Le Havre: la dérive skin de Michaël. Meurtrier présumé d’Imad, il avait songé à s’engager dans la Légion.

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Michaël Gonçalves, 21 ans, ouvrier surnommé «Baby Boot» par les skinheads, soupçonné d’avoir jeté à l’eau un jeune beur au Havre voilà sept semaines, a été arrêté jeudi au Portugal, dans le village de ses grands-parents. Il y a passé quinze jours à «casser des cailloux» dans une carrière. Aux yeux de «ce gosse turbulent» mais «rude à la tâche» ­ selon ses proches ­, taper sur des pierres n’a rien de travaux forcés. C’est juste un moyen de gagner de la thune au jour le jour.

Les parents divorcés, Maryse, agent hospitalier en région parisienne à «vider les bocaux de sang dans un bloc opératoire» pour 4.500 F par mois, et Manuel, contremaître dans une entreprise de construction navale au Havre, sont en colère d’avoir été devancés par les policiers dans leur quête de Michaël. «On devait aller chercher notre fils samedi au Portugal, avec un laissez-passer pour la frontière, pour qu’il se rende et réponde à la justice. On avait réussi à le convaincre par téléphone», explique la mère, persuadée que, baigné dans une «famille cosmopolite, un père portugais, des Algériens, des Israéliens et Anglais, Michaël ne peut pas avoir commis un crime raciste, tout au plus une bagarre malheureuse entre trois jeunes dans le même état d’ébriété.»

Dans son HLM de Seine-et-Marne, en face d’une mosquée, Maryse avait entassé les habits neufs pour Michaël afin d’en finir avec «son déguisement de skinhead», et quatre tomes de la Bicyclette bleue, le best-seller de Régine Desforges, «réclamés par mon fils».

Une peine de prison attend en France Michaël Gonçalves, qui a la double nationalité, si le Portugal l’extrade. Il est en effet recherché depuis le 29 mai pour le «meurtre» de Imad Bouhoud, 19 ans, français d’origine tunisienne, noyé dans le port du Havre.

C’est son «grand frère» skin, David Beaune, 23 ans, mis en examen le 15 mai par le juge Christian Balayn pour «non-assistance à personne en danger, et non-dénonciation de crime» qui l’a balancé. Un corps anonyme repêché le 7 mai dans le bassin Vauban a été identifié cinq jours plus tard. David Beaune, nom de guerre Étoile de David, a été attrapé le lendemain pour avoir «dépouillé» et déshabillé un couple. Aiguillé sur le «noyé», David Beaune est passé aux aveux sur la virée du 18 avril avec Michaël, dit «Mickey»: «On est sorti à 23h30 de chez mon éducateur, on est descendu à la gare, on a vu deux maghrébins qui se disputaient, l’un est parti dans une voiture, on est allé voir l’autre qui était saoul.» David Beaune prétend qu’Imad Bouhoud a lancé: «Je suis skin moi aussi et j’aime pas les arabes, alors on va les attaquer.» David Beaune a poursuivi: «À 500 mètres au bord du bassin Vauban, ce type a essayé de piquer mon pistolet à grenailles. Alors, Michaël lui a mis une frite au-dessus du nez. L’arabe s’est effondré par terre, à moitié assommé, sonné. Je me suis baissé pour le secouer en disant Mickey, t’es dingue, qu’est-ce que t’as fait? Et Mickey m’a lancé: t’es complètement fou d’avoir dit mon nom. Alors, il a pris le corps et l’a jeté à l’eau.» L’autopsie d’Imad Bouhoud, réputé bon nageur a déterminé une mort par noyade ­ et non par des coups ­, avec de l’alcool dans le sang.

Interrogé par les policiers portugais, Michaël Gonçalves nie tout, jusqu’à sa présence au Havre au moment des faits. Le 18 avril, dit-il, il se trouvait «gare d’Austerlitz à Paris, en route pour Lourdes», «pour rencontrer un ermite au sujet d’un boulot», et donne les noms de «deux gars, dont un à l’armée» qui ont voyagé avec lui. Pourtant, des témoins ont parlé à la police judiciaire (PJ) de Rouen des allées et venues de Michaël Gonçalves au Havre le jour de la mort d’Imad Bouhoud.

Le juge a dû mal à comprendre, dans ce cas, «son départ précipité à l’étranger». Les parents contestent: «Michaël n’est pas un fugitif.» Il quitte la France deux semaines avant d’être l’objet d’un mandat d’arrêt, le 15 mai, un voyage imaginé dès le 30 avril si l’on en croit une lettre glissée sous la porte de son père: «Salut papa, je décide enfin à te donner de mes nouvelles, écrit Michaël Gonçalves, je me doute que tu dois être très fâché contre moi. Quand on se verra, si tu acceptes, donne-moi un coup de poing sur ma gueule car je le mérite. (…). Papa, je suis obligé de quitter la France car j’en ai marre de cette société merdique qui fait rien pour les jeunes. (…) Je ne sais pas comment t’expliquer ce qui se passe dans mon crâne mais j’en ai marre de toutes ces conneries, je veux grandir psychologiquement.»

Manuel Gonçalves est «père et chef en même temps». En 1990, Michaël a 16 ans et entre comme ouvrier sous les ordres de son père, dans l’entreprise de peinture industrielle pour la construction navale, où il travaille. Le garçon y est embauché au bout d’un an: «Il y avait 90% de Maghrébins, Tunisiens, Marocains, et de Noirs sur les chantiers, et jamais mon fils n’a été intolérant ou raciste envers eux.» Sa soeur Angélique, 16 ans, se souvient de cette «époque en hardos, cheveux à la punk, cuir perfecto, Doc Martens aux pieds, jean déchiré, tee-shirt du groupe de hard-rock Metallica, fan d’ACDC, buveur de bière et fumeur de shit.» La petite amie de ses 18-19 ans, paumée, fricote de son côté avec les skinheads et l’héroïne.

A la fin de l’année 92, Michaël Gonçalves part au service militaire, au 35e régiment d’artillerie parachutiste de Tarbes, et «heureux d’être béret rouge» rempile pour six mois. A son retour, en mai 1994, il endosse le look crâne rasé, a envie d’aller se battre dans l’ex-Yougoslavie, trouve un boulot ­ par son père ­ à Mantes-la-Jolie (Yvelines).

La mère qui sent la «dérive de Michaël» l’encourage à aller à Sarajevo ou à s’engager dans la Légion selon ses vœux, recueille ses confidences et ses copines ­ «c’est un cœur d’artichaut» ­, le confronte avec les copains «asiatiques, arabes ou noirs» de sa sœur Angélique, lui prête ses livres «sur les juifs dans les camps de concentration», le rembarre: «Même si Le Pen dit le contraire, tu sais bien que ça a existé.»

La femme fluette et brune, née à Chelles, de parents «parigots» rétorque à une question de Michaël sur ses origines: «Je suis une gitane avec une étoile rouge», et reçoit après ses «disputes» des «bisous» de son fils: «C’est encore un enfant turbulent, pas méchant, qui se donne des apparences, s’affirme dans une étiquette, juste pour se sentir fort.»

En janvier 1995, Michaël Gonçalves rencontre au Havre un «skin pur et dur», David Beaune, de deux ans son aîné, qui sort de trois ans de prison pour «vols et explosion par substances incendiaire». L’ex-para aux cheveux encore ras devient Mickey, plaque son travail, s’installe chez David Beaune, sa copine Céline et son rat Hubert. Ensemble, ils se «tapent des délires», des casses de vitrine par exemple, dopés aux idées d’extrême droite, au whisky, à la bière, au haschich. En mars ou avril, les deux potes font un voyage initiatique chez les skins du Luxembourg, de Suisse, et d’Allemagne, où on le surnomme «Baby Boot». Il se fait tatouer une croix-gammée sur la main.

Michaël Gonçalves en a-t-il rajouté le 18 avril pour décrocher son brevet skin? En tout cas, dix jours plus tard, Michaël envoye à un copain détenu à cause d’un accident de voiture contre un maghrébin, cette lettre versée au dossier d’instruction: «C’est cool ce que tu as fait au bougnoule. Moi, j’aurais fait une marche arrière pour l’achever, un coup en plus et il tombait raide. Comme ça, il n’aurait pas porté plainte. C’est pas cool le travail inachevé».