REVUE DE PRESSE : 666≠88 Rassemblements Rac'NSbm clandestins. Figures NSBM völkisch. Stratégie métapolitique fasciste à posture apolitique de façade. Musée des horreurs White Power
Un collectif s’est rassemblé samedi 29 avril 2023 en mémoire d’Imad Bouhoud et James Dindoyal, tués par des néonazis dans les années 1990. Une sœur du premier était présente.
À l’appel, national, de la Marche des solidarités et d’Uni.e.s contre l’immigration jetable, quelque soixante-dix personnes sont rassemblées sur le parvis de la chambre de commerce et d’industrie du Havre, samedi 29 avril 2023, à 15 h. La manifestation « contre les lois et les crimes fascistes et racistes » a dans le viseur le projet de loi sur l’immigration du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Mais aussi l’opération de lutte contre l’immigration clandestine menée par l’État à Mayotte.
C’est surtout un vibrant hommage à deux personnes victimes de crimes racistes qui marque ce rendez-vous au bord du bassin Vauban.
À l’appel, national, de la Marche des solidarités et d’Uni.e.s contre l’immigration jetable, quelque soixante-dix personnes sont rassemblées sur le parvis de la chambre de commerce et d’industrie du Havre, samedi 29 avril 2023, à 15 h. La manifestation « contre les lois et les crimes fascistes et racistes » a dans le viseur le projet de loi sur l’immigration du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Mais aussi l’opération de lutte contre l’immigration clandestine menée par l’État à Mayotte.
C’est surtout un vibrant hommage à deux personnes victimes de crimes racistes qui marque ce rendez-vous au bord du bassin Vauban.
« Cet assassinat a marqué Le Havre »
C’est dans ces eaux que le corps du Havrais Imad Bouhoud, Français d’origine tunisienne âgé de 19 ans, avait été découvert, le 7 mai 1995. Deux hommes appartenant à la mouvance skinhead avaient été condamnés pour y avoir jeté le jeune habitant du quartier du Bois-de-Bléville, après l’avoir frappé. « Cet assassinat a marqué Le Havre. Je n’ai jamais oublié », explique Roselyne Mabille, militante de l’union syndicale Solidaires et de l’Ahseti (Association havraise de solidarité et d’échanges avec tous les immigrés).
Les couleurs du NPA, de la CGT, de LH Antifa sont aussi arborées. Le collectif représenté ici est le même que celui qui animera sur l’esplanade Nelson-Mandela une contre-manifestation en opposition à la Fête de la Nation du Rassemblement national, au Havre, lundi 1er mai 2023. « Cet hommage a été décidé lors de nos discussions autour du 1er mai et de la venue du RN », raconte Roselyne Mabille.
La sœur d’Imad Bouhoud : « Ils ont tué toute une famille »
Le collectif a pu retrouver des membres de la famille d’Imad Bouhoud. Dont sa sœur Sarah, présente sur le parvis avec son mari Lounes et d’autres proches. « Je n’avais que 6 ans. Aujourd’hui la douleur est encore plus forte. Ils ont tué toute une famille. Mais je tenais à venir », dit la jeune femme. « Tout son entourage a été traumatisé par cette affaire », ajoute son époux.
Tout près d’eux, en bordure du quai, vient d’être posée une plaque en la mémoire de son frère, mais aussi de celle de James Dindoyal, dont l’entourage n’a pu être invité. Ce Mauricien était mort le 3 juillet 1990 à l’âge de 24 ans suite à un empoisonnement à la soude caustique. Là encore, deux membres de la sphère néonazie avaient été condamnés.
« D’autres plaques avaient été placées par le passé autour du bassin pour Imad. Puis cassées. Celle-ci n’est pas sur le lieu exact du drame. Mais il y a ici beaucoup de passage. Jamais nous ne devrons oublier », souligne Roselyne Mabille. « James, Imad, on n’oublie pas ! On pardonne pas ! » entonne le groupe.
Bientôt, une partie des militants s’en va pour improviser un regroupement devant le Carré des Docks. Où la salle de meeting du RN est en préparation. « Le Pen, casse-toi ! Bardella, casse-toi ! » crient-ils.
Le 7 mai 1995, au Havre, un plaisancier met son voilier à l’eau. Il aperçoit un corps flotter. Police, sapeurs-pompiers : personne ne s’étonne dans cette ville où le suicide est plus commun qu’ailleurs. Pourtant, ce cadavre, encore anonyme, est le point de départ d’une extraordinaire affaire de violence raciste commise par des skinheads.
Par la rédaction / Publié: 3 Janvier 2021 à 13h09Temps de lecture: 8 min
Mai 1995 en France. Jacques Chirac vient d’être élu président de la République. Le pays est suspendu au résultat des prochaines municipales. L’ambiance est au tout politique et le maire PCF du Havre, Daniel Colliard, sait bien que le RPR Antoine Rufenacht risque de lui ravir la plus grande ville communiste de France. Le 1er mai, Jean-Marie Le Pen a fait défiler ses troupes à Paris devant la statue de Jeanne-d’Arc. Quatre skinheads venus dans les cars du parti frontiste passent en trombe devant le pont du Carrousel, voient deux Maghrébins se tenir par la main, estiment qu’il est temps de « taquiner du pédé, craquer du crouille » et poussent Brahim Bouraam dans la Seine. Il se noie. Indignation nationale, Mitterrand jette une brassée de fleurs dans le fleuve.
Le 7 mai, quand la police repêche un corps dans le bassin Vauban du Havre, personne ne songe à la violence raciste. C’est encore un suicidé, un accidenté, pense-t-on. La section opérationnelle spécialisée de l’inspecteur Daniel Blondel lance un appel à témoins pour identifier le mort. Le 11 mai, dans le quartier du Bois-de-Bléville, fait de chômage et de béton, Zouina Bouhoud s’alarme. Elle a vu l’appel à témoins, craint qu’il ne s’agisse de son fils adoptif Imad, âgé de 19 ans, diabétique et disparu depuis le 14 avril. Avec son mari, elle se rend au funérarium et identifie le corps.
La devise des SS gravée dans la peau
Au même moment, dans la ville basse, un skinhead âgé de 22 ans, tout juste sorti de prison, est interpellé dans un commerce de vêtements pour avoir tenté de passer un chèque volé. C’est David Beaune. Il entre et sort de prison depuis qu’il a 16 ans. Il a la croix gammée tatouée sur le corps, la devise des SS gravée dans la peau. Il sait que son arrestation peut lui coûter cher. Il est en récidive. La police perquisitionne son minable meublé du quartier de l’Eure et le skin s’aperçoit que l’ami qu’il héberge a tout saccagé chez lui. Il s’agit d’un autre crâne rasé âgé de 19 ans, Mickaël Goncalvès, tout juste sorti de chez les parachutistes de Tarbes. Goncalvès lui a même piqué ses disques de la Waffen SS. C’en est trop.
« J’ai peut-être quelque chose à te dire », murmure en garde à vue le skin à l’inspecteur Olivier Boulard, qui connaît la mouvance sur le bout des doigts pour avoir élucidé une sombre affaire de violences un peu avant. « Mais est-ce que ça peut me rapporter quelque chose ? ». « Je l’ai laissé venir », raconte le policier. Après trois auditions, en toute fin de garde à vue, Beaune avoue qu’avec Goncalvès, il a rencontré Imad Bouhoud le 18 avril, aux abords de la gare SNCF. Sous le prétexte bizarre d’essayer une arme qui ne fonctionne pas, le groupe va vers le bassin Vauban. Beaune attrape le jeune par le col, Goncalvès le pousse à l’eau. Imad, complètement ivre, se débat un peu et sombre. « Un de moins », exulte Beaune. Meurtre raciste précédé d’un guet-apens ou violences mortelles ?
Vu le tapage lié au meurtre de Brahim Bouraam, vu le contexte électoral, vu les violences racistes et les assassinats qui ont accompagné ce début d’année politique, la police craint le pire tandis qu’un juge met en examen Beaune pour non-assistance à personne en danger et délivre un mandat d’arrêt contre Goncalvès.
La police tape partout où les skins ont été vus : dans le bunker et le fort de Sainte-Adresse, près de la plage, dans le quartier de l’Eure. Sans succès. Elle garde surtout le couvercle sur l’information, car elle sait bien qu’elle est explosive. Mais, le 20 mai, Le Havre-Libre révèle l’affaire, raconte que Goncalvès est en fuite et détaille que la victime « savait nager » selon sa famille.
Le 22 mai, après un week-end où la tension est montée dans le quartier, les jeunes explosent. Ils se regroupent dans le quartier du Bois-de-Bléville vers 20 h, veulent manifester, se dirigent dans le quartier de pavillons de Sanvic avant de s’arrêter devant le Bar des Témoins. Un estaminet connu pour accueillir depuis des années les skins et leurs amis parisiens. C’est l’émeute. Les jeunes massacrent la façade à coups de pierres, s’en prennent aux consommateurs et la police fait refluer la révolte jusqu’au funérarium. Les émeutiers grillent des voitures et des poubelles. Les sapeurs-pompiers, mal avisés, débarquent en plein champ de bataille. Un cocktail Molotov s’écrase sur leur camion. « Ils ont voulu nous tuer. »
« J’ai bien rigolé quand il est mort le bicot »
Une marche blanche est organisée le 24 mai, elle tourne à l’insurrection en plein centre-ville. Tant que Goncalvès n’est pas « serré », les commerçants craignent le pire et la ville succombe au jeu des rumeurs. Le corps d’Imad était incomplet : est-ce le résultat de trois semaines dans l’eau et des crabes ou l’effet de la cruauté des skins avant qu’ils n’abattent leur victime ? Des cadavres d’arabes ? Il y en aurait des dizaines dans les bassins. Le skin n’est pas arrêté ? La justice et la police sont partiales. Des spécialistes de la guérilla urbaine vont arriver du « 93 », des skins d’Angleterre et l’affrontement sera terrible. La presse révèle que Beaune, la veille du meurtre, est passé à un meeting de Bruno Mégret au Havre, alors n° 2 du Front National. Collusion ? Incitation à la haine ? L’ambiance est plus que jamais explosive.
Le 1er juin, parce que le juge Christian Balayn a placé les parents de Goncalvès sur écoute et qu’ils se sont montrés bavards, la police débarque au domicile portugais d’un grand-parent du fugitif et l’arrête. Il reconnaît globalement les faits, mais accuse Beaune d’être le principal responsable du drame. Les rumeurs cessent. Comme Goncalvès a la double nationalité, il est jugé au Portugal après bien des péripéties. Il fait le salut nazi en début d’audience et se voit condamné à dix-huit ans de réclusion.
Ce n’est que le 10 décembre 1997 que s’ouvre le procès de Beaune devant la cour d’assises de la Seine-Maritime. Il se dit « complice », mais pas auteur. Il est pourtant mis en examen pour meurtre. Il écrit à une amie dans des lettres sorties du parloir : « J’ai bien rigolé quand il est mort, le bicot. » Alors, seulement complice ? « Trop facile », grogne Me Dominique Tricaud, avocat de SOS-Racisme et de la famille Bouhoud. L’avocat reprend le dossier et brandit deux cahiers d’écolier. Ce sont les écrits d’un « néonazi de France », des cahiers rédigés par Beaune pendant sa détention. Il y avoue et y glorifie sa haine du juif, de l’arabe, défend l’idée de créer des camps de concentration dans le bocage normand, hurle sa détestation de l’autre et s’avoue sans aucun remords. Comment décrit-il le drame ? « Cette nuit-là, la folie de la mort a envahi tout mon être. J’avais envie de cogner. De frapper. Nous avons rencontré Bouhoud aux abords du bassin Vauban, nous l’avons précipité dans l’eau glacée. Sans un cri, sans un hurlement, son corps a coulé. Ma soif de sang était assouvie. » Il est condamné à dix-huit ans de réclusion criminelle.
Beaune et Goncalvès, des loups solitaires ? Pas vraiment, comme la suite de l’affaire va le démontrer. Pendant le procès de Beaune, un ex-skin, Michel Huquet, témoigne. Il dit que Beaune est le plus violent, qu’il est sans doute le plus coupable. Menacé après le procès, il pousse la porte de l’inspecteur Boulard et détaille une autre scène de meurtre. En 1990, il a 15 ans. Il est un jeunot dans cette bande qui ne jure que par « la bière, la baston, la baise ». Il voit ses mentors, Régis Kérhuel – le bassiste des Evil Skins qui chante les louanges du Zyklon B – et Joël Giraud, forcer un jeune Mauricien, James Dindoyal, à avaler une bière empoisonnée. Elle contient de la soude caustique. La victime est jetée à la mer depuis une digue, arrive à se réfugier chez un médecin et meurt trois semaines plus tard, les intestins rongés, à l’hôpital du Havre. Le drame a lieu dans la nuit du 18 au 19 juin 1990. « Ce soir-là, témoigne Michel Huquet, Joël Giraud voulait casser du boucaque. » Boucaque ? Une contraction raciste de bougnoule et de macaque. C’est Kérhuel qui a accueilli Beaune dans la mouvance skin.
Les deux crânes rasés condamnés à vingt ans de réclusion
Arrêtés, les crânes rasés crient leur innocence. Leur passé ne plaide pas en leur faveur. Précurseurs du mouvement skin en France, ils ont rejoint les Jeunesses nationalistes révolutionnaires de Serge Ayoub, ce fils de magistrat surnommé Batskin et devenu porte-parole des crânes rasés de France. Régis Kérhuel a été arrêté des dizaines de fois. Toujours pour des violences. « Je n’ai pas pu participer au meurtre, j’étais à Paris avec Serge Ayoub », plaide Kérhuel lors de son premier procès en octobre 2000. Ce dernier croit que son grand ami va le sauver, lui donner un alibi. Batskin a suivi les audiences à distance. Il est convoqué à la barre. Il sait qu’un témoin, dont personne n’a pu vérifier la version, l’a placé sur les lieux du crime. « Ce jour-là, j’étais dans un avion qui allait au Japon ». Ayoub « lâche » son frère d’armes.
Les skins, si c’est baston tous les jours, c’est aussi un milieu où règnent la trahison et la veulerie. Les deux crânes rasés sont condamnés à vingt années de réclusion criminelle. En 2002, le verdict est confirmé en appel. La sanglante saga des néonazis du Havre s’achève derrière les barreaux.
Le meurtre de Brahim Bouaraam, un ressortissant marocain mort noyé dans la Seine, après y avoir été jeté pour des motifs racistes et homophobes par des militants d’extrême droite, le 1er mai 1995 à Paris, a sans doute été, par sa résonance politique et médiatique, le point culminant d’une longue série de faits divers, souvent meurtriers, qui ont jalonnés les années 1980-90 et qui ont été attribués à la catégorie, au demeurant floue dans sa définition, des « skinheads », recouvrant un large spectre d’opinions politiques allant de l’extrême droite néo-nazie à l’antifascisme radical représenté entre autres par les « Redskins ». La culture skinhead a été décrite avec raison par Michel Wieviorka, reprenant le sociologue britannique Mike Brake, comme « une sous-culture ouvrière, profondément marquée par une éthique puritaine du travail » et par l’opposition au mouvement hippie[1]. Cette partie du mouvement skinhead qui s’est arrimée politiquement à l’extrême droite française des années 1980-1990 peut toutefois être cernée avec davantage de précision. Pour cela, il importe de dégager les étapes de l’importation en France des phénomènes skinheads anglo-saxons, et ce qu’ils recouvrent alors en termes de radicalité et de violence. Une fois effectuée cette caractérisation des skinheads, il s’agit de dégager les aspects de militance politique pris par ce qui était un phénomène socio-culturel, venu s’enchâsser dans les formations des extrêmes droites.
Caractérisation du phénomène skinhead
Avant que d’être une affiliation idéologique, le fait skinhead doit être vu comme un phénomène subculturel transnational, à l’origine urbain, où la question de la violence participe de la norme comportementale.Le skinhead se revendique d’une culture de la violence mais aussi de la transgression. Il se distingue de la norme par ses codes vestimentaires (crâne rasé ou cheveux coupés ras, port du bomber et des chaussures montantes à lacets connues sous le nom générique de Doc Martens). Ceci étant, ces codes ne sont pas déterminés par l’idéologie mais sont étroitement liés aux origines sociales de la sous-culture qu’ils représentent, née dans la Grande-Bretagne ouvrière des années 1960 et unissant, à l’origine, de jeunes prolétaires blancs appartenant au phénomène des Mods à de jeunes Afro-antillais de même milieu, passionnés de musique ska et reggae[2]. C’est à la fin des années 1970 qu’avec la crise économique qui frappe l’Angleterre industrielle d’une part, et l’émergence d’un parti politique, le National front, fugacement sorti de la marginalité, que s’entérine la séparation définitive, au sein du mouvement skinhead, sur une base ethnique et politique, mais également musicale : la scène skinhead d’extrême droite se structure autour de l’archétype du Militant blanc[3], mais surtout du Rebelle blanc, adolescent ou jeune homme (ou, minoritairement, femme) qui revendique sa couleur de peau et son origine ethnique contre l’émergence des minorités visibles, endosse un racisme et un antisémitisme extrêmes dont l’action violente est une composante essentielle, et abandonne définitivement les musiques « non-européennes » pour deux styles propres : la Oi, un dérivé du punk rock[4] et le RAC ( « Rock against Communism »), qui est un dérivé politisé du précédent dans lequel les paroles glorifient non pas seulement la lutte anticommuniste mais surtout le « nettoyage ethnique » des villes britanniques, et la violence physique en général[5]. Pour autant, l’extrême droite n’a jamais eu une emprise totale sur le mouvement communément appelé skinhead, ni en France, ni ailleurs : le mouvement S.H.A.R.P. (Skinheads Against Racial Prejudice) notamment, rassemble des skinheads de même extraction ouvrière mais proches de l’extrême gauche ou des milieux libertaires. Ils sont souvent actifs dans les villes mêmes où sont leurs rivaux qu’ils surnomment, pour s’en démarquer, boneheads (crânes d’os). Ils sont restés musicalement ouverts aux styles des origines puis au punk. La division idéologique du mouvement skinhead donne lieu, dès les années 1980, à l’émergence de « bandes » rivales qui se disputent la maîtrise des territoires urbains par la violence[6].
De même que l’arrivée en France du phénomène skinhead d’extrême droite était une importation d’un phénomène britannique, et même anglais, la radicalisation idéologique de la scène française dans les années 1990 fut le résultat du transfert en Europe d’idées, de méthodes d’action et d’effets de mode venus des États-Unis. La première apparition publique importante des skinheads américains, lors d’un meeting du 7 octobre 1989 fédérant à peu près toutes les tendances de l’extrême droite autour d’une commémoration de la Confédération sudiste[7], avait montré la convergence, au moins partielle, des skinheads « White Power », des nostalgiques de la ségrégation raciale et de la nébuleuse connue sous le nom d’Identity Churches, sortes de dénominations religieuses sectaires professant l’idée de la suprématie de la race blanche voulue par la volonté divine et les Écritures, relues à la lumière de l’anglo-israélisme (pour lequel les Anglo-saxons sont les descendants des tribus perdues d’Israël) et de l’idée d’un christianisme débarrassé de toutes ses racines juives. Loin de n’être qu’une sous-culture marginale de la jeunesse, cette nébuleuse s’était organisée sous un modèle, la « résistance sans chef », qui prônait la lutte armée contre l’État fédéral, jugé illégitime et appelé ZOG, ou Zionist Occupation Government (gouvernement d’occupation sioniste).
Dès 1983-1984, de petites cellules étaient passées à l’action terroriste contre des agents fédéraux et des adversaires politiques. Elles étaient connues sous le nom de The Order, disposaient de leur manuel de passage à l’action pour déclencher une guerre raciale (le livre de William Luther Pierce, alias Andrew Macdonald, The Turner Diaries, publié en 1978) et d’une forme de mantra, les 14 Mots, formulés par le suprémaciste David Lane pour lequel « We must secure the existence of our people and a future for white children » (« Nous devons préserver l’existence de notre peuple et un avenir pour les enfants blancs »). Cet ensemble de concepts, mis en action, font qu’au milieu de la décennie 1990, les autorités fédérales et les associations du type watchdog, luttant contre le racisme (Anti-Defamation League ; Southern Poverty Law Center) estiment que les 3 500 skinheads recensés ont commis 22 meurtres depuis 1990. C’est précisément ce qui séduit des skinheads français.
En juin 1993, parait le premier numéro du bimensuel Terreur d’élite, « voix indépendante et radicale des nationaux-socialistes francophones ». En couverture de ce fanzine d’une qualité d’impression inhabituelle, cette phrase : « Juifs : lire cette publication vous transformera en abat-jour, en savonnettes ou en engrais. » Le ton de l’antisémitisme délirant est donné. Il est habituel chez les Hammer Skins, réseau skinhead américain dont l’emblème est le marteau de Thor et dont la branche française, éditrice du bulletin, se nomme Charlemagne Hammer Skins. Très hostile au Front national (le FN serait « le dernier bastion de la juiverie française »), proche du parti nazi transnational NSDAP/AO[8], elle est animée par Hervé Guttuso, un jeune Marseillais dont la précédente publication s’intitulait Neuvième Croisade. Ancien membre de Troisième Voie, puis de la section Prinz Eugen (du nom d’une division SS) du Parti Nationaliste Français et Européen (PNFE), Guttuso s’est formé au contact de l’American Front et des Chicago White Vikings lors d’un séjour outre-Atlantique. Il y a rencontré les animateurs de la revue Résistance, fanzine devenu un magazine en quadrichromie doublé d’une maison de disques, Resistance Records, dont l’audience est devenue mondiale (le numéro 1 du journal, en 1994, est tiré à 12 000 exemplaires). Idéologiquement, les Hammerskins américains défendent l’idée selon laquelle la résistance armée au pouvoir fédéral est légitime puisque, loin d’être l’émanation du peuple, le gouvernement serait aux mains des juifs qui assureraient leur mainmise sur le pouvoir politique, économique et médiatique, dans l’objectif d’éliminer la race blanche en promouvant le métissage généralisé. Dès lors, toute forme de résistance armée est juste et nécessaire, y compris le terrorisme[9], par des modes d’action souvent inspirés des Turner Diaries, traduits en français tardivement (1999) par Henri de Fersan, avec des illustrations de Chard, caricaturiste à Rivarol[10]. D’où ce surnom de ZOG (Zionist Occupation Government), qu’elle donne au gouvernement des États-Unis.
Cette théorie conspirationniste, qui se réfère souvent aux Protocoles des sages de Sion, débouche sur la conviction que le seul espoir de survie pour la race blanche réside dans la création de communautés aryennes vivant en autarcie dans des régions reculées (aux États-Unis, dans les montagnes Rocheuses et les Appalaches). À partir d’elles s’organisera la riposte violente au pouvoir en place, qu’un livre décrit en détail : les Turner diaries (1978), de William Pierce, leader du groupe américain National Alliance, sorte de bible des suprémacistes blancs. L’intention terroriste apparaît clairement dans Terreurd’élite : « Les cibles principales du révolutionnaire aryen doivent être en première priorité des cibles économiques, énergétiques, puis en dernier lieu des cibles humaines. Le paroxysme de la jouissance étant bien sûr de cumuler les trois facteurs à grande échelle » (n° 5, printemps 1995). La nouveauté dans le rapport à la violence est ici qu’elle est revendiquée dans sa dimension terroriste, comme dans la couverture du magazine skinhead nazi anglais The order (n° 10) qui montre un militant en train de manipuler des détonateurs. En France, le magazine de Guttuso suit le même chemin et celui qui lui succède, 14 Mots, indique clairement « nous devons tuer »[11].
Un nouveau bulletin confidentiel, Das Schwartze Korps (n° 2, 1995), franchit un pas supplémentaire en écrivant : « Nous, Blancs purs, ne reconnaissons aucun droit aux non-Blancs de quelque sorte qu’ils soient. Si, peut-être un seul, celui de crier dans la chambre à gaz quand on jettera le Zyklon B! ». Cette référence explicite au génocide nazi montre que les skinheads, tout en reprenant quelquefois les textes des historiens négationnistes sur la Shoah, ont plutôt tendance à en assumer et même à en valoriser l’existence. La montée en puissance de la tendance terroriste du mouvement skinhead néo-nazi sera toutefois arrêtée nette dès 1993 par la très forte volonté politique du ministre de l’Intérieur Charles Pasqua et de son conseiller pour la lutte contre le racisme, Patrick Gaubert, suivi par ses successeurs : début 1998 Guttuso est arrêté à Londres, où il séjournait depuis 1996 chez les frères Sargent, animateurs de Combat 18, mouvement considéré par la police britannique comme responsable de meurtres racistes et ayant des intentions terroristes. En définitive, un juge d’instruction toulonnais fera écrouer neuf personnes mises en examen pour « incitation à la haine raciale et menaces de mort », notamment contre Anne Sinclair, Jean-François Kahn, Simone Veil et Patrick Gaubert[12]. Les Charlemagne Hammer Skins survivront à cette répression et perdurent jusqu’à ce jour[13], mais avec un fonctionnement plus discret, comme leur concurrent direct les Blood and Honour Hexagone[14] avec leur revue Signal 28, tous deux ayant pour activité visible essentielle l’organisation de concerts ou de tournois de MMA (mixed martial arts). La propension à la violence demeure : le 30 mars 2016, principalement en région marseillaise, onze skinheads néo-nazis ont été mis en examen après la découverte à leur domicile d’un stock d’armes.
Cette appétence pour la violence relève des actions des skinheads mais également de leur vision du monde, voire de leur caractérisation psycho-sociale.Dans son ouvrage sur les motivations de l’adhésion au Front national (FN)[15], Birgitta Orfali reprend la distinction faite par Michael Billig, dans son ouvrage sur les militants du National front britannique[16], entre le militant autoritaire et « l’homme de violence ». Ce dernier, mû par le ressentiment, « est ainsi dénommé car c’est la notion de lutte, de combat qui retient toute son attention. L’opposition violente à tout adversaire (individu ou groupe) le caractérise. L’antagonisme, le conflit sont les lieux par excellence qui définissent ce type ». Elle ajoute que ces hommes « vivent à l’heure de la psychologie des foules grâce au FN »[17]. Stéphane François a bien montré que ce type d’individu correspondait profondément au profil des militants des mouvements qui, aujourd’hui encore, appartiennent à la frange la plus radicale de l’extrême droite, celle qui refuse l’aggiornamento du FN et se manifeste par une activité particulièrement élevée dans la région des Hauts-de France, parfois sur le mode de ce que le même auteur appelle le « skinhead rural » [18].
Au-delà de la typologie sociologique et psychologique, le concept d’homme de violence s’est traduit, dans les décennies 1980 et 1990, par toute une série d’actions dont se sont saisies, non seulement les organisations antiracistes (Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme ; Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples ; SOS-Racisme ; Ligue des Droits de l’Homme), mais aussi la presse locale et nationale, qui a ainsi donné une visibilité importante au phénomène skinhead néo-nazi. À bon escient d’ailleurs : en effet, la glorification continue de la violence physique, telle qu’elle figurait dans les publications skinhead de l’époque, accompagnée par l’affirmation de la supériorité ethnique blanche et un antisémitisme obsessionnel, avait de grandes chances d’aboutir à un passage à l’acte. L’accroissement des agressions imputables aux skinheads était déjà sérieux dans les années 1987-90 : en 1988, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) leur imputait 20 actions violentes sur 64 actes racistes répertoriés ; l’année suivante 16 sur 53. Il s’ensuivit une répression policière avec 70 arrestations en 1987.
Il n’est pas possible de dresser ici une chronologie exhaustive des homicides commis par des skinheads néo-nazis sur la période. Pour ne citer que ceux au plus fort retentissement, on rappellera le meurtre, à Lille, d’un clochard par un proche du mouvement Troisième Voie (TV), en 1988[19]. En 1990 au Havre, une dizaine de militants locaux et parisiens du groupe Blood and Honour tue un jeune Mauricien, obligé par eux d’avaler de la soude caustique avant d’être jeté à l’eau. Les faits ne sont élucidés qu’en 1998 et les deux principaux mis en cause, Régis Kerhuel[20] et Joël Giraud, sont également des membres des Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires (JNR). Puis, en 1995, David Beaune, 25 ans, est accusé du meurtre d’Imad Bouhoud, mort noyé, dans un bassin du port du Havre. Il est jugé par la cour d’assises de Rouen. Pour lui, le FN se trompe en voulant forcer les immigrés à quitter la France : il souhaitait construire pour eux des «camps de concentration et des chambres à gaz en Normandie ». « Maintenez-vous toujours cela aujourd’hui ? » lui demande le président lors de l’audience. Il maintient[21].
L’affaire est intéressante à un autre titre, celui de la persistance des comportements violents de l’auteur des faits, même après sa sortie du milieu skin : Beaune est de nouveau condamné en 2013 à un mois ferme pour menaces avec arme[22], sans circonstance aggravante de racisme. Ce qui n’est pas le cas pour Marc Grubica, ancien responsable du fanzine nordiste Tempête et Tonnerre, appréhendé en 2010 pour des dégradations commises contre la façade de la mosquée Salman-Al-Farissi, à Tourcoing et qui, à 43 ans, a déjà sept condamnations à son casier – dont une pour meurtre lors de sa période skinhead[23]. Enfin, le 7 janvier 1998, à Mortefontaine-en-Thelle (Oise, autre département de prédilection de la scène skinhead), Antoine Bonnefis, 18 ans, tue son beau-frère et un de ses amis africains. Il écope de 14 ans de prison sans que le mobile raciste soit retenu et les parties civiles sont déboutées.
Ce panorama serait incomplet sans citer deux événements. Le premier est la profanation d’un cadavre dans le cimetière juif de Carpentras (Vaucluse), en mars 1990. Imputé à l’influence culturelle du FN, cet acte, qui devint un événement de mobilisation fondamental dans la stratégie de mobilisation politique et associative contre le Front national, fut élucidé seulement en 1996, alors que l’un des auteurs, Jean-Claude Gos, skinhead de Denain (Nord) et membre du PNFE, était déjà décédé. Le second est exceptionnel parce qu’il est entièrement provoqué par la commande d’un média télévisuel peu scrupuleux (et disparu) qui, comme bien d’autres à l’époque, traite le phénomène skinhead sous l’angle du sensationnalisme : le 22 avril 1990 pour les besoins d’un reportage, une équipe de journalistes incite des membres des JNR, dont Joël Giraud, à agresser un Africain, Karim Diallo, sous les caméras des journalistes. Les mis en cause seront condamnés à 8 mois de prison avec sursis en janvier 1994 pour cette agression.
Certains de ces actes violents ont notablement influencé l’image de l’ensemble de la mouvance. Ce qui est devenu « l’affaire Bouarram » a connu un retentissement exceptionnel parce que les faits se sont déroulés en marge du cortège de Jeanne d’Arc organisé chaque premier mai par le Front national, dont le service de sécurité a d’ailleurs collaboré avec la police dans l’identification des agresseurs. Ils sont également emblématiques de trois dimensions du phénomène de la violence skinhead en France autour desquelles peut s’organiser la réflexion sur cette mouvance dans une période qui constitue son apogée.
La première est la dialectique de l’autonomie et du militantisme politique au sein du FN ou de groupuscules activistes plus radicaux : violents, ouvertement racistes, antisémites et même néo-nazis, réputés incontrôlables et hostiles à toute forme d’organisation sociale autre que celui de la « bande », les skinheads veulent-ils, peuvent-ils s’agglomérer durablement à une organisation hiérarchisée, voire à un parti impliqué dans le jeu électoral ? Seconde question : quelle est l’ampleur du phénomène, à la fois en termes de nombre de personnes concernées, d’influence politique sur le reste de l’extrême droite et de niveau de violence, symbolique ou physique ? Enfin, la catégorie « skinheads » a-t-elle un contenu clair ? N’est-ce pas en partie une construction, notamment médiatique, qui inclut à la fois des individus se revendiquant tels et d’autres qui y ont été rattachés pour des raisons liées à leur « look » (tout « crâne rasé » n’est pas un skinhead) ou à leurs idées – des skinheads ont milité aux Faisceaux nationalistes européens (FNE) ou au PNFE, mais ceux-ci n’étaient pas uniquement ni même prioritairement des mouvements skinheads ?
Deux éléments de réponse peuvent être avancés. Le premier est que les skinheads ont vite été repérés par les fondateurs du PNFE et dans une moindre mesure des FNE, comme le seul canal leur permettant d’étoffer de maigres effectifs et de dépasser la fonction de mouvements nationaux-socialistes orthodoxes, voire de cultes néo-nazis. Le second est que l’époque où ils apparaissent est plus largement celle où les medias découvrent le phénomène des « bandes urbaines » (skins mais aussi « zoulous » ou punks d’extrême gauche) et lui donnent une couverture qui n’est que bénéfice pour les groupes d’extrême droite. La police elle-même prend conscience du phénomène que les Renseignements généraux globalisent sous l’appellation « Violences urbaines ». Ils créent en 1991 une section spécialisée intitulée « Villes et banlieues ». Volens, nolens le phénomène skinhead s’est en tous cas polarisé à l’extrême droite, posant par là-même la question de sa possible structuration par les mouvements organisés de cet espace politique.
La mouvance skinhead et les organisations françaises d’extrême droite
Le mouvement skinhead politisé à l’extrême droite apparaît d’abord vers 1983-1984 et se signale lors de la fête de Jeanne d’Arc 1985 par la présence d’un groupe qui s’appelle « Les Amis de Barbie ». Il s’étend vraiment à partir de 1987, lorsque l’organisation Troisième Voie (TV), alors dirigée par Jean-Gilles Malliarakis[24], se rapproche des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR) menées par Serge Ayoub. Avec le PNFE, ces deux groupes sont ceux qui ont voulu et réussi à recruter en milieu skinhead avec le plus de constance et de succès. Cependant, ils ont des précurseurs, figures individuelles qui ont généralement connu les skinheads politisés à l’extrême droite lors de séjours à l’étranger, en particulier en Grande-Bretagne, qui en deviendront des figures et qui prouvent que la culture skinhead est un article d’importation comme beaucoup de modes qui façonnent les sous-cultures de la jeunesse européenne. Les antifascistes radicaux publiant la revue REFLEXes, puis le site internet éponyme[25], et qui ont suivi avec une précision certaine la trajectoire des skinheads de la droite radicale, datent de 1983-84 l’apparition à Marseille de skinheads ayant séjourné en Grande-Bretagne et à la même période, celle à Tours d’un fanzine intitulé Bras tendu, édité par Olivier Devalez alias « Tod », une des figures historiques de la scène, mis au contact du British Movement lors d’un séjour à Londres. La même source affirme que Serge Ayoub (né en 1964), aurait adopté le « look » skinhead au retour d’un voyage outre-Manche. Enfin, une autre personnalité importante de la scène skinhead des premières années est un Britannique installé en France, Bruce Thompson, qui suivra Ayoub aux JNR et restera actif jusqu’en 1995 au moins[26].
La question est de savoir comment, et pourquoi, le développement des skinheads d’extrême droite en France, à cette époque précise, croise la route d’organisations politiques du même milieu et aboutit à ce que celles-ci cherchent à attirer des individus connus pour leur propension à la violence et dont le credo consiste à rejeter tout type de hiérarchie autre que le charisme naturel du chef de bande, généralement reconnu pour ses « faits d’armes », sans parler du fait que les skinheads, dont Thompson semble être le vétéran, étant trentenaire dans les années pionnières, ne souhaitent pas se donner de leader n’appartenant pas à leur génération.
C’est là qu’intervient la dialectique de l’autonomie et de la récupération. En 1983-1984, l’arrivée de la gauche au pouvoir trouve un Front national qui attire toujours des militants très radicaux, mais l’entreprise de marginalisation de ceux-ci, commencée par Jean-Pierre Stirbois, aboutit à la création de groupuscules qui se disputent le maigre espace existant à la droite d’un FN déjà jugé embourgeoisé. En 1989, Bruce Thompson déclare ainsi au fanzine Le rebelle blanc : « Le Pen est trop vieux, trop mou, trop riche »[27]. Les quelques mouvements qui existent à l’époque en dehors du FN ont un rapport de suspicion vis-à-vis de la violence politique. L’Œuvre française, de Pierre Sidos, est un groupe dont le chef a connu l’épuration puis la répression de l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS), il tient au respect de la légalité et dirige en outre son organisation, étroitement nationaliste française, d’une manière hyper-centralisée, tout en normant étroitement les comportements des militants (costume tenant de l’uniforme, défilés en rangs, chant du mouvement…) : les jeunes aux cheveux ras qui y militent ressemblent aux skinheads, mais n’en sont que très exceptionnellement. Le Parti Nationaliste Français (PNF), scission du FN opérée fin 1982 par les animateurs du journal Militant, militent pour un nationalisme européen racialiste qui recoupe davantage le slogan du White Power, mais outre qu’il est aussi légaliste, ses animateurs d’alors sont en majorité d’anciens du Parti Populaire Français ou du Francisme [28] ayant servi dans les rangs de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme ou de la Division Charlemagne et nés dans les années 1920 : le fossé générationnel est trop important. Serge Ayoub fondera en 1990 un éphémère Comité de base jeunesse, hébergé à l’adresse du local du PNF avec lequel il partageait la « défense de l’identité française face au cosmopolitisme », l’affirmation selon laquelle « la nation est avant tout une communauté de destin et de sang », inaccessible aux non-européens, l’« opposition au système », la démocratie étant décrite comme un moyen d’asseoir la domination des « grands financiers et des grands trusts », la « lutte pour la justice sociale » et la répudiation de la lutte des classes ; la « conscience européenne contre le mondialisme ». Ce rapprochement restera toutefois sans lendemain.
L’instrumentalisation la plus réussie du phénomène skinhead par des mouvements politiques d’extrême droite est le fait de deux groupes : Troisième Voie (1985-1992, réactivé en 2010-2013) auquel il faut ajouter les Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires (JNR, 1987-2013)[29] et le PNFE[30], fondé en 1987 par un ancien militant de l’OAS et du FN, Claude Cornilleau, qui avait en 1983 réussi à se faire élire conseiller municipal de Chelles (Seine-et-Marne) sur une liste menée par un élu du Rassemblement Pour la République (RPR).
Troisième voie a été fondée en 1985 par Jean-Gilles Malliarakis sur des bases idéologiques nationalistes-révolutionnaires ou solidaristes ; il n’était pas un mouvement skinhead. Son slogan était : « Ni trusts, ni soviets » et outre un anti-sionisme affiché, il tenait à une Europe réunifiée et indépendante des blocs américain et soviétique. Le rapprochement opéré en 1986-1987 entre TV et Serge Ayoub, volontiers interviewé par les media et présenté comme la figure emblématique du milieu skin français, est une initiative de ce dernier, originaire de la classe moyenne parisienne à fort capital culturel, et déjà une figure de la scène skinhead depuis 1982 environ. Il est à la fois chef d’une bande (le Klan), qui se targue volontiers d’avoir le recrutement prolétarien, l’attitude violente et les objectifs anticapitalistes des Sections d’Assaut (SA) ; acteur du milieu hooligan politisé qui, à partir de 1984, s’installe dans la tribune Boulogne du Parc des Princes et qui s’engage dans des affrontements violents contre des personnes de couleur, des supporters des clubs adverses ou d’autres groupes de hooligans apolitiques ou antifascistes[31] ; et entrepreneur ouvrant en 1986 une boutique de vêtements brassant une clientèle de skinheads, hooligans et amateurs de marques anglaises que se sont appropriés comme dress-code une partie des jeunes d’extrême droite.
Le noyautage des supporters parisiens a débuté en septembre 1989 avec la création du groupe Pitbull Kop par Serge Ayoub. Leur prise en main par les JNR est allée de pair avec l’établissement de liens internationaux avec d’autres supporters d’extrême droite, comme ceux du « 0 Side » d’Anderlecht (Belgique) ou les Brigadas Blanquazules de Barcelone. Vers l984-1985, divers sous-groupes se sont constitués, tous influencés par les thèmes racistes et comprenant des skinheads, mais possédant chacun leur mode d’habillement et leur forme préférée d’affrontement : les « casual », hooligans qui n’arborent plus l’allure skinhead et sont donc moins repérables de prime abord, se sont développés sous le nom de « Commando pirates », tandis que les Fire Birds, une cinquantaine d’individus formant la fraction la plus violente au Parc des Princes, ont choisi une stratégie d’affrontement contre la police et les supporters adverses.
Les JNR, dont Ayoub reste la figure tutélaire avec une longévité exceptionnelle ne se terminent qu’avec la dissolution de 2013 et la fermeture administrative de son quartier général parisien, Le Local. C’est une sorte de garde prétorienne composée d’éléments généralement issus des classes populaires, impliquée comme on l’a vu dans des agressions racistes sordides, dans lesquelles, à l’exception de la « ratonnade » télévisée évoquée plus haut, Serge Ayoub, bien que son nom ait souvent été évoqué après les faits, n’a jamais été condamné*
Serge Ayoub connaît bien les arcanes du monde judiciaire et les histoires de bagarres qui terminent mal. Ce fils de magistrate, qui a fait ses études secondaires au très bourgeois collège Saint-Sulpice dans le VIe arrondissement, est repéré assez tôt par les services de renseignement.
Dans une fiche de juin 1993 que StreetPress s’est procurée, les RG déroulent son pedigree de skinhead violent.
- « Agression et propos racistes tenus à l’encontre d’élèves du Lycée Voltaire » (1983) ;
- interpellation pour « port d’arme blanche » et « vol avec violence » (avril 1984) ;
- « coups et blessures volontaires » (juillet 1984).
Son casier fait aujourd’hui (2018) mention de six condamnations légères.
https://www.streetpress.com/sujet/1536574128-serge-ayoub-parrain-meurtriers-meric
L’histoire des JNR comporte deux périodes : l’une court jusqu’à l’autodissolution du milieu des années 1990 et est celle de la violence débridée ; l’autre, de la reformation en 2010 jusqu’à 2013, est celle de la violence canalisée, et même de la tentative pour engager une nouvelle mouture de Troisième Voie dans davantage de visibilité publique, avec la présentation de candidats aux élections (2012), l’ouverture de locaux associatifs à Paris et à Lambersart (Nord) sous le nom à consonance régionaliste flamande de Vlaams Huis et la publication d’un journal intitulé Salut public.
Le mouvement est aussi le seul de la scène à avoir réussi à construire des ponts avec le milieu des « bikers » et l’un des rares à prendre la grande majorité de ses références idéologiques dans l’histoire de France, que ce soit chez les révolutionnaires les plus radicaux (Babeuf), les blanquistes et le syndicalisme-révolutionnaire, adoptant d’ailleurs comme emblème le faisceau des licteurs[32]le rattachant bien davantage à la Révolution française qu’au fascisme. La carrière des JNR et de Troisième Voie se terminera cependant dans la violence avec l’implication de plusieurs de leurs membres dans la mort du militant antifasciste Clément Méric, le 5 juin 2013. Une des questions essentielles qui se pose, au moment de dresser le bilan de l’activité violente des JNR, est celle de la facilité avec laquelle, des années 1980 à nos jours, les multiples groupes qu’a dirigés Serge Ayoub ou dont il a été proche, ont pu continuer à opérer en étant impliqués dans des faits très graves : en mars 2017 encore, il comparaissait devant le tribunal correctionnel d’Amiens en compagnie d’une quinzaine de membres du groupe picard White Wolves Klan (WWK), poursuivis pour des faits de violences, vols, séquestration et tentative de meurtre. Serge Ayoub a été relaxé.
Le PNFE n’a jamais disposé d’un porte-parole ayant les capacités communicationnelles de Serge Ayoub. Il a toutefois joué un rôle essentiel dans la socialisation politique des skinheads. Adepte d’un néo-nazisme orthodoxe qui s’exprime dans les colonnes de son journal, Tribune nationaliste, le PNFE décide, semble-t-il en 1988, de se lancer dans l’action violente et ce, de manière préméditée et concertée. Le 31 juillet 1988, le journal Globe est plastiqué. En novembre 1988 quatre policiers membres du parti participent au Château de Corvier (Loir-et-Cher) au congrès du PNFE. Ils y assistent à une démonstration sur la fabrication et l’utilisation d’engins explosifs et y apprennent que de tels engins ont déjà été utilisés lors de deux attentats encore inexpliqués, ceux du foyer d’immigrants du Cannet (9 mai 1988) et contre Globe (31 juillet 1988)[33]. Certains adhérents non-skinheads se rendent coupables, le 19 décembre 1989, d’un attentat contre le foyer Sonacotra de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes) qui fait un mort et onze blessés. Cette affaire déclenche une vague de répression policière qui se traduit, début 1989 par une vague d’arrestations de 24 cadres (dont le président) et militants dont quatre policiers appartenant à la Fédération Professionnelle Indépendante de la Police (FPIP), un fait qui donne au PNFE la réputation d’être au moins aussi infiltré par des indicateurs qu’il dit avoir réussi à infiltrer la police. Le 5 juin 1990, son journal est interdit. Cependant le PNFE connaît une seconde vie à partir de son cinquième congrès, tenu le 3 avril 1993 en présence de John Tyndall, le président du British National Party (BNP) comme de néo-nazis allemands, et qui consacre sa fusion avec les FNE. Ce sursaut est dû, en bonne partie, au choix stratégique de Cornilleau ainsi résumé par Alain Léauthier dans le quotidien Libération du 2 août 1996 : « Adepte du marketing et de la communication, il [Cornilleau] a su donner à ses troupes le style et le ton qui manquaient aux concurrents : tenues de parade copiées sur celle des SA (sections d’assaut nazies), chants hitlériens, congrès événement, comme en 1989 au château de Corvier. Surtout, quand le phénomène s’est développé, Cornilleau a fait la cour aux skins rétifs aux longues séances d’endoctrinement mais amateurs de musique oï (rock des skinheads, ndlr), de bière et de bastons avec les “bronzés”, c’est-à-dire avec toute personne d’apparence non-européenne. Résultat : à son apogée, vers 1990, le PNFE compte plusieurs centaines de sympathisants dans toute la France. Il adopte une structure extrêmement décentralisée. Les sections locales sont très autonomes, ont leur fanzine[34]. Le PNFE s’implante dans le Nord, l’Ouest et le Sud-Est ».
Le mouvement attire à lui, précisément en raison de cette décentralisation, les groupes musicaux de skinheads d’extrême droite les plus en vue, généralement formés sur une base strictement locale. Le plus connu est Légion 88, dans l’Essonne, qui fera du nom du mouvement le titre d’une de ses chansons[35].
L’organisation satellise aussi de nombreux fanzines et leurs animateurs ainsi que plusieurs structures à but commercial dont la plus importante est, de 1987 à 1994, le label Rebelles européens, basé à Brest. Les CDs sont aussi vendue et des concerts, organisés, par une structure militante non-lucrative et amie, l’AME ou Association Musicale Européenne, basée dans les Bouches du Rhône). Vis-à-vis des militants ou des recrues potentielles, la musique est utilisée comme moyen d’endoctrinement : la plupart des fanzines publient des interviews de groupes de musique « oi ! », qui laissent peu de doutes quant à la motivation politique des chansons. Le groupe Bifrost, dénommé d’après un terme de la mythologie nordique désignant le pont qui relie le monde des hommes à celui des dieux, déclare par exemple que ses textes « véhiculent le sentiment de révolte face au capitalisme sauvage, hybride et apatride ». Ses références doctrinales sont Georges Sorel et Proudhon, Drieu La Rochelle et Doriot, ou l’écrivain néo-nazi français René Binet. Le groupe Baygon blanc se réfère à Rudolf Hess et Hitler[36]. Action dissidente, basé dans les Yvelines, a pour slogan : « Mort à ZOG [Zionist occupation government] et à tous les parasites de notre pays. » Dans les années 1984-1985 le groupe-culte Evilskins chantait : « le Führer est de retour, on va rallumer les fours, dérouler les barbelés et préparer le Zyklon B », ce texte sans ambiguïté constituant jusqu’à aujourd’hui un « tube » de la scène skinhead. Une partie de cette violence antisémite a pu se transformer en actes sous la forme de profanations de cimetières juifs, particulièrement en Alsace et Lorraine, tandis que celles de carrés musulmans des cimetières ont été nombreuses dans le Nord-Pas-de-Calais.
Une nouvelle catégorie de profanateurs a même vu le jour en 1997, lorsqu’a été violé un caveau du cimetière de Six-Fours (Var). Les auteurs, jugés en 2004, diffusaient la revue W.O.T.A.N. (Will of the aryan nation – volonté de la nation aryenne), « bulletin mensuel de rééducation » des CHS (Charlemagne Hammer Skin – nom choisi en référence à la division SS française), édité à Londres. Un des mis en cause avait été condamné, en 1997, pour avoir exhumé un corps dans le cimetière central de Toulon lors d’une sorte de rituel gothico-satanique. Courant de longue date aux Etats-Unis, le lien entre satanisme et néo-nazisme se retrouve en 2001 dans le procès de David Oberdorf, meurtrier en 1996 d’un prêtre haut-rhinois et dont l’un des mis en cause du Var avait été l’inspirateur[37]. À Rouen, la police arrêtera en mars 1995 les animateurs d’un fanzine nazi-sataniste, Deo Occidi, précurseurs du sous-genre musical connu sous le nom de National-Socialist Black Metal (NSBM), qui avaient formé une association nommée AMSG (Ad Majorem Satanae Gloriam), valorisant l’action terroriste. Sa charte stipulait en effet : « Tout terrorisme se pratique de manière individuelle sans engager la totalité du mouvement Black Metal (…). Chacun doit s’armer de manière individuelle en vue de combattre tout opposant. Tous les moyens devront être utilisés pour se procurer un armement légal et illégal »[38].
La réussite du PNFE dans la manière d’agglomérer les skinheads a évidemment eu un coût en termes d’image et hypothéqué finalement la pérennité du mouvement. Son journal est interdit en 1990, ses réunions militantes sont interrompues par la police[39]. Une réorganisation de l’appareil, en 1990-1991, voit le PNFE diversifier ses activités vers le soutien aux prisonniers politiques néo-nazis en France et à l’étranger via le COBRA (Comité Objectif Boycott de la Répression antinationaliste) créé par Olivier Devalez dans les années 1980 et animé par Rolf Guillou, un skinhead du Havre. À cette époque, le nombre de « prisonniers de guerre » que Devalez demande aux lecteurs de soutenir dans son fanzine L’Empire invisible[40] est de 37, en majorité américains. Les Français ne sont que 4, deux militants du PNFE inculpés dans l’affaire des attentats azuréens du Cannet et de Cannes, l’ancien militant frontiste Edouard Serrière, et Michel Lajoye, figure emblématique de l’activisme racialiste qui a rejoint le parti pendant son incarcération[41]. Le PNFE se lance également dans le soutien au négationnisme du génocide des juifs par l’intermédiaire de l’ANEC (Association normande pour l’Éveil du Citoyen) basée à Caen et fondée par Vincent Reynouard, qui adhère au parti et devient, jusqu’à ce jour, une icône de la seconde génération des auteurs négationnistes. Néanmoins dès 1995, l’activité militante semble fléchir dans les départements où le journal Le Flambeau « compte pourtant un nombre d’abonnés non négligeables, tels que les Alpes-Maritimes, la Seine-Maritime, certains départements bretons ou d’Ile- de- France »[42].
Le PNFE se désintègre lentement, malgré une tentative de revitalisation qui passe par l’importation en France d’un certain nombre de thématiques américaines comme la guerre ethnique : dans son avant-dernier numéro, son journal dresse un tableau apocalyptique des violences commises dans les « quartiers sensibles » par des personnes non-blanches et conclut : « seule une répression im-pi-to-ya-ble viendra à bout de la violence. Mais d’ici-là, vu l’état d’abrutissement dans lequel le régime a plongé la masse des veaux, beaucoup de sang aura coulé. Et la reconquête sera longue et douloureuse »[43]. Toutefois dans la surenchère idéologique et la promotion du passage à l’acte dans ce qu’il faut bien appeler la guerre raciale, le PNFE est déjà débordé.
Les organisations radicales ayant quelque difficulté à gérer les bandes skinheads, il va de soi que les relations de celles-ci avec le FN ne sauraient être monolithiques. Si les cortèges annuels de la fête de Jeanne d’Arc et d’autres manifestations frontistes rendaient visible la présence en queue de cortège (ou en marge de celui-ci) d’individus au « look skinhead », il faut garder à l’esprit que le concept de « partei-skin » (skin de parti), élaboré par l’historien et politiste Patrick Moreau pour désigner le skinhead inféodé à un parti organisé dans lequel il milite[44], n’a jamais été pertinent en France. D’une part, l’individualisme, le caractère provocateur et incontrôlable des skins les rendent inaptes à s’insérer durablement dans une structure politique hiérarchisée comme celle du FN. D’autre part, contrairement à une idée reçue, si la stratégie dite de dédiabolisation ne s’est imposée vraiment qu’à partir de 2011, lorsque Marine Le Pen a supplanté son père, elle n’était pas totalement inexistante auparavant : ainsi, outre que la double appartenance était interdite dans les statuts, le parti cherchait à exercer un contrôle étroit sur l’emploi de la force et de la violence, tâche dévolue au Département Protection Sécurité (DPS), placé sous le seul contrôle du président Le Pen. Les projecteurs s’étant braqués sur celui-ci, tout au long de la décennie 1990, au point qu’en 1999 il faisait l’objet d’une enquête parlementaire préludant à une éventuelle dissolution[45], le FN se devait de contenir les skinheads, de sorte que les relations entre le parti et eux étaient depuis longtemps très conflictuelles. Ainsi, lors du défilé FN du premier mai 1993, 32 skins furent interpellés sur dénonciation d’un responsable du DPS et c’est dans la « zone grise » alors constituée autour du Front national de la jeunesse (FNJ) et des nationalistes-révolutionnaires radicaux (notamment ceux d’Unité radicale[46]) que la jonction pouvait s’opérer, davantage d’ailleurs sur le mode du jeune « rebelle blanc » proclamant son appartenance ethnique face à la société multiculturelle que du skinhead proprement dit, en prélude en somme au futur phénomène identitaire des années 2000 à nos jours que Stéphane François analyse dans le chapitre 7 du présent volume.
Idéologiquement, la mouvance skinhead trouvait le discours de Le Pen beaucoup trop modéré. Elle ne comprenait pas la tactique de normalisation par le jeu électoral exposée par Hubert Massol, élu municipal du FN (depuis 1989) et président de l’Association pour défendre la mémoire du Maréchal Pétain (ADMP), dans un fanzine skinhead finement intitulé Gestapo[47]: « Pour que les nationaux reviennent au pouvoir, ils doivent être de plus en plus présents dans le jeu démocratique qui leur permet d’exister, afin de le faire basculer en leur faveur et ensuite faire pression pour instaurer la Révolution nationale. » Subtilité que l’éditeur (Fabien Ménard, des Sables d’Olonne en Vendée, ancien militant du FNJ) de ladite publication récuse ainsi : « Comme notre présence les dérange, exprès nous serons toujours là et encore plus provocants. Notre but n’est pas de nuire au FN, mais rien ne doit nous empêcher de nous exprimer ». Cette affirmation donne la clé de l’attitude des skinheads lors des manifestations du FN : une sorte de complicité idéologique mâtinée d’une réelle aversion à fusionner de manière organisationnelle, ainsi qu’un refus de la « mise au pas » par le DPS, dans la rue. C’est Gestapo encore, orné en couverture d’un portrait d’Hitler, qui l’avoue au final : « Beaucoup critiquent le FN, mais il serait bon de s’apercevoir qu’en fait ce parti est le déclic pour notre peuple. Par la modération de son programme, il permet d’être écouté et de convaincre, apportant ainsi parmi notre grande famille des nationalistes d’innombrables sympathisants. » D’autres ont eu un avis plus tranché : dans son n°10, le fanzine Le Rebelle blanc affirme qu’il s’agit non seulement « d’un parti de corrompus » mais aussi qu’il est « infiltré par les sionistes »[48].
Conclusion
Les skinheads français ont constitué dans les décennies 1980 et 1990 un mouvement que des observateurs étrangers, ceux de l’Anti-Defamation League (ADL), estimaient entre 1000 et 1500 personnes en 1985-1986[49] et que le rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme pour 1995 évaluait encore à un millier. Ils ont formé une sous-culture de la jeunesse séduite par un mode de vie au slogan apolitique (« bière, baise et baston », ou, dans la version du fanzine One Voice : « Oï, Sex and Beer »[50]) mais que certains groupes d’extrême droite ont tenté de radicaliser politiquement, à une époque où le Front national dépassait pour le première fois la barre des 10% des voix (1984) mais où les skins séduits par les idées nationalistes, voire racistes, le considéraient déjà comme une formation « bourgeoise ». Ne voulant pas s’intégrer durablement dans un parti politique d’extrême droite, les skins nationaux-socialistes, que d’ailleurs le Front national ne souhaitait utiliser que pour des tâches électorales (collages) ou de service d’ordre, ont constitué un vivier facile pour des groupuscules glorifiant la violence raciste voire le terrorisme (PNFE) qui s’est exprimé par un niveau exceptionnellement élevé d’actes violents visant les personnes de couleur et les personnes d’origine maghrébine. La réaction des autorités politiques, l’existence d’une législation antiraciste votée dès 1972 et renforcée en 1990, ainsi que la différence entre les lois française et américaine sur la détention des armes, ont sans doute permis que le passage au terrorisme soit évité.
L’internationalisation des liens entre skinheads, en particulier en direction de l’Europe de l’Est, notamment la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie après 1990, a donné une dimension transnationale à la violence de ces milieux. Les groupes musicaux voyagent, se produisent sur tout le continent. Les deux principaux réseaux, Hammerskins et Blood and Honour, sont par essence transnationaux et les concerts qu’ils organisent, y compris en France, drainent un public souvent venu des pays voisins (par exemple en Alsace-Lorraine, d’Allemagne et de Belgique ; en Franche-Comté, d’Allemagne et de Suisse). Cette dimension transnationale de la violence, tout comme le caractère d’importation des idées, des méthodes et même de la musique et de la mode, font du phénomène skinhead un mouvement en porte-à-faux avec le nationalisme français. Il s’agit en définitive d’un phénomène d’affirmation raciale dans l’optique d’une imminente confrontation du type « guerre urbaine »[51], entre Européens blancs et « allogènes », soit cette part de l’idéologie d’extrême droite qu’un FN intégré dans le système parlementaire ne peut plus assumer et qui continue, en 2017, à être l’horizon partagé d’une partie importante de l’extrême droite, avec toutefois un nombre de violences graves et d’homicides moins élevé que dans les années 1980.
Notes
[2]Cf. George Marshall Spirit of ’69: A Skinhead Bible, Dunoon, S.T. Publishing, 1991.
[1] Michel Wieviorka, La France raciste, Paris, Seuil, 1992, ch. 10.
[3] Titre d’un fanzine publié au milieu des années 1990 dans les Bouches- du-Rhône par Mickael P., alors proche du Parti Nationaliste Français et Européen.
[4] Le terme « oi !» est une déformation, utilisée en argot anglais, de « hey you ».
[5] Cf. Timothy Scott Brown, «Subcultures, Pop Music and Politics: Skinheads and “Nazi Rock” in England and Germany », Journal of Social History, 2004, Volume 38, Number 1, p.157-173.
[6] Sur ce sujet, voir le documentaire de Marc-Aurèle Vecchione : Antifa, chasseur de skins (Résistance films, 2008) et pour une version diamétralement opposée celui produit par les proches de Serge Ayoub : Sur les pavés, (Autonomiste media, 2009).
[7] Voir Leonard Zeskind : Blood and Politics, the history of the White Nationalist Movement, Farrar, Strauss and Giroux, 2009, ch. 22.
[9] Des suprémacistes américains sont les auteurs de l’attentat contre un bâtiment fédéral d’Oklahoma City qui fit, le 19 avril 1995, 168 morts et 680 blessés.
[19] Le mouvement Troisième Voie, fondé en novembre 1985, se réclamait du nationalisme-révolutionnaire : voir la contribution de Nicolas Lebourg dans ce volume. Sa direction était composée d’anciens cadres du Parti des forces nouvelles (PFN) et du Mouvement Nationaliste-Révolutionnaire (MNR) menés par Jean-Gilles Malliarakis. Il attira toutefois, notamment à Lille, des éléments de la mouvance skinhead. C’est l’existence de ce vivier spécifique qui conduisit Serge Ayoub à créer en 1987 les JNR comme une structure destinée à regrouper les sympathisants skinheads de TV, qui disparaitra en 1991. Après cette date, les JNR sont définitivement une organisation autonome se réclamant tantôt du « solidarisme », tantôt du nationalisme-révolutionnaire », mais dont les militants sont bien issus du milieu skinhead et l’assument. Cf. Petrova Youra, « Les skinheads : solidarité de classe ou combat national », Agora débats/jeunesses, vol. 9, n°1, 1997, pp. 76-93.
[20] Kerhuel était le bassiste d’un groupe nommé Evil Skins, jusqu’en 1987. Il a affirmé lors de son procès avoir adhéré aux JNR. À l’audience Giraud a déclaré : «Aux JNR, on pouvait se permettre d’avoir une connotation raciste.» Cf. Libération, 18 octobre 2000.
[24] TV a édité un bulletin mensuel, Troisième voie information [dir. publ. Philippe Cabassud], n°1, décembre 1986.
[25] Voir : http://reflexes.samizdat.net/. Si l’information factuelle contenue dans tous les numéros (désormais numérisés) à partir de juin 1986 est donnée dans un contexte militant avoué, du point de vue de la mouvance libertaire, et qu’elle doit être prise par les chercheurs avec les précautions d’usage, puisqu’elle n’est pas toujours confirmable par des archives accessibles, elle n’en donne pas moins une trame historique fiable du mouvement.
[28] Le Francisme, fondé en 1933 par le héros de la guerre de 1914-1918, Marcel Bucard (1895-1946), a été le parti d’extrême droite le plus proche du Fascisme italien jusqu’à son tournant ultra-collaborationniste de 1943. Pierre Sidos, de l’Œuvre française, Pierre Bousquet, de Militant, en ont été membres. De même que l’adolescent Jean Mabire, selon l’ancien Franciste Antoine Graziani. Cf. Les visiteurs de l’aube, Chemise bleue, Volume, III, p. 458, Paris, Dualpha, 2009.
[29] Dissous tous deux par décret du 10 juillet 2013.
[30] Jamais dissout, le PNFE s’est mis en sommeil au printemps 1999. Le dernier numéro de son journal Le Flambeau (mai 1999), porte en couverture la photo de Bruno Mégret.
[31] Sur le hooliganisme : Nicolas Hourcade , « L’engagement politique des supporters “ ultras” français. Retour sur des idées reçues », Politix, vol. 13, n° 50, 2000, p. 107-125. Le hooliganisme constitue un objet d’étude séparé, dans la mesure où il a ses ressorts de mobilisation propres et n’a été utilisé par l’extrême droite que comme un vivier de recrutement.
[32] Symbole porté par l’escorte des magistrats de la Rome antique, ce faisceau a été repris sous une forme proche par l’Assemblée Constituante de 1790, comme allégorie du pouvoir dévolu au peuple. Le Fascisme italien l’a parfois repris sur ses monnaies.
[34] À savoir : Walkyrie (pour les militantes); Niebelungen (groupe Thor à Metz); Le Marteau (Saint-Lô, groupe Thulé), Charlemagne (section Léon Degrelle, Nord-Pas-de-Calais); Le chêne (section Jacques Doriot, Seine-et-Marne); Le Glaive (section Roger Degueldre, région parisienne); L’if de Ross (Lyon); Liberté (groupe Odal, Marseille); Sang et Honneur (groupe René Binet, région parisienne); Ultime ralliement (Seine-et-Marne); Wikings (groupe Odin, Normandie). Le nom des sections souligne le poids de la mémoire de l’engagement sur le front de l’Est (Binet, Degrelle et Doriot y furent volontaires) et du néo-paganisme nordiciste, justement activé dans l’extrême droite française à cette période (cf. Nicolas Lebourg et Jonathan Preda, « Le Front de l’Est et l’extrême droite radicale française : propagande collaborationniste, lieu de mémoire et fabrique idéologique », Olivier Dard dir., Références et thèmes des droites radicales, Bern, Peter Lang, 2015, p. 101-138 ). Degueldre était quant à lui membre de l’Organisation de l’Armée Secrète, fusillé en 1962.
[39] Cf. Le Flambeau n°15, août 1995, p. 22, qui rapporte le déroulement d’un solstice d’été à Paris, le 24 juin précédent.
[40]L’Empire invisible, n°11, janvier-février 1990, p.11. Devalez se présentait alors comme « organisateur national » du 33/5 ce qui, dans la numérologie du Ku-Klux-Klan américain, renvoie à la cinquième époque du mouvement, dont le théoricien était Robert Miles (1925-1992), partisan d’un Klan agissant dans le secret absolu, mystique dans le sens des Identity Churches.
[41] Michel Lajoye (1967) a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 18 ans pour avoir posé en 1987 une bombe dans un café du Petit-Quevilly, fréquenté par des Maghrébins. Il a été libéré en 2007 et a toujours prétendu avoir été manipulé par son complice, un démineur des services de police qui aurait été chargé de pousser l’ultra droite à commettre des attentats. Voir son livre : 20 ans, condamné à la prison à vie, Paris, Dualpha, 2002.
[44]Cf. son livre Les Héritiers du Troisième Reich, Paris, Seuil, 1994.
[45]Le DPS : service d’ordre du FN ou garde prétorienne ? Rapport n°1622 enregistré le 26 mai 1999, deux volumes, Les documents d’information de l’Assemblée nationale.
[46]Fabrice Robert, leader à partir de 1996 du groupe de rock nationaliste Fraction, cadre d’Unité radicale et élu municipal FN en 1995, avant de prendre la tête du Bloc identitaire en 2003, a rendu compte de ce qu’il appelle sa période « rebelle blanc » dans un texte intitulé « Retour sur un parcours politique personnel ». Cf : http://fr.metapedia.org/wiki/Fabrice_Robert_:_%22Retour_sur_un_parcours_politique_personnel%22.
[48] Non daté, sans doute publié en 1989-1990, ce fanzine est un des premiers à évoquer la nécessité d’importer en France « la lutte légitime des Palestiniens contre les occupants israélites ».
[49] ADL : The Skinhead International : A worldwide survey of Neo-Nazi Skinheads, 1994, p. 30.
La mort de James Dindoyal, un soir de beuverie au Havre, est une «correction» infligée à un «boucaque», mélange de bougnoule et de macaque, qui n’avait pas à passer par là. La triste fin de ce Mauricien de 23 ans sur la plage «du bout du monde» a été élucidée huit années plus tard, après les révélations à la police de Michel H., un «jeunot» de la bande à l’époque.
Ce 18 juin 1990, des crânes rasés du Havre la bande Blood and Honour et des durs de Paris se retrouvent à trente devant l’église du quartier Sanvic, achètent des packs de bière et des bouteilles de rhum chez Champion, puis filent au bunker sur la falaise en face du fort de Sainte-Adresse. Circuit habituel. Le soir, les voilà «chauds», qui descendent sur la plage au bistrot la Bodega s’envoyer encore des «barons» de bière. Selon Michel, le chef Joël Giraud donne le signal du départ: «On bouge, pour aller casser du boucaque.» Il interdit aux deux mineurs, âgés de 15 ans, de sortir. Michel et «Cafard» restent. Les «autres, Kerhuel, Cédrose, Poisson, Mammouth et trois meufs suivent Giraud».
«Trempette». Du bar, Michel observe le manège des dix qui se dirigent vers la digue. «Trois garçons reviennent sur le parking pour prendre un sac dans le coffre de la voiture de Giraud», puis rejoignent le groupe. Au bout d’une demi-heure, tout le monde réintègre la Bodega, hilare. Giraud lance: «On s’est bien marrés, il a bien picolé, celui-là, avant de faire trempette.» Le «jeunot» du groupe a gardé ses doutes jusqu’au 10 avril 1997. Ce jour-là, Michel, qui a témoigné dans une autre affaire de crime raciste (1), dépose plainte au commissariat pour «menaces de mort» à cause de coups de fil. En gage de sa bonne foi, le «repenti» branche les policiers sur «l’histoire du Pakistanais». Dans les archives, les enquêteurs trouvent trace de la mort classée sans suite d’un étranger, James Dindoyal, né le 11 juillet 1966 à l’île Maurice, décédé le 3 juillet 1990 au Havre, de façon atroce. Un médecin de Sainte-Adresse avait trouvé devant sa porte un jeune homme qui «se tordait de douleur, de la bave sanguinolente aux lèvres». A l’hôpital Monod, James Dindoyal avait parlé d’une agression violente, d’une boisson bizarre avalée de force. Avant de plonger dans le coma. Et de succomber, seize jours plus tard, de ses brûlures à l’estomac. Selon l’autopsie, la mort a été causée par «l’ingestion d’un produit caustique» indéterminé.
Le film "Un Français" s'inspire de ces faits pour une de ses scènes
Aiguillés par Michel sur la piste des boules à zéro, souvent désignés par des noms de guerre et éparpillés aux quatre coins de France Paris, Bordeaux, Perpignan, Le Havre , les policiers ont mis une année à démasquer les skinheads meurtriers. Le 12 juin 1998, six suspects ont été mis en examen par le juge Christian Balayn, du Havre, pour l’homicide de James Dindoyal.
Empoisonnement. Régis Kerhuel, 33 ans, maître-chien, et Joël Giraud, 30 ans, qui crient à la «dénonciation calomnieuse», sont accusés d’«empoisonnement». Pascal Liberge, dit «Poisson», 31 ans, qui se prétend «absent ce soir-là», Cédric Haudebout, «Cédrose», 29 ans, Carmen Vicente, 31 ans, qui «n’a rien à voir avec ça», et Elodie Lagarde, 24 ans, sont soupçonnés de «complicité». Les quatre garçons ont été écroués, les deux filles placées sous contrôle judiciaire. Me Dominique Tricaud s’est constitué partie civile pour la famille de James Dindoyal, ainsi que SOS-Racisme.
Régis Kerhuel et Joël Giraud sont des lieutenants de Serge Ayoub (2), un inconditionnel de la batte de base-ball surnommé «Batskin», qui a monté les Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR) à Paris en 1987 et a soutenu en hooligan le club de foot du Paris-Saint-Germain. «Carmen de Normandie» fabrique alors un fanzine, Bird’s Band, avec Elodie et Greg, le chanteur du groupe Viking. Son compagnon Giraud et Kerhuel, «partisans du White Power», traversent Le Havre «déguisés en grands chefs du Ku Klux Klan», tiennent des «réunions secrètes» pour monter un groupe KKK, «organisent les trajets sur Paris pour aller aux manifs du Front national, à la fête des Bleu-Blanc-Rouge ou au défilé à Jeanne d’Arc», et participent à des services d’ordre du FN au Havre et à Paris, «contre rémunération».
«Drôle de goût». Embrigadé par Kerhuel dans Blood and Honour, Cédrose a rapporté aux enquêteurs la scène du crime. «Assis sur la digue, on a vu passer un bien bronzé qui se promenait vers la mer, pas noir ni maghrébin, mais comme un Pakistanais. On l’a insulté, traité de sale boucaque: “Retourne dans ton pays. Il n’a rien dit. On lui a barré la route, on l’a entouré et bousculé. On le provoquait pour obtenir une réaction de sa part. Il voulait partir mais ne se défendait pas. On attendait qu’il se rebiffe pour le frapper. Les chefs ont décidé qu’on allait le forcer à boire. Il a vidé une bière sans rien dire. C’est la première fois qu’on faisait ça. On n’avait pas pour habitude d’user de la bière pour un boucaque. Comme il avait accepté une bière normale, Giraud et Kerhuel ont eu l’idée de lui en préparer une autre, ils se sont absentés quelques instants. Mort de trouille, le gars avait du mal à boire la deuxième bière, il faisait la grimace, il se plaignait qu’elle avait “un drôle de goût. Giraud et Kerhuel répondaient: “Mais non, c’est rien, elle doit être éventée. Soit tu la bois, soit on te tabasse. Finis ta bière, et on te laissera partir. Le mec l’a toute bue et a cherché à s’en aller. Le ton est monté, et on l’a balancé à l’eau par-dessus la rambarde. Il est remonté sur ses jambes vers la plage, trempé.» Aujourd’hui, Cédrose refuse de confirmer au juge ce long récit qu’il aurait livré «sous la pression de la police». Elodie Lagarde, elle, maintient ses aveux. Cheveux rasés sur le côté, petite queue-de-cheval, tatouée, elle est restée en retrait avec Cédrose et Carmen: «Notre rôle à tous les trois a été de servir en deuxième rideau à empêcher le gars de se barrer.» Pascal Liberge, alias Poisson, fut «l’un des gros bras qui maintenaient le gars», et Joël Giraud, «l’un des instigateurs de la correction» avec Régis Kerhuel, qui «a tendu la nouvelle canette de bière décapsulée au Black»: «Ils n’admettaient pas de personnes étrangères au groupe sur leur territoire, même simplement de passage. L’intrus était prié de s’en aller. Si, en plus, il était bronzé, il avait droit à une correction.» Sa copine Carmen Vicente prétend qu’elle est hors du coup. Mais, ex-femme de Joël Giraud, chef de la bande du Havre avec Régis Kerhuel, elle a raconté toutes leurs sales histoires.
Chat égorgé. Kerhuel et Giraud raffolent d’un «petit cocktail à base d’eau chaude, d’absinthe et d’alcool à 90°». Carmen, buveuse de whisky, a goûté à leur mixture et a souffert de brûlures d’estomac. Elle dépeint ses amis en tortionnaires. Giraud l’a souvent frappée les soirs de soûlerie, «cocards, bleus et autres», et lui a «cassé la jambe, d’un coup de pied au tibia». Kerhuel, lui, «aimait faire souffrir les animaux». Un jour, il a mis «son rat blanc dans une bouteille d’eau-de-vie pour le tuer». Un autre, il a «égorgé un chat en forêt de Montgeon pour manger son coeur, une sorte de messe noire». James Dindoyal, le pauvre «boucaque» échoué sur la plage «du bout du monde», a avalé leur breuvage mortel, un mélange de bière et de soude, ou d’acide, ou peut-être d’eau de Javel.
(1) Le meurtre d’Imad Bouhoud, noyé dans le port du Havre le 18 avril 1995 par David Beaune et Michaël Goncalves, deux skinheads du Havre.
(2) Serge Ayoub, Régis Kerhuel et Joël Giraud ont été condamnés ensemble pour l’agression de Karim Diallo à Paris en 1990 sous l’oeil des caméras de la 5.
David Beaune n’est pas parvenu à convaincre ses juges. Dans la soirée du vendredi 12 décembre, les jurés de la cour d’assises de Seine-Maritime l’ont reconnu coupable du meurtre d’Imad Bouhoud, un jeune beur âgé de dix-neuf ans, le 18 avril 1995, et l’ont condamné à dix-huit ans de réclusion criminelle. Il écope ainsi de la même peine que celle infligée à Mickaël Gonçalves, son comparse, jugé pour les même faits, le 4 juillet, par le tribunal de Braga, au Portugal. Les deux jeunes hommes s’accusaient l’un l’autre de la responsabilité du meurtre d’Imad Bouhoud, mort noyé dans les eaux du bassin Vauban, au Havre.
Dans son réquisitoire, l’avocat général Jean-Louis Lecué a souligné qu’« il est fondamental de dire haut et fort que David Beaune a commis un meurtre raciste », et a demandé à la cour de lui infliger une peine de vingt ans de réclusion criminelle. Me Jean-Michel Vincent, avocat de l’accusé, a, pour sa part, mis en avant l’histoire difficile de David Beaune. Abandonné à l’âge de deux ans par ses parents, « il avait besoin d’une autre famille », a-t-il notamment suggéré.
A l’énoncé du verdict, David Beaune n’a pas paru surpris. Avant que la cour ne se retire pour délibérer, il a une dernière fois pris la parole, affirmant ne pas réclamer « la clémence » de ses juges. Plus tôt dans la journée, il avait déjà dit : « Je vais m’expliquer sur les faits. Je suis là pour assumer mes actes. » Une stratégie différente de celle adoptée jusque-là. A l’ouverture du procès, David Beaune était, en effet, apparu borné, presque arrogant, quand il revendiquait à la barre son appartenance au mouvement skinhead et son attachement aux idées racistes et xénophobes (Le Monde du 11 décembre). Cette attitude suicidaire augurait mal de la suite. Pourtant, au fil des audiences, l’accusé avait modulé son propos, allant même, au soir du premier jour, jusqu’à adresser des excuses à la famille de la victime.
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A l’ouverture du troisième et dernier jour d’audience, David Beaune a pris toute sa part de responsabilité dans la mort d’Imad Bouhoud. Bien sûr, de nouveau il affirme ne pas avoir poussé le jeune beur dans le bassin Vauban. « C’est Mickaël Gonçalves qui l’a fait, alors que je retenais Imad par le col de son blouson », précise-t-il. Le président Jean Reynaud s’étonne alors que l’accusé n’ait jamais formé de demande de mise en liberté. « Vous considérez-vous coupable de quelque chose ? », a-t-il demandé. « Oui, de complicité de meurtre. » « Pourquoi ? » « Parce que j’ai lâché Imad Bouhoud. » « Au début, ajoute-t-il, j’avais bien la haine. La prison a alimenté cette haine. Maintenant, c’est comme des regrets, j’essaie de trouver quelqu’un pour me sortir de ça. »
Les skins du Havre étaient un petit monde. «Une vingtaine de garçons, trente avec leurs copines», dit le jeune lieutenant de police en charge de leurs dossiers. Le groupe a éclaté aujourd’hui. Il s’est dispersé après le meurtre d’un Tunisien de 20 ans, Imad Bouhoud, noyé le 18 avril 1995 dans un bassin de la ville et l’incarcération de l’un des leurs, David Beaune, qui comparaît depuis mercredi devant la cour d’assises de Rouen, accusé du crime. Son complice présumé, un portugais, Mickaël Gonçalves, a été condamné dans son pays à 18 ans d’emprisonnement.
«Idéal commun». Vingt garçons. Des inséparables. Réunis par les bières, les fêtes dans les bunkers des dunes, à écouter les Garçons Bouchers, à défoncer des carcasses de voitures. Ils allaient au Bar des Témoins, parce que là, jure David Beaune, «je n’ai jamais vu un seul Noir ni un seul Arabe». Ils avaient un «idéal commun: la race blanche». Ces fêtes, et les bagarres de rues, les «bastons», c’était «une époque qu’il n’oubliera jamais». Il avait 22 ans. Il s’était inventé un surnom «Toten». Mickaël Gonçalves, c’était Mickey. Les autres, Précoce, Cafard, Bourdon.
Quand l’un faisait quelque chose, les autres suivaient. «Jeter un Maghrébin à l’eau, est-ce que c’était une idée que l’on pouvait émettre dans le groupe ?», demande l’avocat de la famille Bouhoud à l’un des garçons appelé à témoigner: «C’était une idée qui circulait, moi, je n’étais pas d’accord, mais dans le groupe, on ne pouvait pas donner son opinion.» Il fallait suivre le chef, Leroy. «C’est lui qui disait ce qu’il fallait faire», poursuit l’ex-skin. «Et qu’est-ce qu’il disait qu’il fallait faire?», insiste l’avocat. «Rien. La plupart du temps, il buvait, alors on ne faisait rien.» Un jour, pourtant, il a collé des affiches pour le Front national. Il hausse les épaules: «C’était avec Willie et Ludovic. Il y en a un qui le faisait, les autres suivaient.» Quand, deux mois avant la noyade d’Imad Bouhoud, Mickey est monté dans un bus de la ville, a sorti son pistolet et a menacé un groupe d’enfants arabes, David Beaune était avec lui.
Les filles avaient 14 ans, comme Stéphanie, une lourde blonde. Elle est au lycée aujourd’hui. A la barre des témoins, elle éclate en gros sanglots quand on l’interroge: «Qu’est-ce que c’est que cette race normande dont vous vous revendiquiez?» «Un petit peu comme si on était les descendants des Vikings, blonds, de type français». A 14 ans, elle pensait qu’il y avait «des races inférieures, toutes celles de couleurs et les juifs». Elle pensait qu’il fallait «les éliminer». Cendrine est l’ancienne amie de l’accusée. Raide, dure. Elle a 21 ans aujourd’hui. Fille de commerçants du Havre, elle a quitté Beaune quand il a été arrêté pour se marier avec un autre skin du groupe. Après la mort d’Imad Bouhoud, c’est elle qui a répété aux policiers ce que Mickey lui avait dit: «Tu vas trouver ça rigolo, j’ai poussé un mec à l’eau.» A 19 ans, elle voulait «monter une petite section des Jeunesses hitlériennes» et «éclater les crouilles».
Dans sa cellule, David Beaune écrit beaucoup. Des lettres qu’il avait fait passer en douce, qu’il signait A.H., Adolf Hitler, et que la police a retrouvées: «C’est la première fois qu’un skin tue un Sarrazin, il s’est débattu dans l’eau, quel spectacle de choix!», lit le président de la cour d’assises. Il écrit sur des cahiers, de la marque Guillaume le Conquérant, de longs chapitres où il raconte sa vie. Le chapitre III est intitulé «Béatrice et moi». Il avait 16 ans, il a eu un enfant avec «Béa», un fils. «Vous écrivez que, quand votre fils avait 7 ou 8 mois, vous lui avez appris à faire le salut la main levée comme le faisait Hitler. C’est vrai, ça?», lui demande le président de la cour d’assises. «Oui», dit simplement David Beaune.
«Ah! voilà Hitler!» Il a été élevé au Havre par la sœur de son père, «Tata». Tata a 65 ans aujourd’hui, elle a fait le déplacement jusqu’au palais de justice de Rouen pour prendre sa défense. Quand David venait chez elle avec Mickey, elle leur faisait enlever leurs insignes. Pour les bombers, les jeans, les rangers, les cheveux rasés, elle ne disait rien, «il y a beaucoup de jeunes comme ça». Ce qu’elle ne voulait pas à la maison, c’étaient les croix gammées. Elle avait connu la guerre. Son mari, un ouvrier, employé municipal du Havre, alors ville communiste, avait «sa carte CGT comme tout le monde». Quand David Beaune venait chez elle, elle disait: «Ah! voilà Adolf Hitler!» «Pourquoi l’avez vous surnommé “Dodolf?», lui demande l’avocat des parties civiles. «Moi? J’ai dit ça?», hésite-t-elle, «c’était en rigolant peut-être».
Elle aime David «comme ses propres enfants». Elle l’a adopté quand il avait 2 ans, sa mère venait de l’abandonner. Un an plus tard, son père a été condamné à dix ans de prison pour un incendie volontaire, il a récidivé, et ne s’est plus montré en famille. Disparu. Elle ne sait pas s’il est encore vivant. A la cour, la vieille dame a expliqué que David «n’a jamais été malpoli, il n’a jamais rien dit jusqu’à l’âge de 16 ans. C’est après, quand le juge des enfants l’a mis dehors, qu’il a été livré à lui-même». Au moment où il a été arrêté pour le meurtre d’Imad Bouhoud, il avait un éducateur, un homme qui entretenait des relations particulières avec lui : il avait pris l’habitude de se faire battre par le jeune skin, ou par Mickey.
«Moins un». David Beaune porte une large cicatrice. Il s’est brûlé avec une fourchette pour effacer le tatouage d’un juif en flamme. Il a gardé une croix gammée sur l’épaule, un pitt-bull, et des inscriptions «White power», «I fuck you» sur une cuisse. Avant de comparaître devant la cour de Rouen, il avait été condamné cinq fois, pour des vols, des incendies volontaires. Lorsque le jeune Tunisien a coulé, il s’est tourné vers Mickey. Il lui a dit: «Moins un». L’avocat général a requis 20 ans réclusion criminelle.
On l’a frité (cogné) et balancé à la flotte… : des lettres clandestines envoyées de prison par David Beaune, 23 ans, à sa petite amie et à un groupe skinhead relancent l’instruction d’un crime raciste, commis il y a un an, au Havre. Le jeune homme, soupçonné jusque-là de «non-assistance à personne en danger», est désormais inculpé d’homicide volontaire sur Imad Bouhoud, un beur de 19 ans, frappé et poussé dans le bassin du port, avec la complicité d’un autre skinhead arrêté, lui, au Portugal.
Un reportage, tourné au havre, sur un groupe de jeunes skinhead que nous avons suivi pendant plusieurs semaines, pour mettre a jour leur univers, leurs motivations, leur quotidien.
Reportage “Envoyé Spécial” diffusé sur France 2 le 25 janvier 1996.
Commentaire: Marie Noëlle Himbert Images: Patrick Descheemaekere Son: Pascal Querou Montage: Martine Alison
David Beaune, 23 ans, est incarcéré depuis le 15 mai pour «non-assistance à personne en danger et non-dénonciation du crime» d’Imad Bouhoud, 19 ans, que son copain Michael Goncalves est accusé d’avoir précipité dans le port du Havre, le 18 avril. En perquisitionnant chez Beaune, la police a découvert un cahier, «L’aventure sans étoile», «dédié à mon fils Allan, petit être de 4 ans.» Il a été commencé le 30 juin 1994 à la maison d’arrêt de Rouen, où le jeune homme purge alors une peine pour «vol avec violence». Libération n’aura jamais de mots assez forts pour condamner l’idéologie néonazie. Si nous choisissons de donner à lire des passages du cahier de David Beaune, c’est pour tenter de comprendre comment, aujourd’hui en France, des skinheads peuvent devenir des criminels racistes. «Le destin est parfois cruel envers les hommes, tout être humain a une destinée différente, la mienne est stupéfiante, voire rejetable, mais il en est à vous et à vous seul d’en juger!»
Ma mère. «Vers six mois, mes parents se sont séparés et, ne voulant pas que je reste avec ma mère, mon père me confia à ma tante. Cette affaire alla tout droit devant les tribunaux de grande instance du Havre. J’ai bien commencé ma triste carrière. Ma tante eut droit à ma garde. Elle avait déjà deux filles, Marie-Hélène et Martine, plus deux garçons, Marcel et Laurent, donc j’étais le plus jeune de la famille. Nous habitions rue des Bleuets, ce n’était pas Beverly Hills ni Oxford City, mais plutôt le Bronx. A l’époque, tout le monde se tirait dessus pour rien. Nous avons déménagé rue des Saules, une autre partie d’Aplemont, beaucoup plus calme. Ne pouvant subvenir à nos besoins, ma tante se mit à travailler la nuit, elle faisait le ménage. Aujourd’hui, je sais très bien que c’est pour moi qu’elle avait repris le travail.»
Cafard. «Douze années que je connais Cafard, et je n’ai plus aucun respect ni le moindre signe de compassion envers lui depuis trois ans. Pourtant, nous avons vécu de merveilleuses années. Tout commença un après-midi où j’avais bastonné un mec de mon âge qui m’avait dit: Je vais le dire à mon cousin. Quelques minutes plus tard, je vis un type chaussé de rangers, un treillis de l’armée, un Bomber’s noir et une crête jaune. Nous parlâmes et nous avons lié des liens style musique, tenue vestimentaire, etc. Dès lors nous étions inséparables, toujours à s’épauler dans les coups durs. Nous nous sommes fait des meufs ensemble. Nous avons pris de la drogue ensemble, vers 15 ans. Nous avions un idéal commun: la race blanche.
«Je me souviens que nous passions tous nos après-midi à la forêt de Montgeon au lieu d’aller tout simplement à l’école, nous allions aux balançoires, et nous faisions les fous à nous balancer dans tous les sens. Cafard avait un gros poste et nous écoutions les Béruriers noirs, les Garçons bouchers, avec une grenade dans la poche, car nous faisions de la détection d’armes anciennes au bois de la Comtesse, à Caucriauville. Vint le temps des virées à Mammouth, le trafic des jeux électroniques, sniffer des produits nocifs tels que le dégoudronnant et le trichlo, derrière les chaînes de magasins (Décathlon, Monsieur Meuble, Cuir Center). Notre amitié commença à se dégrader lorsque j’ai connu Béatrice.»
L’hôpital psychiatrique. «A ma sortie de prison, le 18 septembre 1989, sans domicile où aller, puisque j’avais quitté le foyer de mes parents vers 14 ans, comme aucun foyer pour jeunes délinquants ne voulait de moi en raison de mon agressivité envers les éducateurs et les autres jeunes, je ne savais où aller. Le juge des enfants, encore responsable de moi jusqu’à 18 ans, décida de m’interner pendant sept mois en hôpital psychiatrique, dans un service pour les jeunes ayant des problèmes à dominer leurs nerfs. Je me doutais pourquoi j’allais là-bas. J’avais fait mes preuves en matière de violence: sauter une fois sur le thorax d’un gendarme et lui lancer une plaque d’égout dans le bassin, sans oublier les bagarres dans les bars en Bretagne, où j’avais mis deux coups de couteau dans le ventre d’un marin, j’étais pris au piège…
«A notre arrivée au centre Pierre-Janet, une ravissante jeune femme me montra ma chambre, j’étais seul, je pouvais avoir ma clé, et j’avais le droit de sortir jusqu’à 21 heures. Le soir, j’allais chez ma mère, et en rentrant, je flânais dans les rues. En rentrant, je prenais une douche et je m’installais devant la télé avec d’autres jeunes. Ce qu’on ne m’avait pas dit, c’est que je devais prendre des cachets et des gouttes. Je voyais bien où cela menait. Les autres internés des pavillons, sous étroite surveillance, se comportaient d’une façon euphémistique. Je me doutais que l’absorption des médicaments en était la cause. Donc, je donnais mes cachets à un type, mais ce petit jeu ne dura pas longtemps. Une infirmière découvrit ma tactique et en informa mon psy qui, mécontent, ordonna de me clouer au lit avec une piqûre. Un soir, je reçus un coup de téléphone de Béatrice, cette fille qui correspondait avec moi quand j’étais incarcéré à la maison d’arrêt de Rouen, où elle m’avait fait parvenir une photo.»
Béatrice et moi. «Nous sortions ensemble, tout était neuf, tout était beau, nous allions à la mer le soir (…).
«Nos rapports se dégradèrent lorsqu’un après-midi, nous avons rencontré Cafard et Gaëlle. Béatrice vit un skinhead et une «bird’s» (un fille avec une crête comme un oiseau, ndlr) tenir conversation avec moi. Elle ne savait pas que j’étais un skinhead qui avait coupé avec le mouvement, depuis ma libération. Elle fut un peu choquée et bien sûr insista pour que nous nous en allions, ce que je fis. Je voyais bien qu’elle n’était pas heureuse, son comportement avait changé à mon égard, juste l’idée que son mec parle avec des nazis la dérangeait. Pourquoi devais-je avoir honte de mon passé puisque, dès mon plus jeune âge, j’avais fait partie de ces fameux mouvements d’extrême droite? Je n’avais jamais eu l’occasion de défendre mon point de vue sur ces Arabes envahisseurs qui viennent jusque dans nos campagnes égorger nos fils et nos compagnes.
«Les parents de Béatrice étaient de fervents admirateurs de Staline et membres du Parti communiste, opposés avec acharnement aux racistes ainsi qu’aux défenseurs de la race blanche. A ce niveau, moi, néonazi de France, j’étais dans une position délicate, car Béatrice soutenait bien naturellement ces deux rouges en puissance, ces abcès où il faut porter le scalpel ! Bien qu’elle soit en faveur de ses parents, elle n’a jamais su ce qu’est le communisme, et encore moins définir le mot national-socialisme! Poussée par ses parents, qui voulaient la faire rompre, elle hésitait et je sus remettre les choses en ordre, jusqu’au jour où elle me proposa une place de peintre en bâtiment. Je n’ai jamais eu le sens du travail. J’étais à cette époque un original. Pas question de bosser et d’entrer à mon tour dans le système vicieux de la société. Je pris la décision de rompre.»
Au nom d’une idéologie. «Dans le livre Hitler in uns Selbst, notre guide Adolf Hitler, père spirituel de notre voie, cite ces phrases: Les juifs sont des ordures qui pullulent, Ils ne sont qu’une troupe de rats, Des enfants aux vieillards, ils ne sont que des parasites. Si tu n’as pas la pensée du sentiment, ni la tendre figure du frère, alors deviens un néonazi, tu n’as rien à gagner aux côtés de tous ces chiens qui sont bâtardés!
«Notre Fürher est mort pour renaître sous d’autres visages, et ces visages ce sont les nôtres. Que tu sois un grand leader qui enflamme les foules, ou bien que tu sois un simple militant de la cause, tu as une part de l’héritage d’Adolf Hitler à léguer aux peuples nordiques. Défendre sa race est l’acte le plus noble qui puisse être commis.»
Allan. «Le 12 octobre 1990 à 0h40, est né Allan-André-Daniel, mon fils. A la maternité, je le vis tout petit, pas un cheveu sur la tête, je le pris dans mes bras pour l’embrasser, le petit homme faisait des grimaces avec sa bouche, comme s’il se disait: Qui t’es toi? J’étais fier de lui, j’ai pleuré des larmes de joie, ce qui m’arrivait était superbe, malgré mes 18 ans, j’étais papa. Après une semaine, nous sommes retournés chez nous. Toutes les nuits, je me levais pour lui donner le biberon, changer ses couches. A 10 mois, il commençait à marcher, il fallait tout cacher. Un jour, il fit tomber une assiette et, d’un coup, plus personne sur les lieux du méfait, le criminel s’était réfugié dans la chambre. Nous avions un chaton. Un jour, Allan s’amusait avec, quand le chaton le griffa. Bien sûr, les pleurs et les baba (papa) retentissaient. Plus tard, j’entendis un miaulement, et puis plus rien. Allan était assis sur le chaton qui, ne pouvant supporter les vingt kilos du petit monstre, était mort. Allan avait fait justice lui-même. Je pris le chaton et le donnai à un berger allemand qui en fit son repas. (…) J’ai passé seize mois avec lui, seize mois de bonheur complet. Lorsque je me suis séparé d’avec Béatrice, je venais le voir dès que je pouvais, j’avais toujours quelque chose pour lui. La dernière fois que je l’ai vu, il était dans les bras du mec à Béatrice, il me vit et me tendit les bras, je le pris et pendant 30 mn, je ne l’ai pas lâché, il rigolait, il me faisait de gros sourires comme à ses premiers mois, puis Béatrice vint le prendre. Puis je me suis souvent posé la question suivante: est-ce que tu iras le voir un jour? Je ne pense pas que j’essaierai de le revoir car cela pourrait lui créer des troubles dans son équilibre familial. Béatrice s’est remariée, elle a un autre bébé, je pense qu’Allan s’est habitué à sa famille. Tout ce que j’espère pour lui, c’est d’être heureux et que la vie lui réserve plein de bonnes choses.»
Sanvic. «Ce quartier situé sur les hauteurs du Havre, je l’aime. Tout d’abord pour son ambiance. Personne ne regarde personne d’une façon bizarre. J’aime aussi le centre de Sanvic, où est Champion, un grand parking avec des petits magasins, et surtout la laverie automatique. C’est un endroit où nous allions souvent pour délirer. Les parents des copines et des copains y allaient pour leur linge, nous étions toujours assis sur les grosses machines à laver, avec une bouteille, on rigolait bien dans cette laverie. Grâce aux vitres transparentes, nous étions aux premières loges pour voir tout ce qui se passait sur le parking, à Carrefour et à Champion. J’aime aussi la mairie de Sanvic, avec, dans l’arrière-cour, un arbre. Dans cet arbre, il y avait une pie qui, quand nous venions boire, se posait sur le béton et volait les capsules de bière. Un jour, nous avions mis de la bière dans une capsule et elle avait bu les gouttes, nous étions trop morts de rire. Le bar Le Témoin était génial. Tous les skins se retrouvaient le soir dans l’arrière-salle, avec un jeu électronique et un billard. Les gérants nous connaissaient bien, je n’ai jamais vu un seul Noir ou un seul Arabe dans ce bar… Quand les skinheads des autres villes venaient, c’est toujours au Témoin qu’ils allaient, mais ce bar n’a plus la même ambiance depuis 1991.
«Enfin, il y a le fort de Sanvic, c’est l’endroit que j’aime le plus. Devant l’entrée, il y a un bunker, incrusté dans la terre, recouvert d’herbe. De la dalle de béton, juste devant, on voit la plage du Havre, le port où s’enfoncent les car-ferries venus d’Angleterre, on voit aussi les toits des maisons havraises. A l’intérieur du fort, il y a deux bâtiments où se trouvaient les dortoirs des militaires, tout est délabré, les murs sont troués, détruits. Nous montions sur les toits en ruine, cela nous amusait de prendre des risques. Ensuite, il y a la chapelle. Dieu a déserté depuis longtemps cet endroit. Plus loin, dans les hangars à camions, on peut voir des petits tas de pierres en forme de cercle. C’est ici que nous nous réunissions pour faire la fête, l’été. Nous restions là toute la nuit, à boire, discuter, écouter de la musique, à faire des parties de chasse à l’homme. Dans le fort, la nuit, c’est lugubre. Dans les remparts, il y avait des galeries, nous avions mis des cordes pour que, si la police ou des bandes adverses, notamment zouloues, arrivaient, nous puissions nous cacher et sortir du fort par un cimetière situé derrière. Mais mon endroit favori se trouve sur les plaines, il y a des étendues d’herbes hautes à perte de vue, des blockhaus un peu partout, et au bout se trouve le câble d’acier. En dessous, c’est quarante mètres de vide avec des arbres, des carcasses de voitures et des ordures. Notre jeu préféré était de se laisser glisser le long de ce câble et d’arriver en un seul morceau. En dehors de ces endroits, je trouve Sanvic calme. Pas de cités avec d’énormes tours de béton. Les rues sont tranquilles. J’espère y habiter un jour car j’aime vraiment ce coin.».
Document retranscrit par PATRICIA TOURANCHEAU
Actuellement à l’isolement, David Beaune a repris l’écriture de son manuscrit inachevé.