Le skinhead David Beaune a été condamné à dix-huit ans de réclusion criminelle

https://www.lemonde.fr/archives/article/1997/12/14/le-skinhead-david-beaune-a-ete-condamne-a-dix-huit-ans-de-reclusion-criminelle_3810383_1819218.html

David Beaune n’est pas parvenu à convaincre ses juges. Dans la soirée du vendredi 12 décembre, les jurés de la cour d’assises de Seine-Maritime l’ont reconnu coupable du meurtre d’Imad Bouhoud, un jeune beur âgé de dix-neuf ans, le 18 avril 1995, et l’ont condamné à dix-huit ans de réclusion criminelle. Il écope ainsi de la même peine que celle infligée à Mickaël Gonçalves, son comparse, jugé pour les même faits, le 4 juillet, par le tribunal de Braga, au Portugal. Les deux jeunes hommes s’accusaient l’un l’autre de la responsabilité du meurtre d’Imad Bouhoud, mort noyé dans les eaux du bassin Vauban, au Havre.

Dans son réquisitoire, l’avocat général Jean-Louis Lecué a souligné qu’« il est fondamental de dire haut et fort que David Beaune a commis un meurtre raciste », et a demandé à la cour de lui infliger une peine de vingt ans de réclusion criminelle. Me Jean-Michel Vincent, avocat de l’accusé, a, pour sa part, mis en avant l’histoire difficile de David Beaune. Abandonné à l’âge de deux ans par ses parents, « il avait besoin d’une autre famille », a-t-il notamment suggéré.

A l’énoncé du verdict, David Beaune n’a pas paru surpris. Avant que la cour ne se retire pour délibérer, il a une dernière fois pris la parole, affirmant ne pas réclamer « la clémence » de ses juges. Plus tôt dans la journée, il avait déjà dit : « Je vais m’expliquer sur les faits. Je suis là pour assumer mes actes. » Une stratégie différente de celle adoptée jusque-là. A l’ouverture du procès, David Beaune était, en effet, apparu borné, presque arrogant, quand il revendiquait à la barre son appartenance au mouvement skinhead et son attachement aux idées racistes et xénophobes (Le Monde du 11 décembre). Cette attitude suicidaire augurait mal de la suite. Pourtant, au fil des audiences, l’accusé avait modulé son propos, allant même, au soir du premier jour, jusqu’à adresser des excuses à la famille de la victime.

PLUSIEURS LETTRES

A l’ouverture du troisième et dernier jour d’audience, David Beaune a pris toute sa part de responsabilité dans la mort d’Imad Bouhoud. Bien sûr, de nouveau il affirme ne pas avoir poussé le jeune beur dans le bassin Vauban. « C’est Mickaël Gonçalves qui l’a fait, alors que je retenais Imad par le col de son blouson », précise-t-il. Le président Jean Reynaud s’étonne alors que l’accusé n’ait jamais formé de demande de mise en liberté. « Vous considérez-vous coupable de quelque chose ? », a-t-il demandé. « Oui, de complicité de meurtre. » « Pourquoi ? » « Parce que j’ai lâché Imad Bouhoud. » « Au début, ajoute-t-il, j’avais bien la haine. La prison a alimenté cette haine. Maintenant, c’est comme des regrets, j’essaie de trouver quelqu’un pour me sortir de ça. »

LETTRE D’UN SKINHEAD SUR LA NOYADE D’UN BEUR AU HAVRE “ON L’A FRITE ET BALANCE A LA FLOTTE”

https://www.lesoir.be/art/%252Flettre-d-un-skinhead-sur-la-noyade-d-un-beur-au-havre-o_t-19960418-Z0AZ9X.html

On l’a frité (cogné) et balancé à la flotte… : des lettres clandestines envoyées de prison par David Beaune, 23 ans, à sa petite amie et à un groupe skinhead relancent l’instruction d’un crime raciste, commis il y a un an, au Havre. Le jeune homme, soupçonné jusque-là de «non-assistance à personne en danger», est désormais inculpé d’homicide volontaire sur Imad Bouhoud, un beur de 19 ans, frappé et poussé dans le bassin du port, avec la complicité d’un autre skinhead arrêté, lui, au Portugal.

 

Les skinheads du Havre (1995) – Reportage Envoyé Spécial

Un reportage, tourné au havre, sur un groupe de jeunes skinhead que nous avons suivi pendant plusieurs semaines, pour mettre a jour leur univers, leurs motivations, leur quotidien.

Reportage “Envoyé Spécial” diffusé sur France 2 le 25 janvier 1996.

Commentaire: Marie Noëlle Himbert Images: Patrick Descheemaekere Son: Pascal Querou Montage: Martine Alison

Le Havre: la dérive skin de Michaël. Meurtrier présumé d’Imad, il avait songé à s’engager dans la Légion.

https://www.liberation.fr/france-archive/1995/06/07/le-havre-la-derive-skin-de-michael-meurtrier-presume-d-imad-il-avait-songe-a-s-engager-dans-la-legio_135372/
Michaël Gonçalves, 21 ans, ouvrier surnommé «Baby Boot» par les skinheads, soupçonné d’avoir jeté à l’eau un jeune beur au Havre voilà sept semaines, a été arrêté jeudi au Portugal, dans le village de ses grands-parents. Il y a passé quinze jours à «casser des cailloux» dans une carrière. Aux yeux de «ce gosse turbulent» mais «rude à la tâche» ­ selon ses proches ­, taper sur des pierres n’a rien de travaux forcés. C’est juste un moyen de gagner de la thune au jour le jour.

Les parents divorcés, Maryse, agent hospitalier en région parisienne à «vider les bocaux de sang dans un bloc opératoire» pour 4.500 F par mois, et Manuel, contremaître dans une entreprise de construction navale au Havre, sont en colère d’avoir été devancés par les policiers dans leur quête de Michaël. «On devait aller chercher notre fils samedi au Portugal, avec un laissez-passer pour la frontière, pour qu’il se rende et réponde à la justice. On avait réussi à le convaincre par téléphone», explique la mère, persuadée que, baigné dans une «famille cosmopolite, un père portugais, des Algériens, des Israéliens et Anglais, Michaël ne peut pas avoir commis un crime raciste, tout au plus une bagarre malheureuse entre trois jeunes dans le même état d’ébriété.»

Dans son HLM de Seine-et-Marne, en face d’une mosquée, Maryse avait entassé les habits neufs pour Michaël afin d’en finir avec «son déguisement de skinhead», et quatre tomes de la Bicyclette bleue, le best-seller de Régine Desforges, «réclamés par mon fils».

Une peine de prison attend en France Michaël Gonçalves, qui a la double nationalité, si le Portugal l’extrade. Il est en effet recherché depuis le 29 mai pour le «meurtre» de Imad Bouhoud, 19 ans, français d’origine tunisienne, noyé dans le port du Havre.

C’est son «grand frère» skin, David Beaune, 23 ans, mis en examen le 15 mai par le juge Christian Balayn pour «non-assistance à personne en danger, et non-dénonciation de crime» qui l’a balancé. Un corps anonyme repêché le 7 mai dans le bassin Vauban a été identifié cinq jours plus tard. David Beaune, nom de guerre Étoile de David, a été attrapé le lendemain pour avoir «dépouillé» et déshabillé un couple. Aiguillé sur le «noyé», David Beaune est passé aux aveux sur la virée du 18 avril avec Michaël, dit «Mickey»: «On est sorti à 23h30 de chez mon éducateur, on est descendu à la gare, on a vu deux maghrébins qui se disputaient, l’un est parti dans une voiture, on est allé voir l’autre qui était saoul.» David Beaune prétend qu’Imad Bouhoud a lancé: «Je suis skin moi aussi et j’aime pas les arabes, alors on va les attaquer.» David Beaune a poursuivi: «À 500 mètres au bord du bassin Vauban, ce type a essayé de piquer mon pistolet à grenailles. Alors, Michaël lui a mis une frite au-dessus du nez. L’arabe s’est effondré par terre, à moitié assommé, sonné. Je me suis baissé pour le secouer en disant Mickey, t’es dingue, qu’est-ce que t’as fait? Et Mickey m’a lancé: t’es complètement fou d’avoir dit mon nom. Alors, il a pris le corps et l’a jeté à l’eau.» L’autopsie d’Imad Bouhoud, réputé bon nageur a déterminé une mort par noyade ­ et non par des coups ­, avec de l’alcool dans le sang.

Interrogé par les policiers portugais, Michaël Gonçalves nie tout, jusqu’à sa présence au Havre au moment des faits. Le 18 avril, dit-il, il se trouvait «gare d’Austerlitz à Paris, en route pour Lourdes», «pour rencontrer un ermite au sujet d’un boulot», et donne les noms de «deux gars, dont un à l’armée» qui ont voyagé avec lui. Pourtant, des témoins ont parlé à la police judiciaire (PJ) de Rouen des allées et venues de Michaël Gonçalves au Havre le jour de la mort d’Imad Bouhoud.

Le juge a dû mal à comprendre, dans ce cas, «son départ précipité à l’étranger». Les parents contestent: «Michaël n’est pas un fugitif.» Il quitte la France deux semaines avant d’être l’objet d’un mandat d’arrêt, le 15 mai, un voyage imaginé dès le 30 avril si l’on en croit une lettre glissée sous la porte de son père: «Salut papa, je décide enfin à te donner de mes nouvelles, écrit Michaël Gonçalves, je me doute que tu dois être très fâché contre moi. Quand on se verra, si tu acceptes, donne-moi un coup de poing sur ma gueule car je le mérite. (…). Papa, je suis obligé de quitter la France car j’en ai marre de cette société merdique qui fait rien pour les jeunes. (…) Je ne sais pas comment t’expliquer ce qui se passe dans mon crâne mais j’en ai marre de toutes ces conneries, je veux grandir psychologiquement.»

Manuel Gonçalves est «père et chef en même temps». En 1990, Michaël a 16 ans et entre comme ouvrier sous les ordres de son père, dans l’entreprise de peinture industrielle pour la construction navale, où il travaille. Le garçon y est embauché au bout d’un an: «Il y avait 90% de Maghrébins, Tunisiens, Marocains, et de Noirs sur les chantiers, et jamais mon fils n’a été intolérant ou raciste envers eux.» Sa soeur Angélique, 16 ans, se souvient de cette «époque en hardos, cheveux à la punk, cuir perfecto, Doc Martens aux pieds, jean déchiré, tee-shirt du groupe de hard-rock Metallica, fan d’ACDC, buveur de bière et fumeur de shit.» La petite amie de ses 18-19 ans, paumée, fricote de son côté avec les skinheads et l’héroïne.

A la fin de l’année 92, Michaël Gonçalves part au service militaire, au 35e régiment d’artillerie parachutiste de Tarbes, et «heureux d’être béret rouge» rempile pour six mois. A son retour, en mai 1994, il endosse le look crâne rasé, a envie d’aller se battre dans l’ex-Yougoslavie, trouve un boulot ­ par son père ­ à Mantes-la-Jolie (Yvelines).

La mère qui sent la «dérive de Michaël» l’encourage à aller à Sarajevo ou à s’engager dans la Légion selon ses vœux, recueille ses confidences et ses copines ­ «c’est un cœur d’artichaut» ­, le confronte avec les copains «asiatiques, arabes ou noirs» de sa sœur Angélique, lui prête ses livres «sur les juifs dans les camps de concentration», le rembarre: «Même si Le Pen dit le contraire, tu sais bien que ça a existé.»

La femme fluette et brune, née à Chelles, de parents «parigots» rétorque à une question de Michaël sur ses origines: «Je suis une gitane avec une étoile rouge», et reçoit après ses «disputes» des «bisous» de son fils: «C’est encore un enfant turbulent, pas méchant, qui se donne des apparences, s’affirme dans une étiquette, juste pour se sentir fort.»

En janvier 1995, Michaël Gonçalves rencontre au Havre un «skin pur et dur», David Beaune, de deux ans son aîné, qui sort de trois ans de prison pour «vols et explosion par substances incendiaire». L’ex-para aux cheveux encore ras devient Mickey, plaque son travail, s’installe chez David Beaune, sa copine Céline et son rat Hubert. Ensemble, ils se «tapent des délires», des casses de vitrine par exemple, dopés aux idées d’extrême droite, au whisky, à la bière, au haschich. En mars ou avril, les deux potes font un voyage initiatique chez les skins du Luxembourg, de Suisse, et d’Allemagne, où on le surnomme «Baby Boot». Il se fait tatouer une croix-gammée sur la main.

Michaël Gonçalves en a-t-il rajouté le 18 avril pour décrocher son brevet skin? En tout cas, dix jours plus tard, Michaël envoye à un copain détenu à cause d’un accident de voiture contre un maghrébin, cette lettre versée au dossier d’instruction: «C’est cool ce que tu as fait au bougnoule. Moi, j’aurais fait une marche arrière pour l’achever, un coup en plus et il tombait raide. Comme ça, il n’aurait pas porté plainte. C’est pas cool le travail inachevé».