«Moi, David Beaune, néonazi de France». Le skinhead, impliqué dans la mort d’un jeune beur, a écrit ses carnets en prison. Extraits.

par Patricia Tourancheau

publié le 21 octobre 1995 à 8h48

David Beaune, 23 ans, est incarcéré depuis le 15 mai pour  «non-assistance à personne en danger et non-dénonciation du crime» d’Imad Bouhoud, 19 ans, que son copain Michael Goncalves est accusé d’avoir précipité dans le port du Havre, le 18 avril. En perquisitionnant chez Beaune, la police a découvert un cahier, «L’aventure sans étoile», «dédié à mon fils Allan, petit être de 4 ans.» Il a été commencé le 30 juin 1994 à la maison d’arrêt de Rouen, où le jeune homme purge alors une peine pour «vol avec violence». Libération n’aura jamais de mots assez forts pour condamner l’idéologie néonazie. Si nous choisissons de donner à lire des passages du cahier de David Beaune, c’est pour tenter de comprendre comment, aujourd’hui en France, des skinheads peuvent devenir des criminels racistes. «Le destin est parfois cruel envers les hommes, tout être humain a une destinée différente, la mienne est stupéfiante, voire rejetable, mais il en est à vous et à vous seul d’en juger!»

Ma mère. «Vers six mois, mes parents se sont séparés et, ne voulant pas que je reste avec ma mère, mon père me confia à ma tante. Cette affaire alla tout droit devant les tribunaux de grande instance du Havre. J’ai bien commencé ma triste carrière. Ma tante eut droit à ma garde. Elle avait déjà deux filles, Marie-Hélène et Martine, plus deux garçons, Marcel et Laurent, donc j’étais le plus jeune de la famille. Nous habitions rue des Bleuets, ce n’était pas Beverly Hills ni Oxford City, mais plutôt le Bronx. A l’époque, tout le monde se tirait dessus pour rien. Nous avons déménagé rue des Saules, une autre partie d’Aplemont, beaucoup plus calme. Ne pouvant subvenir à nos besoins, ma tante se mit à travailler la nuit, elle faisait le ménage. Aujourd’hui, je sais très bien que c’est pour moi qu’elle avait repris le travail.»

Cafard. «Douze années que je connais Cafard, et je n’ai plus aucun respect ni le moindre signe de compassion envers lui depuis trois ans. Pourtant, nous avons vécu de merveilleuses années. Tout commença un après-midi où j’avais bastonné un mec de mon âge qui m’avait dit: Je vais le dire à mon cousin. Quelques minutes plus tard, je vis un type chaussé de rangers, un treillis de l’armée, un Bomber’s noir et une crête jaune. Nous parlâmes et nous avons lié des liens style musique, tenue vestimentaire, etc. Dès lors nous étions inséparables, toujours à s’épauler dans les coups durs. Nous nous sommes fait des meufs ensemble. Nous avons pris de la drogue ensemble, vers 15 ans. Nous avions un idéal commun: la race blanche.

«Je me souviens que nous passions tous nos après-midi à la forêt de Montgeon au lieu d’aller tout simplement à l’école, nous allions aux balançoires, et nous faisions les fous à nous balancer dans tous les sens. Cafard avait un gros poste et nous écoutions les Béruriers noirs, les Garçons bouchers, avec une grenade dans la poche, car nous faisions de la détection d’armes anciennes au bois de la Comtesse, à Caucriauville. Vint le temps des virées à Mammouth, le trafic des jeux électroniques, sniffer des produits nocifs tels que le dégoudronnant et le trichlo, derrière les chaînes de magasins (Décathlon, Monsieur Meuble, Cuir Center). Notre amitié commença à se dégrader lorsque j’ai connu Béatrice.»

L’hôpital psychiatrique. «A ma sortie de prison, le 18 septembre 1989, sans domicile où aller, puisque j’avais quitté le foyer de mes parents vers 14 ans, comme aucun foyer pour jeunes délinquants ne voulait de moi en raison de mon agressivité envers les éducateurs et les autres jeunes, je ne savais où aller. Le juge des enfants, encore responsable de moi jusqu’à 18 ans, décida de m’interner pendant sept mois en hôpital psychiatrique, dans un service pour les jeunes ayant des problèmes à dominer leurs nerfs. Je me doutais pourquoi j’allais là-bas. J’avais fait mes preuves en matière de violence: sauter une fois sur le thorax d’un gendarme et lui lancer une plaque d’égout dans le bassin, sans oublier les bagarres dans les bars en Bretagne, où j’avais mis deux coups de couteau dans le ventre d’un marin, j’étais pris au piège…

«A notre arrivée au centre Pierre-Janet, une ravissante jeune femme me montra ma chambre, j’étais seul, je pouvais avoir ma clé, et j’avais le droit de sortir jusqu’à 21 heures. Le soir, j’allais chez ma mère, et en rentrant, je flânais dans les rues. En rentrant, je prenais une douche et je m’installais devant la télé avec d’autres jeunes. Ce qu’on ne m’avait pas dit, c’est que je devais prendre des cachets et des gouttes. Je voyais bien où cela menait. Les autres internés des pavillons, sous étroite surveillance, se comportaient d’une façon euphémistique. Je me doutais que l’absorption des médicaments en était la cause. Donc, je donnais mes cachets à un type, mais ce petit jeu ne dura pas longtemps. Une infirmière découvrit ma tactique et en informa mon psy qui, mécontent, ordonna de me clouer au lit avec une piqûre. Un soir, je reçus un coup de téléphone de Béatrice, cette fille qui correspondait avec moi quand j’étais incarcéré à la maison d’arrêt de Rouen, où elle m’avait fait parvenir une photo.»

Béatrice et moi. «Nous sortions ensemble, tout était neuf, tout était beau, nous allions à la mer le soir (…).

«Nos rapports se dégradèrent lorsqu’un après-midi, nous avons rencontré Cafard et Gaëlle. Béatrice vit un skinhead et une «bird’s» (un fille avec une crête comme un oiseau, ndlr) tenir conversation avec moi. Elle ne savait pas que j’étais un skinhead qui avait coupé avec le mouvement, depuis ma libération. Elle fut un peu choquée et bien sûr insista pour que nous nous en allions, ce que je fis. Je voyais bien qu’elle n’était pas heureuse, son comportement avait changé à mon égard, juste l’idée que son mec parle avec des nazis la dérangeait. Pourquoi devais-je avoir honte de mon passé puisque, dès mon plus jeune âge, j’avais fait partie de ces fameux mouvements d’extrême droite? Je n’avais jamais eu l’occasion de défendre mon point de vue sur ces Arabes envahisseurs qui viennent jusque dans nos campagnes égorger nos fils et nos compagnes.

«Les parents de Béatrice étaient de fervents admirateurs de Staline et membres du Parti communiste, opposés avec acharnement aux racistes ainsi qu’aux défenseurs de la race blanche. A ce niveau, moi, néonazi de France, j’étais dans une position délicate, car Béatrice soutenait bien naturellement ces deux rouges en puissance, ces abcès où il faut porter le scalpel ! Bien qu’elle soit en faveur de ses parents, elle n’a jamais su ce qu’est le communisme, et encore moins définir le mot national-socialisme! Poussée par ses parents, qui voulaient la faire rompre, elle hésitait et je sus remettre les choses en ordre, jusqu’au jour où elle me proposa une place de peintre en bâtiment. Je n’ai jamais eu le sens du travail. J’étais à cette époque un original. Pas question de bosser et d’entrer à mon tour dans le système vicieux de la société. Je pris la décision de rompre.»

Au nom d’une idéologie. «Dans le livre Hitler in uns Selbst, notre guide Adolf Hitler, père spirituel de notre voie, cite ces phrases: Les juifs sont des ordures qui pullulent, Ils ne sont qu’une troupe de rats, Des enfants aux vieillards, ils ne sont que des parasites. Si tu n’as pas la pensée du sentiment, ni la tendre figure du frère, alors deviens un néonazi, tu n’as rien à gagner aux côtés de tous ces chiens qui sont bâtardés!

«Notre Fürher est mort pour renaître sous d’autres visages, et ces visages ce sont les nôtres. Que tu sois un grand leader qui enflamme les foules, ou bien que tu sois un simple militant de la cause, tu as une part de l’héritage d’Adolf Hitler à léguer aux peuples nordiques. Défendre sa race est l’acte le plus noble qui puisse être commis.»

Allan. «Le 12 octobre 1990 à 0h40, est né Allan-André-Daniel, mon fils. A la maternité, je le vis tout petit, pas un cheveu sur la tête, je le pris dans mes bras pour l’embrasser, le petit homme faisait des grimaces avec sa bouche, comme s’il se disait: Qui t’es toi? J’étais fier de lui, j’ai pleuré des larmes de joie, ce qui m’arrivait était superbe, malgré mes 18 ans, j’étais papa. Après une semaine, nous sommes retournés chez nous. Toutes les nuits, je me levais pour lui donner le biberon, changer ses couches. A 10 mois, il commençait à marcher, il fallait tout cacher. Un jour, il fit tomber une assiette et, d’un coup, plus personne sur les lieux du méfait, le criminel s’était réfugié dans la chambre. Nous avions un chaton. Un jour, Allan s’amusait avec, quand le chaton le griffa. Bien sûr, les pleurs et les baba (papa) retentissaient. Plus tard, j’entendis un miaulement, et puis plus rien. Allan était assis sur le chaton qui, ne pouvant supporter les vingt kilos du petit monstre, était mort. Allan avait fait justice lui-même. Je pris le chaton et le donnai à un berger allemand qui en fit son repas. (…) J’ai passé seize mois avec lui, seize mois de bonheur complet. Lorsque je me suis séparé d’avec Béatrice, je venais le voir dès que je pouvais, j’avais toujours quelque chose pour lui. La dernière fois que je l’ai vu, il était dans les bras du mec à Béatrice, il me vit et me tendit les bras, je le pris et pendant 30 mn, je ne l’ai pas lâché, il rigolait, il me faisait de gros sourires comme à ses premiers mois, puis Béatrice vint le prendre. Puis je me suis souvent posé la question suivante: est-ce que tu iras le voir un jour? Je ne pense pas que j’essaierai de le revoir car cela pourrait lui créer des troubles dans son équilibre familial. Béatrice s’est remariée, elle a un autre bébé, je pense qu’Allan s’est habitué à sa famille. Tout ce que j’espère pour lui, c’est d’être heureux et que la vie lui réserve plein de bonnes choses.»

Sanvic. «Ce quartier situé sur les hauteurs du Havre, je l’aime. Tout d’abord pour son ambiance. Personne ne regarde personne d’une façon bizarre. J’aime aussi le centre de Sanvic, où est Champion, un grand parking avec des petits magasins, et surtout la laverie automatique. C’est un endroit où nous allions souvent pour délirer. Les parents des copines et des copains y allaient pour leur linge, nous étions toujours assis sur les grosses machines à laver, avec une bouteille, on rigolait bien dans cette laverie. Grâce aux vitres transparentes, nous étions aux premières loges pour voir tout ce qui se passait sur le parking, à Carrefour et à Champion. J’aime aussi la mairie de Sanvic, avec, dans l’arrière-cour, un arbre. Dans cet arbre, il y avait une pie qui, quand nous venions boire, se posait sur le béton et volait les capsules de bière. Un jour, nous avions mis de la bière dans une capsule et elle avait bu les gouttes, nous étions trop morts de rire. Le bar Le Témoin était génial. Tous les skins se retrouvaient le soir dans l’arrière-salle, avec un jeu électronique et un billard. Les gérants nous connaissaient bien, je n’ai jamais vu un seul Noir ou un seul Arabe dans ce bar… Quand les skinheads des autres villes venaient, c’est toujours au Témoin qu’ils allaient, mais ce bar n’a plus la même ambiance depuis 1991.

«Enfin, il y a le fort de Sanvic, c’est l’endroit que j’aime le plus. Devant l’entrée, il y a un bunker, incrusté dans la terre, recouvert d’herbe. De la dalle de béton, juste devant, on voit la plage du Havre, le port où s’enfoncent les car-ferries venus d’Angleterre, on voit aussi les toits des maisons havraises. A l’intérieur du fort, il y a deux bâtiments où se trouvaient les dortoirs des militaires, tout est délabré, les murs sont troués, détruits. Nous montions sur les toits en ruine, cela nous amusait de prendre des risques. Ensuite, il y a la chapelle. Dieu a déserté depuis longtemps cet endroit. Plus loin, dans les hangars à camions, on peut voir des petits tas de pierres en forme de cercle. C’est ici que nous nous réunissions pour faire la fête, l’été. Nous restions là toute la nuit, à boire, discuter, écouter de la musique, à faire des parties de chasse à l’homme. Dans le fort, la nuit, c’est lugubre. Dans les remparts, il y avait des galeries, nous avions mis des cordes pour que, si la police ou des bandes adverses, notamment zouloues, arrivaient, nous puissions nous cacher et sortir du fort par un cimetière situé derrière. Mais mon endroit favori se trouve sur les plaines, il y a des étendues d’herbes hautes à perte de vue, des blockhaus un peu partout, et au bout se trouve le câble d’acier. En dessous, c’est quarante mètres de vide avec des arbres, des carcasses de voitures et des ordures. Notre jeu préféré était de se laisser glisser le long de ce câble et d’arriver en un seul morceau. En dehors de ces endroits, je trouve Sanvic calme. Pas de cités avec d’énormes tours de béton. Les rues sont tranquilles. J’espère y habiter un jour car j’aime vraiment ce coin.».

Document retranscrit par PATRICIA TOURANCHEAU
Actuellement à l’isolement, David Beaune a repris l’écriture de son manuscrit inachevé.