaire alla tout droit devant les tribunaux de grande instance du Havre. J’ai bien commencé ma triste carrière. Ma tante eut droit à ma garde. Elle avait déjà deux filles, Marie-Hélène et Martine, plus deux garçons, Marcel et Laurent, donc j’étais le plus jeune de la famille. Nous habitions rue des Bleuets, ce n’était pas Beverly Hills ni Oxford City, mais plutôt le Bronx. A l’époque, tout le monde se tirait dessus pour rien. Nous avons déménagé rue des Saules, une autre partie d’Aplemont, beaucoup plus calme. Ne pouvant subvenir à nos besoins, ma tante se mit à travailler la nuit, elle faisait le ménage. Aujourd’hui, je sais très bien que c’est pour moi qu’elle avait repris le travail.»

Cafard. «Douze années que je connais Cafard, et je n’ai plus aucun respect ni le moindre signe de compassion envers lui depuis trois ans. Pourtant, nous avons vécu de merveilleuses années. Tout commença un après-midi où j’avais bastonné un mec de mon âge qui m’avait dit: Je vais le dire à mon cousin. Quelques minutes plus tard, je vis un type chaussé de rangers, un treillis de l’armée, un Bomber’s noir et une crête jaune. Nous parlâmes et nous avons lié des liens style musique, tenue vestimentaire, etc. Dès lors nous étions inséparables, toujours à s’épauler dans les coups durs. Nous nous sommes fait des meufs ensemble. Nous avons pris de la drogue ensemble, vers 15 ans. Nous avions un idéal commun: la race blanche.

«Je me souviens que nous passions tous nos après-midi à la forêt de Montgeon au lieu d’aller tout simplement à l’école, nous allions aux balançoires, et nous faisions les fous à nous balancer dans tous les sens. Cafard avait un gros poste et nous écoutions les Béruriers noirs, les Garçons bouchers, avec une grenade dans la poche, car nous faisions de la détection d’armes anciennes au bois de la Comtesse, à Caucriauville. Vint le temps des virées à Mammouth, le trafic des jeux électroniques, sniffer des produits nocifs tels que le dégoudronnant et le trichlo, derrière les chaînes de magasins (Décathlon, Monsieur Meuble, Cuir Center). Notre amitié commença à se dégrader lorsque j’ai connu Béatrice.»

L’hôpital psychiatrique. «A ma sortie de prison, le 18 septembre 1989, sans domicile où aller, puisque j’avais quitté le foyer de mes parents vers 14 ans, comme aucun foyer pour jeunes délinquants ne voulait de moi en raison de mon agressivité envers les éducateurs et les autres jeunes, je ne savais où aller. Le juge des enfants, encore responsable de moi jusqu’à 18 ans, décida de m’interner pendant sept mois en hôpital psychiatrique, dans un service pour les jeunes ayant des problèmes à dominer leurs nerfs. Je me doutais pourquoi j’allais là-bas. J’avais fait mes preuves en matière de violence: sauter une fois sur le thorax d’un gendarme et lui lancer une plaque d’égout dans le bassin, sans oublier les bagarres dans les bars en Bretagne, où j’avais mis deux coups de couteau dans le ventre d’un marin, j’étais pris au piège…

«A notre arrivée au centre Pierre-Janet, une ravissante jeune femme me montra ma chambre, j’étais seul, je pouvais avoir ma clé, et j’avais le droit de sortir jusqu’à 21 heures. Le soir, j’allais chez ma mère, et en rentrant, je flânais dans les rues. En rentrant, je prenais une douche et je m’installais devant la télé avec d’autres jeunes. Ce qu’on ne m’avait pas dit, c’est que je devais prendre des cachets et des gouttes. Je voyais bien où cela menait. Les autres internés des pavillons, sous étroite surveillance, se comportaient d’une façon euphémistique. Je me doutais que l’absorption des médicaments en était la cause. Donc, je donnais mes cachets à un type, mais ce petit jeu ne dura pas longtemps. Une infirmière découvrit ma tactique et en informa mon psy qui, mécontent, ordonna de me clouer au lit avec une piqûre. Un soir, je reçus un coup de téléphone de Béatrice, cette fille qui correspondait avec moi quand j’étais incarcéré à la maison d’arrêt de Rouen, où elle m’avait fait parvenir une photo.»

Béatrice et moi. «Nous sortions ensemble, tout était neuf, tout était beau, nous allions à la mer le soir (…).

«Nos rapports se dégradèrent lorsqu’un après-midi, nous avons rencontré Cafard et Gaëlle. Béatrice vit un skinhead et une «bird’s» (un fille avec une crête comme un oiseau, ndlr) tenir conversation avec moi. Elle ne savait pas que j’étais un skinhead qui avait coupé avec le mouvement, depuis ma libération. Elle fut un peu choquée et bien sûr insista pour que nous nous en allions, ce que je fis. Je voyais bien qu’elle n’était pas heureuse, son comportement avait changé à mon égard, juste l’idée que son mec parle avec des nazis la dérangeait. Pourquoi devais-je avoir honte de mon passé puisque, dès mon plus jeune âge, j’avais fait partie de ces fameux mouvements d’extrême droite? Je n’avais jamais eu l’occasion de défendre mon point de vue sur ces Arabes envahisseurs qui viennent jusque dans nos campagnes égorger nos fils et nos compagnes.

«Les parents de Béatrice étaient de fervents admirateurs de Staline et membres du Parti communiste, opposés avec acharnement aux racistes ainsi qu’aux défenseurs de la race blanche. A ce niveau, moi, néonazi de France, j’étais dans une position délicate, car Béatrice soutenait bien naturellement ces deux rouges en puissance, ces abcès où il faut porter le scalpel ! Bien qu’elle soit en faveur de ses parents, elle n’a jamais su ce qu’est le communisme, et encore moins définir le mot national-socialisme! Poussée par ses parents, qui voulaient la faire rompre, elle hésitait et je sus remettre les choses en ordre, jusqu’au jour où elle me proposa une place de peintre en bâtiment. Je n’ai jamais eu le sens du travail. J’étais à cette époque un original. Pas question de bosser et d’entrer à mon tour dans le système vicieux de la société. Je pris la décision de rompre.»

Au nom d’une idéologie. «Dans le livre Hitler in uns Selbst, notre guide Adolf Hitler, père spirituel de notre voie, cite ces phrases: Les juifs sont des ordures qui pullulent, Ils ne sont qu’une troupe de rats, Des enfants aux vieillards, ils ne sont que des parasites. Si tu n’as pas la pensée du sentiment, ni la tendre figure du frère, alors deviens un néonazi, tu n’as rien à gagner aux côtés de tous ces chiens qui sont bâtardés!

«Notre Fürher est mort pour renaître sous d’autres visages, et ces visages ce sont les nôtres. Que tu sois un grand leader qui enflamme les foules, ou bien que tu sois un simple militant de la cause, tu as une part de l’héritage d’Adolf Hitler à léguer aux peuples nordiques. Défendre sa race est l’acte le plus noble qui puisse être commis.»

Allan. «Le 12 octobre 1990 à 0h40, est né Allan-André-Daniel, mon fils. A la maternité, je le vis tout petit, pas un cheveu sur la tête, je le pris dans mes bras pour l’embrasser, le petit homme faisait des grimaces avec sa bouche, comme s’il se disait: Qui t’es toi? J’étais fier de lui, j’ai pleuré des larmes de joie, ce qui m’arrivait était superbe, malgré mes 18 ans, j’étais papa. Après une semaine, nous sommes retournés chez nous. Toutes les nuits, je me levais pour lui donner le biberon, changer ses couches. A 10 mois, il commençait à marcher, il fallait tout cacher. Un jour, il fit tomber une assiette et, d’un coup, plus personne sur les lieux du méfait, le criminel s’était réfugié dans la chambre. Nous avions un chaton. Un jour, Allan s’amusait avec, quand le chaton le griffa. Bien sûr, les pleurs et les baba (papa) retentissaient. Plus tard, j’entendis un miaulement, et puis plus rien. Allan était assis sur le chaton qui, ne pouvant supporter les vingt kilos du petit monstre, était mort. Allan avait fait justice lui-même. Je pris le chaton et le donnai à un berger allemand qui en fit son repas. (…) J’ai passé seize mois avec lui, seize mois de bonheur complet. Lorsque je me suis séparé d’avec Béatrice, je venais le voir dès que je pouvais, j’avais toujours quelque chose pour lui. La dernière fois que je l’ai vu, il était dans les bras du mec à Béatrice, il me vit et me tendit les bras, je le pris et pendant 30 mn, je ne l’ai pas lâché, il rigolait, il me faisait de gros sourires comme à ses premiers mois, puis Béatrice vint le prendre. Puis je me suis souvent posé la question suivante: est-ce que tu iras le voir un jour? Je ne pense pas que j’essaierai de le revoir car cela pourrait lui créer des troubles dans son équilibre familial. Béatrice s’est remariée, elle a un autre bébé, je pense qu’Allan s’est habitué à sa famille. Tout ce que j’espère pour lui, c’est d’être heureux et que la vie lui réserve plein de bonnes choses.»

Sanvic. «Ce quartier situé sur les hauteurs du Havre, je l’aime. Tout d’abord pour son ambiance. Personne ne regarde personne d’une façon bizarre. J’aime aussi le centre de Sanvic, où est Champion, un grand parking avec des petits magasins, et surtout la laverie automatique. C’est un endroit où nous allions souvent pour délirer. Les parents des copines et des copains y allaient pour leur linge, nous étions toujours assis sur les grosses machines à laver, avec une bouteille, on rigolait bien dans cette laverie. Grâce aux vitres transparentes, nous étions aux premières loges pour voir tout ce qui se passait sur le parking, à Carrefour et à Champion. J’aime aussi la mairie de Sanvic, avec, dans l’arrière-cour, un arbre. Dans cet arbre, il y avait une pie qui, quand nous venions boire, se posait sur le béton et volait les capsules de bière. Un jour, nous avions mis de la bière dans une capsule et elle avait bu les gouttes, nous étions trop morts de rire. Le bar Le Témoin était génial. Tous les skins se retrouvaient le soir dans l’arrière-salle, avec un jeu électronique et un billard. Les gérants nous connaissaient bien, je n’ai jamais vu un seul Noir ou un seul Arabe dans ce bar… Quand les skinheads des autres villes venaient, c’est toujours au Témoin qu’ils allaient, mais ce bar n’a plus la même ambiance depuis 1991.

«Enfin, il y a le fort de Sanvic, c’est l’endroit que j’aime le plus. Devant l’entrée, il y a un bunker, incrusté dans la terre, recouvert d’herbe. De la dalle de béton, juste devant, on voit la plage du Havre, le port où s’enfoncent les car-ferries venus d’Angleterre, on voit aussi les toits des maisons havraises. A l’intérieur du fort, il y a deux bâtiments où se trouvaient les dortoirs des militaires, tout est délabré, les murs sont troués, détruits. Nous montions sur les toits en ruine, cela nous amusait de prendre des risques. Ensuite, il y a la chapelle. Dieu a déserté depuis longtemps cet endroit. Plus loin, dans les hangars à camions, on peut voir des petits tas de pierres en forme de cercle. C’est ici que nous nous réunissions pour faire la fête, l’été. Nous restions là toute la nuit, à boire, discuter, écouter de la musique, à faire des parties de chasse à l’homme. Dans le fort, la nuit, c’est lugubre. Dans les remparts, il y avait des galeries, nous avions mis des cordes pour que, si la police ou des bandes adverses, notamment zouloues, arrivaient, nous puissions nous cacher et sortir du fort par un cimetière situé derrière. Mais mon endroit favori se trouve sur les plaines, il y a des étendues d’herbes hautes à perte de vue, des blockhaus un peu partout, et au bout se trouve le câble d’acier. En dessous, c’est quarante mètres de vide avec des arbres, des carcasses de voitures et des ordures. Notre jeu préféré était de se laisser glisser le long de ce câble et d’arriver en un seul morceau. En dehors de ces endroits, je trouve Sanvic calme. Pas de cités avec d’énormes tours de béton. Les rues sont tranquilles. J’espère y habiter un jour car j’aime vraiment ce coin.».

Document retranscrit par PATRICIA TOURANCHEAU
Actuellement à l’isolement, David Beaune a repris l’écriture de son manuscrit inachevé.

Le Havre: la dérive skin de Michaël. Meurtrier présumé d’Imad, il avait songé à s’engager dans la Légion.

https://www.liberation.fr/france-archive/1995/06/07/le-havre-la-derive-skin-de-michael-meurtrier-presume-d-imad-il-avait-songe-a-s-engager-dans-la-legio_135372/
Michaël Gonçalves, 21 ans, ouvrier surnommé «Baby Boot» par les skinheads, soupçonné d’avoir jeté à l’eau un jeune beur au Havre voilà sept semaines, a été arrêté jeudi au Portugal, dans le village de ses grands-parents. Il y a passé quinze jours à «casser des cailloux» dans une carrière. Aux yeux de «ce gosse turbulent» mais «rude à la tâche» ­ selon ses proches ­, taper sur des pierres n’a rien de travaux forcés. C’est juste un moyen de gagner de la thune au jour le jour.

Les parents divorcés, Maryse, agent hospitalier en région parisienne à «vider les bocaux de sang dans un bloc opératoire» pour 4.500 F par mois, et Manuel, contremaître dans une entreprise de construction navale au Havre, sont en colère d’avoir été devancés par les policiers dans leur quête de Michaël. «On devait aller chercher notre fils samedi au Portugal, avec un laissez-passer pour la frontière, pour qu’il se rende et réponde à la justice. On avait réussi à le convaincre par téléphone», explique la mère, persuadée que, baigné dans une «famille cosmopolite, un père portugais, des Algériens, des Israéliens et Anglais, Michaël ne peut pas avoir commis un crime raciste, tout au plus une bagarre malheureuse entre trois jeunes dans le même état d’ébriété.»

Dans son HLM de Seine-et-Marne, en face d’une mosquée, Maryse avait entassé les habits neufs pour Michaël afin d’en finir avec «son déguisement de skinhead», et quatre tomes de la Bicyclette bleue, le best-seller de Régine Desforges, «réclamés par mon fils».

Une peine de prison attend en France Michaël Gonçalves, qui a la double nationalité, si le Portugal l’extrade. Il est en effet recherché depuis le 29 mai pour le «meurtre» de Imad Bouhoud, 19 ans, français d’origine tunisienne, noyé dans le port du Havre.

C’est son «grand frère» skin, David Beaune, 23 ans, mis en examen le 15 mai par le juge Christian Balayn pour «non-assistance à personne en danger, et non-dénonciation de crime» qui l’a balancé. Un corps anonyme repêché le 7 mai dans le bassin Vauban a été identifié cinq jours plus tard. David Beaune, nom de guerre Étoile de David, a été attrapé le lendemain pour avoir «dépouillé» et déshabillé un couple. Aiguillé sur le «noyé», David Beaune est passé aux aveux sur la virée du 18 avril avec Michaël, dit «Mickey»: «On est sorti à 23h30 de chez mon éducateur, on est descendu à la gare, on a vu deux maghrébins qui se disputaient, l’un est parti dans une voiture, on est allé voir l’autre qui était saoul.» David Beaune prétend qu’Imad Bouhoud a lancé: «Je suis skin moi aussi et j’aime pas les arabes, alors on va les attaquer.» David Beaune a poursuivi: «À 500 mètres au bord du bassin Vauban, ce type a essayé de piquer mon pistolet à grenailles. Alors, Michaël lui a mis une frite au-dessus du nez. L’arabe s’est effondré par terre, à moitié assommé, sonné. Je me suis baissé pour le secouer en disant Mickey, t’es dingue, qu’est-ce que t’as fait? Et Mickey m’a lancé: t’es complètement fou d’avoir dit mon nom. Alors, il a pris le corps et l’a jeté à l’eau.» L’autopsie d’Imad Bouhoud, réputé bon nageur a déterminé une mort par noyade ­ et non par des coups ­, avec de l’alcool dans le sang.

Interrogé par les policiers portugais, Michaël Gonçalves nie tout, jusqu’à sa présence au Havre au moment des faits. Le 18 avril, dit-il, il se trouvait «gare d’Austerlitz à Paris, en route pour Lourdes», «pour rencontrer un ermite au sujet d’un boulot», et donne les noms de «deux gars, dont un à l’armée» qui ont voyagé avec lui. Pourtant, des témoins ont parlé à la police judiciaire (PJ) de Rouen des allées et venues de Michaël Gonçalves au Havre le jour de la mort d’Imad Bouhoud.

Le juge a dû mal à comprendre, dans ce cas, «son départ précipité à l’étranger». Les parents contestent: «Michaël n’est pas un fugitif.» Il quitte la France deux semaines avant d’être l’objet d’un mandat d’arrêt, le 15 mai, un voyage imaginé dès le 30 avril si l’on en croit une lettre glissée sous la porte de son père: «Salut papa, je décide enfin à te donner de mes nouvelles, écrit Michaël Gonçalves, je me doute que tu dois être très fâché contre moi. Quand on se verra, si tu acceptes, donne-moi un coup de poing sur ma gueule car je le mérite. (…). Papa, je suis obligé de quitter la France car j’en ai marre de cette société merdique qui fait rien pour les jeunes. (…) Je ne sais pas comment t’expliquer ce qui se passe dans mon crâne mais j’en ai marre de toutes ces conneries, je veux grandir psychologiquement.»

Manuel Gonçalves est «père et chef en même temps». En 1990, Michaël a 16 ans et entre comme ouvrier sous les ordres de son père, dans l’entreprise de peinture industrielle pour la construction navale, où il travaille. Le garçon y est embauché au bout d’un an: «Il y avait 90% de Maghrébins, Tunisiens, Marocains, et de Noirs sur les chantiers, et jamais mon fils n’a été intolérant ou raciste envers eux.» Sa soeur Angélique, 16 ans, se souvient de cette «époque en hardos, cheveux à la punk, cuir perfecto, Doc Martens aux pieds, jean déchiré, tee-shirt du groupe de hard-rock Metallica, fan d’ACDC, buveur de bière et fumeur de shit.» La petite amie de ses 18-19 ans, paumée, fricote de son côté avec les skinheads et l’héroïne.

A la fin de l’année 92, Michaël Gonçalves part au service militaire, au 35e régiment d’artillerie parachutiste de Tarbes, et «heureux d’être béret rouge» rempile pour six mois. A son retour, en mai 1994, il endosse le look crâne rasé, a envie d’aller se battre dans l’ex-Yougoslavie, trouve un boulot ­ par son père ­ à Mantes-la-Jolie (Yvelines).

La mère qui sent la «dérive de Michaël» l’encourage à aller à Sarajevo ou à s’engager dans la Légion selon ses vœux, recueille ses confidences et ses copines ­ «c’est un cœur d’artichaut» ­, le confronte avec les copains «asiatiques, arabes ou noirs» de sa sœur Angélique, lui prête ses livres «sur les juifs dans les camps de concentration», le rembarre: «Même si Le Pen dit le contraire, tu sais bien que ça a existé.»

La femme fluette et brune, née à Chelles, de parents «parigots» rétorque à une question de Michaël sur ses origines: «Je suis une gitane avec une étoile rouge», et reçoit après ses «disputes» des «bisous» de son fils: «C’est encore un enfant turbulent, pas méchant, qui se donne des apparences, s’affirme dans une étiquette, juste pour se sentir fort.»

En janvier 1995, Michaël Gonçalves rencontre au Havre un «skin pur et dur», David Beaune, de deux ans son aîné, qui sort de trois ans de prison pour «vols et explosion par substances incendiaire». L’ex-para aux cheveux encore ras devient Mickey, plaque son travail, s’installe chez David Beaune, sa copine Céline et son rat Hubert. Ensemble, ils se «tapent des délires», des casses de vitrine par exemple, dopés aux idées d’extrême droite, au whisky, à la bière, au haschich. En mars ou avril, les deux potes font un voyage initiatique chez les skins du Luxembourg, de Suisse, et d’Allemagne, où on le surnomme «Baby Boot». Il se fait tatouer une croix-gammée sur la main.

Michaël Gonçalves en a-t-il rajouté le 18 avril pour décrocher son brevet skin? En tout cas, dix jours plus tard, Michaël envoye à un copain détenu à cause d’un accident de voiture contre un maghrébin, cette lettre versée au dossier d’instruction: «C’est cool ce que tu as fait au bougnoule. Moi, j’aurais fait une marche arrière pour l’achever, un coup en plus et il tombait raide. Comme ça, il n’aurait pas porté plainte. C’est pas cool le travail inachevé».