À Rouen (Seine-Maritime), cinq personnes soupçonnées d’appartenir à l’ultradroite ont été interpellées ce samedi. Trois d’entre elles sont suspectées d’agression sur deux personnes et d’avoir envoyé du gaz lacrymogène.

https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/rouen-cinq-personnes-soupconnees-d-appartenir-a-l-ultradroite-placees-en-garde-a-vue-pour-violences-en-reunion_5896297.html#xtor=CS2-765-[share]-

Cinq personnes, soupçonnées d’appartenir à l’ultradroite, et dont l’un d’entre eux est connu pour son idéologie ultra-nationaliste, ont été placées en garde à vue à Rouen (Seine-Maritime) ce samedi, pour violences en réunion et port d’arme après avoir agressé deux personnes, a appris franceinfo de source proche de l’enquête.

Ces interpellations sont intervenues le soir de la grande fête maritime de l’Armada, à Rouen, lors de laquelle le rappeur Médine [La Quenelle] a donné un concert, de 18h50 à 20h00. Le rappeur est régulièrement critiqué par la droite et l’extrême droite, dont cette dernière avait demandé la déprogrammation du concert.

Les suspects ont pris la fuite avant d’être interpellés

Ce samedi soir, un groupe de cinq personnes soupçonnées d’appartenir à l’ultradroite, a été repéré dans le centre-ville vers 20h45. Trois d’entre eux sont soupçonnés d’avoir agressé deux personnes et d’avoir envoyé du gaz lacrymogène. Les trois suspects ont pris la fuite puis rejoint les deux autres. Ils ont été contrôlés et interpellés un peu plus tard par des effectifs de police, précise cette source à franceinfo.

Ils étaient tous en possession de vêtements pour se dissimuler (tour de cou, cagoule), de coques de protection pour l’un d’entre eux, ou/et d’armes et armes par destination (couteau, bombe lacrymogène).

https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/06/18/cinq-membres-de-l-ultradroite-arretes-a-rouen-en-marge-de-l-armada_6178215_3224.html

https://www.lejdd.fr/societe/ultradroite-cinq-personnes-arretees-pour-des-violences-apres-un-concert-de-medine-larmada-de-rouen-136964

https://www.bfmtv.com/normandie/rouen-cinq-personnes-soupconnees-d-appartenir-a-l-ultradroite-arretees-en-marge-du-concert-de-medine-l-armada_AD-202306180413.html

https://www.20minutes.fr/faits_divers/4041875-20230619-rouen-arrestations-cinq-membres-ultradroite-marge-armada

https://www.tf1info.fr/justice-faits-divers/cinq-membres-de-l-ultradroite-interpelles-a-rouen-en-marge-de-l-armada-2260899.html

[MàJ] Agression, et La Marche des Fiertés Havraises ciblée par un collage mural et Le Refuge dégradé de tags haineux, à caractère homophobe siglés de croix celtiques.

Alors que la Marche des Fiertés se prépare, un collage homophobe a été affiché sur l’une des friches artistiques d’un des tiers-lieu municipal participant aux festivités autours de la Marche des Fiertés Havraises .

Les organisateurs du collage homophobe n’ont pas signé leur proposition, ni revendiqué leur action.

l’affichage propose :
+ des tendances fétichistes de la croix celtique
+ et des tendances exhibitionnistes de la croix celtique :
+ la calligraphie de la lettre “O” est stylisée en croix cerclée à 2 reprises,
+ 2 croix celtiques symbole de la tendance völkisch (identitarisme mystique dit “enraciné : notre territoire, notre sang pur”) sont affichées,
+ la croix celtique est un symbole de haine
+ et symbole raciste affiché par des groupuscules radicaux et des mouvements politiques d’extrême-droite radicaux, parfois violents.


Témoignage d’une victime d’agression

Une victime témoigne de son agression sur le réseaux sociaux :

“Ce samedi soir en rentrant de la pride, j’ai été victime d’une agression physique par 3 personnes, issues supposément d’un groupe fasciste, un fight club néonazi (en commentaire pour voir leur stickers) [accumulation turbonazi : croix celtique, + heaume d’armure + fleur de lys / actives clubs france]

Ce groupe d’extrême droite est à priori en train de s’implanter sur Le Havre. Je fais ce post afin de vous prévenir et surtout afin que vous fassiez attention à vous, ces gens là n’ont aucun scrupule et n’hésiteront pas à vous agresser si vous menez des actions à leur encontre.

pour vous donner du contexte :
j’étais seul samedi soir au niveau de la gare et je suis tombé le nez sur un de leurs stickers, je décide de l’enlever mais malheureusement les gars qui l’avait supposément coller m’ont vu et m’ont agressé. J’ai fini en ambulance puis aux urgences. Aujourd’hui pas de séquelle physique à priori sur le long terme mais 9 jours d’ITT (histoire de donner de l’ampleur).

Tout ça pour vous dire, ne faites pas les mêmes erreurs que moi à décoller seul en pleine nuit des stickers facho et faites attention à vous.”

Active Club France ?

 

https://actionantifa77.com/2023/01/active-club/

 


Des tags odieux ont été constatés avant la marche des fiertés du Havre ciblant notamment l’association Le Refuge

 

https://www.bfmtv.com/normandie/le-havre-des-tags-homophobes-decouverts-sur-les-murs-de-la-fondation-le-refuge_AN-202306100371.html

https://actu.fr/normandie/le-havre_76351/le-havre-le-local-d-une-fondation-lgbt-tague-avant-la-marche-des-fiertes_59715887.html


[MàJ] Tag celtos basique, cote Pasteur entre Rd-Point et Cimetière du Fort de Tourneville

https://scontent-cdg4-2.xx.fbcdn.net/v/t39.30808-6/354231989_1405118476888924_6284135527915513154_n.jpg?stp=dst-jpg_p75x225&_nc_cat=103&cb=99be929b-3346023f&ccb=1-7&_nc_sid=dbeb18&_nc_ohc=iwvaWhIN2xEAX-V7uV8&_nc_ht=scontent-cdg4-2.xx&oh=00_AfDuGhl6g2_NPqHMlzVwe18YDyqE-GkjmdvjD2hh-A1ezA&oe=649267D5

Médine ou le syndrome du Bataclan

Médine ou le syndrome du Bataclan

Si vous rêviez d’entendre le rappeur Médine crucifier la laïcité et vomir en chantant sur Charlie au Bataclan, c’est trop tard. Tous les billets sont déjà vendus. Le spectacle affiche complet. On espère que le pourcentage récolté permettra au moins de réparer les derniers impacts de balles sur la moquette et laver le sang séché. En revanche, on ne voit pas bien comment nettoyer cet immense glaviot lancé à la figure des victimes.

Moins de trois ans après les attentats de Paris, cette affiche résume à elle seule le renoncement d’une partie du pays à mener la bataille culturelle et morale contre l’islamisme.

Ainsi le Bataclan, qui a refoulé des membres du groupe Eagles Of Death Metal en raison de propos polémiques, ne montre pas la même exigence envers le rappeur Médine. Que des marchands de salle touchés par un tel drame ne voient pas l’énormité de programmer un tel chanteur laisse sans voix. Qu’on ne puisse même pas s’en émouvoir sans entendre de mauvaises langues crier à la censure ou au racisme, comme le tragico-comique Yassine Belattar, promu conseiller par l’Elysée, permet de mesurer l’emprise du syndrome de Stockholm qui nous gagne et nous ronge. Les djihadistes renonceraient à commettre des actes d’une telle cruauté s’ils renforçaient notre détermination. Heureusement pour eux, chaque fois qu’ils frappent, il se trouve des supplétifs pour finir leur travail et nous désarmer en nous culpabilisant.

Le rappeur Médine fait partie de ces agents de désarmement culturel. Ses chansons et son album Jihad intoxiquent les oreilles de toute une jeunesse, la monte contre une autre, contre son pays, contre elle-même. Quand il ne pose pas en tendant le bras façon quenelle, il fredonne « Crucifions les laïcards comme à Golgotha ». Voilà pour le credo. Et voici le couplet : « Ils n’ont ni Dieu ni maître à part maître Kanter. Je scie l’arbre de leur laïcité avant qu’on ne le mette en terre. »

Dans ses clips, les hommes portent la barbe longue et les femmes, le niqab. Dans son monde, il y a les musulmans et les autres : « On ira tous au paradis, tous au paradis on ira. On ira tous au paradis, enfin seulement ceux qui y croient. » Et, bien sûr, il y a la loi et au-dessus la charia : « En me référant toujours dans le saint Coran. Si j’applique la charia, les voleurs pourront plus faire de main courante. »

L’homme ne se contente pas de rapper en chœur avec les intégristes. Il a cofondé une association, Havre de savoir, qui justifie la haine contre les yézidis, cette minorité religieuse persécutée par Daech. Dans une vidéo postée sur Internet, son principal animateur explique à ses ouailles qu’ils adorent Satan, ne descendent pas d’Adam et Eve, et sont donc en dehors de l’humanité… En plein génocide ! C’est permis, au nom de la liberté, de s’exprimer et de s’associer. Mais faut-il vraiment l’encourager ? Il se trouve des « responsables » pour légitimer cette propagande. La mairie du Havre de l’actuel Premier ministre leur a prêté des salles pour se réunir et donc recruter.

Le rappeur Médine a aussi pu compter sur la complaisance de Jean-Louis Bianco, conforté à la tête de l’Observatoire de la laïcité par ce gouvernement, malgré sa collaboration active avec tous les antilaïques. On se souvient de cet appel porté par l’observatoire en compagnie du rappeur Médine et de groupes islamistes qui exigeait de s’unir contre les amalgames – des « laïcards » ? – juste après les attentats du Bataclan. Devant l’émotion suscitée, Jean-Louis Bianco a défendu l’humour noir du rappeur en expliquant : Charlie dit « bien pire ». Il a gardé son poste.

Quelle misère politique. Ne l’appelez plus syndrome de Stockholm, mais syndrome du Bataclan.

Un sursaut moral suppose une vraie mobilisation culturelle contre le fanatisme. Au lieu de quoi, le Bataclan a rouvert pour mieux programmer Médine, l’Observatoire de la laïcité le défend comme moins pire que Charlie, le Parti de gauche – censé défendre la séparation – a fait élire une députée qui multiplie les conférences avec le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF, principale association de lutte contre la laïcité), et l’Union nationale des étudiants de France (Unef, réputée former une jeunesse progressiste) se fait représenter par une femme qui porte le voile de la pudeur et de la soumission à Dieu. A croire que les djihadistes ont bien raison de nous frapper. Plus ils cognent, plus les digues censées leur résister semblent s’enfoncer.

Caroline Fourest

Marianne, 16/6/18

Médine : les vidéos compromettantes

Médine : les vidéos compromettantes

Le rappeur Médine est au cœur d’une polémique depuis plusieurs jours. L’annonce de son concert au Bataclan en octobre prochain a fait réagir les réseaux sociaux, de nombreuses personnalités politiques, ainsi que l’association de victimes de l’attaque terroriste qui a eu lieu dans ce même lieu, « 13onze15, fraternité et vérité ».

Au delà des paroles de ses chansons qui ne laissent aucune ambiguïté sur son idéologie (« Crucifions les laïcards comme à Golgotha, Le polygame vaut bien mieux que l’ami Strauss-Kahn », « Si j’applique la Charia les voleurs pourront plus faire de main courante », « Je scie l’arbre de leur laïcité avant qu’on le mette en terre », « Je me suffis d’Allah, pas besoin qu’on me laïcise »,…), de ses multiples quenelles et de son soutien au suprématiste noir Kémi Séba plusieurs fois condamné pour antisémitisme, intéressons-nous à deux vidéos qui sont réapparues sur les réseaux sociaux ces derniers jours.

Dans cette première vidéo, Tariq Ramadan décrit Médine : « quelqu’un que je connais personnellement, et de très très proche, qui suit mes enseignements, et avec lequel on a beaucoup discuté » (à partir de 5 min 52 sec).

Interrogé hier par Libération sur ses liens avec Havre de Savoir, Médine affirme ne pas être un de ses ambassadeurs. Néanmoins, dans cette seconde vidéo, il se réjouit d’être « officiellement ambassadeur d’Havre de Savoir ». Il affirme « toujours placer un mot pour promotionner l’association » dans ses concerts et déplacements, car « le travail qu’ils font vient compléter tout ce qu'[il a] pu faire dans le cadre de [son] artistique ». En juin 2013, il participe à une de ses conférences aux côtés de Tariq et Hani Ramadan, Marwan Muhammad, ou encore Nabil Ennasri.

https://youtu.be/kk8wjfLEbOU

Les liens entre Tariq Ramadan, Havre de Savoir (qui fait directement la promotion du Cheikh Youssef al-Qaradawi), l’UOIF et les Frères musulmans ont été maintes fois démontrés sur Ikhwan Info.

Besançon : condamné pour apologie du IIIe Reich : Il s’exhibait sur son compte Facebook en uniforme du IIIe Reich et a été démasqué par une perquisition administrative durant l’état d’urgence. Verdict : 1 000€ d’amende, interdiction de porter une arme et confiscation des ordinateurs.

https://www.estrepublicain.fr/edition-de-besancon/2018/01/17/besancon-condamne-pour-apologie-du-iiie-reich

Sur son compte Facebook, il pose fièrement en uniforme du IIIe Reich devant une synagogue. Une autre image le montre faisant le salut nazi. Les clichés ont été révélés lors d’une perquisition administrative dans le cadre de l’état d’urgence. 250 photos au total.

Il est fiché comme appartenant à une organisation d’extrême droite. « J’ai juste la culture de la défense et je riposte sans concession. Si vous êtes ami avec moi, vous voyez les photos sinon, vous n’y avez pas accès. La photo a été prise en Hongrie, ce n’est pas interdit. Oui j’ai une fascination pour le III e Reich et l’histoire de la Deuxième guerre mondiale en général », explique le presque quinquagénaire qui se revendique indépendantiste et skinhead. Il mélange les arguments, cite Israël, la Palestine… Et admet : « oui je suis un délinquant mais je me lève tous les matins à 7 heures pour aller bosser et je rentre à 19 h. Mais j’aime pas les juifs ».

« Et les 1 000 € d’amende, je les verse à Israël ? »

« C’est un dossier gênant parce que ses convictions vont à l’encontre des valeurs de la République et de ce que nous a appris l’histoire. C’est déstabilisant », note le procureur. Au président, qui cherche à en savoir davantage sur son parcours, l’homme se borne à dire, « je travaille comme tout le monde ». Alors seul son casier judiciaire résume sa vie : prison dès 14 ans, puis 18 années de réclusion criminelle pour meurtre. Au total 14 condamnations entre vols aggravés et menace de mort. [Il est sujet de David Beaune “skinhead du havre”]

Le tribunal lui interdit de porter une arme. Il rétorque aussi sec : « Je m’en fous ! Si je veux porter une arme je le ferai. Et je peux savoir où iront mes ordinateurs ? Et les 1 000 € d’amende, je les verse à Israël ? » « Si vous payez dans un délai d’un mois vous bénéficiez d’une remise de 20 % », précise le président Monnier, comme il le fait à chaque condamné. « Pourquoi ? C’est les soldes ? », ricane le prévenu en remettant sa capuche pour sortir.

Entre autonomie et embrigadement militant : les skinheads néo-nazis des années 1980-1990

Entre autonomie et embrigadement militant : les skinheads néo-nazis des années 1980-1990

Le meurtre de Brahim Bouaraam, un ressortissant marocain mort noyé dans la Seine, après y avoir été jeté pour des motifs racistes et homophobes par des militants d’extrême droite, le 1er mai 1995 à Paris, a sans doute été, par sa résonance politique et médiatique, le point culminant d’une longue série de faits divers, souvent meurtriers, qui ont jalonnés les années 1980-90 et qui ont été attribués à la catégorie, au demeurant floue dans sa définition, des « skinheads », recouvrant un large spectre d’opinions politiques allant de l’extrême droite néo-nazie à l’antifascisme radical représenté entre autres par les « Redskins ». La culture skinhead a été décrite avec raison par Michel Wieviorka, reprenant le sociologue britannique Mike Brake, comme « une sous-culture ouvrière, profondément marquée par une éthique puritaine du travail » et par l’opposition au mouvement hippie[1]. Cette partie du mouvement skinhead qui s’est arrimée politiquement à l’extrême droite française des années 1980-1990 peut toutefois être cernée avec davantage de précision. Pour cela, il importe de dégager les étapes de l’importation en France des phénomènes skinheads anglo-saxons, et ce qu’ils recouvrent alors en termes de radicalité et de violence. Une fois effectuée cette caractérisation des skinheads, il s’agit de dégager les aspects de militance politique pris par ce qui était un phénomène socio-culturel, venu s’enchâsser dans les formations des extrêmes droites.

Caractérisation du phénomène skinhead

Avant que d’être une affiliation idéologique, le fait skinhead doit être vu comme un phénomène subculturel transnational, à l’origine urbain, où la question de la violence participe de la norme comportementale.Le skinhead se revendique d’une culture de la violence mais aussi de la transgression. Il se distingue de la norme par ses codes vestimentaires (crâne rasé ou cheveux coupés ras, port du bomber et des chaussures montantes à lacets connues sous le nom générique de Doc Martens). Ceci étant, ces codes ne sont pas déterminés par l’idéologie mais sont étroitement liés aux origines sociales de la sous-culture qu’ils représentent, née dans la Grande-Bretagne ouvrière des années 1960 et unissant, à l’origine, de jeunes prolétaires blancs appartenant au phénomène des Mods à de jeunes Afro-antillais de même milieu, passionnés de musique ska et reggae[2]. C’est à la fin des années 1970 qu’avec la crise économique qui frappe l’Angleterre industrielle d’une part, et l’émergence d’un parti politique, le National front, fugacement sorti de la marginalité, que s’entérine la séparation définitive, au sein du mouvement skinhead, sur une base ethnique et politique, mais également musicale : la scène skinhead d’extrême droite se structure autour de l’archétype du Militant blanc [3], mais surtout du Rebelle blanc, adolescent ou jeune homme (ou, minoritairement, femme) qui revendique sa couleur de peau et son origine ethnique contre l’émergence des minorités visibles, endosse un racisme et un antisémitisme extrêmes dont l’action violente est une composante essentielle, et abandonne définitivement les musiques « non-européennes » pour deux styles propres : la Oi, un dérivé du punk rock[4] et le RAC ( « Rock against Communism »), qui est un dérivé politisé du précédent dans lequel les paroles glorifient non pas seulement la lutte anticommuniste mais surtout le « nettoyage ethnique » des villes britanniques, et la violence physique en général[5]. Pour autant, l’extrême droite n’a jamais eu une emprise totale sur le mouvement communément appelé skinhead, ni en France, ni ailleurs : le mouvement S.H.A.R.P. (Skinheads Against Racial Prejudice) notamment, rassemble des skinheads de même extraction ouvrière mais proches de l’extrême gauche ou des milieux libertaires. Ils sont souvent actifs dans les villes mêmes où sont leurs rivaux qu’ils surnomment, pour s’en démarquer, boneheads (crânes d’os). Ils sont restés musicalement ouverts aux styles des origines puis au punk. La division idéologique du mouvement skinhead donne lieu, dès les années 1980, à l’émergence de « bandes » rivales qui se disputent la maîtrise des territoires urbains par la violence[6].

De même que l’arrivée en France du phénomène skinhead d’extrême droite était une importation d’un phénomène britannique, et même anglais, la radicalisation idéologique de la scène française dans les années 1990 fut le résultat du transfert en Europe d’idées, de méthodes d’action et d’effets de mode venus des États-Unis. La première apparition publique importante des skinheads américains, lors d’un meeting du 7 octobre 1989 fédérant à peu près toutes les tendances de l’extrême droite autour d’une commémoration de la Confédération sudiste[7], avait montré la convergence, au moins partielle, des skinheads « White Power », des nostalgiques de la ségrégation raciale et de la nébuleuse connue sous le nom d’Identity Churches, sortes de dénominations religieuses sectaires professant l’idée de la suprématie de la race blanche voulue par la volonté divine et les Écritures, relues à la lumière de l’anglo-israélisme (pour lequel les Anglo-saxons sont les descendants des tribus perdues d’Israël) et de l’idée d’un christianisme débarrassé de toutes ses racines juives. Loin de n’être qu’une sous-culture marginale de la jeunesse, cette nébuleuse s’était organisée sous un modèle, la « résistance sans chef », qui prônait la lutte armée contre l’État fédéral, jugé illégitime et appelé ZOG, ou Zionist Occupation Government (gouvernement d’occupation sioniste).

Dès 1983-1984, de petites cellules étaient passées à l’action terroriste contre des agents fédéraux et des adversaires politiques. Elles étaient connues sous le nom de The Order, disposaient de leur manuel de passage à l’action pour déclencher une guerre raciale (le livre de William Luther Pierce, alias Andrew Macdonald, The Turner Diaries, publié en 1978) et d’une forme de mantra, les 14 Mots, formulés par le suprémaciste David Lane pour lequel « We must secure the existence of our people and a future for white children » (« Nous devons préserver l’existence de notre peuple et un avenir pour les enfants blancs »). Cet ensemble de concepts, mis en action, font qu’au milieu de la décennie 1990, les autorités fédérales et les associations du type watchdog, luttant contre le racisme (Anti-Defamation League ; Southern Poverty Law Center) estiment que les 3 500 skinheads recensés ont commis 22 meurtres depuis 1990. C’est précisément ce qui séduit des skinheads français.

En juin 1993, parait le premier numéro du bimensuel Terreur d’élite, « voix indépendante et radicale des nationaux-socialistes francophones ». En couverture de ce fanzine d’une qualité d’impression inhabituelle, cette phrase : « Juifs : lire cette publication vous transformera en abat-jour, en savonnettes ou en engrais. » Le ton de l’antisémitisme délirant est donné. Il est habituel chez les Hammer Skins, réseau skinhead américain dont l’emblème est le marteau de Thor et dont la branche française, éditrice du bulletin, se nomme Charlemagne Hammer Skins. Très hostile au Front national (le FN serait « le dernier bastion de la juiverie française »), proche du parti nazi transnational NSDAP/AO[8], elle est animée par Hervé Guttuso, un jeune Marseillais dont la précédente publication s’intitulait Neuvième Croisade. Ancien membre de Troisième Voie, puis de la section Prinz Eugen (du nom d’une division SS) du Parti Nationaliste Français et Européen (PNFE), Guttuso s’est formé au contact de l’American Front et des Chicago White Vikings lors d’un séjour outre-Atlantique. Il y a rencontré les animateurs de la revue Résistance, fanzine devenu un magazine en quadrichromie doublé d’une maison de disques, Resistance Records, dont l’audience est devenue mondiale (le numéro 1 du journal, en 1994, est tiré à 12 000 exemplaires). Idéologiquement, les Hammerskins américains défendent l’idée selon laquelle la résistance armée au pouvoir fédéral est légitime puisque, loin d’être l’émanation du peuple, le gouvernement serait aux mains des juifs qui assureraient leur mainmise sur le pouvoir politique, économique et médiatique, dans l’objectif d’éliminer la race blanche en promouvant le métissage généralisé. Dès lors, toute forme de résistance armée est juste et nécessaire, y compris le terrorisme[9], par des modes d’action souvent inspirés des Turner Diaries, traduits en français tardivement (1999) par Henri de Fersan, avec des illustrations de Chard, caricaturiste à Rivarol[10]. D’où ce surnom de ZOG (Zionist Occupation Government), qu’elle donne au gouvernement des États-Unis.

Cette théorie conspirationniste, qui se réfère souvent aux Protocoles des sages de Sion, débouche sur la conviction que le seul espoir de survie pour la race blanche réside dans la création de communautés aryennes vivant en autarcie dans des régions reculées (aux États-Unis, dans les montagnes Rocheuses et les Appalaches). À partir d’elles s’organisera la riposte violente au pouvoir en place, qu’un livre décrit en détail : les Turner diaries (1978), de William Pierce, leader du groupe américain National Alliance, sorte de bible des suprémacistes blancs. L’intention terroriste apparaît clairement dans Terreur d’élite : « Les cibles principales du révolutionnaire aryen doivent être en première priorité des cibles économiques, énergétiques, puis en dernier lieu des cibles humaines. Le paroxysme de la jouissance étant bien sûr de cumuler les trois facteurs à grande échelle » (n° 5, printemps 1995). La nouveauté dans le rapport à la violence est ici qu’elle est revendiquée dans sa dimension terroriste, comme dans la couverture du magazine skinhead nazi anglais The order (n° 10) qui montre un militant en train de manipuler des détonateurs. En France, le magazine de Guttuso suit le même chemin et celui qui lui succède, 14 Mots, indique clairement « nous devons tuer »[11].

Un nouveau bulletin confidentiel, Das Schwartze Korps (n° 2, 1995), franchit un pas supplémentaire en écrivant : « Nous, Blancs purs, ne reconnaissons aucun droit aux non-Blancs de quelque sorte qu’ils soient. Si, peut-être un seul, celui de crier dans la chambre à gaz quand on jettera le Zyklon B! ». Cette référence explicite au génocide nazi montre que les skinheads, tout en reprenant quelquefois les textes des historiens négationnistes sur la Shoah, ont plutôt tendance à en assumer et même à en valoriser l’existence. La montée en puissance de la tendance terroriste du mouvement skinhead néo-nazi sera toutefois arrêtée nette dès 1993 par la très forte volonté politique du ministre de l’Intérieur Charles Pasqua et de son conseiller pour la lutte contre le racisme, Patrick Gaubert, suivi par ses successeurs : début 1998 Guttuso est arrêté à Londres, où il séjournait depuis 1996 chez les frères Sargent, animateurs de Combat 18, mouvement considéré par la police britannique comme responsable de meurtres racistes et ayant des intentions terroristes. En définitive, un juge d’instruction toulonnais fera écrouer neuf personnes mises en examen pour « incitation à la haine raciale et menaces de mort », notamment contre Anne Sinclair, Jean-François Kahn, Simone Veil et Patrick Gaubert[12]. Les Charlemagne Hammer Skins survivront à cette répression et perdurent jusqu’à ce jour[13], mais avec un fonctionnement plus discret, comme leur concurrent direct les Blood and Honour Hexagone[14] avec leur revue Signal 28, tous deux ayant pour activité visible essentielle l’organisation de concerts ou de tournois de MMA (mixed martial arts). La propension à la violence demeure : le 30 mars 2016, principalement en région marseillaise, onze skinheads néo-nazis ont été mis en examen après la découverte à leur domicile d’un stock d’armes.

Cette appétence pour la violence relève des actions des skinheads mais également de leur vision du monde, voire de leur caractérisation psycho-sociale.Dans son ouvrage sur les motivations de l’adhésion au Front national (FN)[15], Birgitta Orfali reprend la distinction faite par Michael Billig, dans son ouvrage sur les militants du National front britannique[16], entre le militant autoritaire et « l’homme de violence ». Ce dernier, mû par le ressentiment, « est ainsi dénommé car c’est la notion de lutte, de combat qui retient toute son attention. L’opposition violente à tout adversaire (individu ou groupe) le caractérise. L’antagonisme, le conflit sont les lieux par excellence qui définissent ce type ». Elle ajoute que ces hommes « vivent à l’heure de la psychologie des foules grâce au FN »[17]. Stéphane François a bien montré que ce type d’individu correspondait profondément au profil des militants des mouvements qui, aujourd’hui encore, appartiennent à la frange la plus radicale de l’extrême droite, celle qui refuse l’aggiornamento du FN et se manifeste par une activité particulièrement élevée dans la région des Hauts-de France, parfois sur le mode de ce que le même auteur appelle le « skinhead rural » [18].

Au-delà de la typologie sociologique et psychologique, le concept d’homme de violence s’est traduit, dans les décennies 1980 et 1990, par toute une série d’actions dont se sont saisies, non seulement les organisations antiracistes (Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme ; Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples ; SOS-Racisme ; Ligue des Droits de l’Homme), mais aussi la presse locale et nationale, qui a ainsi donné une visibilité importante au phénomène skinhead néo-nazi. À bon escient d’ailleurs : en effet, la glorification continue de la violence physique, telle qu’elle figurait dans les publications skinhead de l’époque, accompagnée par l’affirmation de la supériorité ethnique blanche et un antisémitisme obsessionnel, avait de grandes chances d’aboutir à un passage à l’acte. L’accroissement des agressions imputables aux skinheads était déjà sérieux dans les années 1987-90 : en 1988, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) leur imputait 20 actions violentes sur 64 actes racistes répertoriés ; l’année suivante 16 sur 53. Il s’ensuivit une répression policière avec 70 arrestations en 1987.

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Le 29 mai 2023 vient d’être posée une plaque en la mémoire de Imad Bouhoud mais aussi de celle de James Dindoyal :Deux membres de la sphère néonazie avaient été condamnés. D’autres plaques avaient été placées par le passé pour Imad. Puis cassées

Il n’est pas possible de dresser ici une chronologie exhaustive des homicides commis par des skinheads néo-nazis sur la période. Pour ne citer que ceux au plus fort retentissement, on rappellera le meurtre, à Lille, d’un clochard par un proche du mouvement Troisième Voie (TV), en 1988[19]. En 1990 au Havre, une dizaine de militants locaux et parisiens du groupe Blood and Honour tue un jeune Mauricien, obligé par eux d’avaler de la soude caustique avant d’être jeté à l’eau. Les faits ne sont élucidés qu’en 1998 et les deux principaux mis en cause, Régis Kerhuel[20] et Joël Giraud, sont également des membres des Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires (JNR). Puis, en 1995, David Beaune, 25 ans, est accusé du meurtre d’Imad Bouhoud, mort noyé, dans un bassin du port du Havre. Il est jugé par la cour d’assises de Rouen. Pour lui, le FN se trompe en voulant forcer les immigrés à quitter la France : il souhaitait construire pour eux des «camps de concentration et des chambres à gaz en Normandie ». « Maintenez-vous toujours cela aujourd’hui ? » lui demande le président lors de l’audience. Il maintient[21].

L’affaire est intéressante à un autre titre, celui de la persistance des comportements violents de l’auteur des faits, même après sa sortie du milieu skin : Beaune est de nouveau condamné en 2013 à un mois ferme pour menaces avec arme[22], sans circonstance aggravante de racisme. Ce qui n’est pas le cas pour Marc Grubica, ancien responsable du fanzine nordiste Tempête et Tonnerre, appréhendé en 2010 pour des dégradations commises contre la façade de la mosquée Salman-Al-Farissi, à Tourcoing et qui, à 43 ans, a déjà sept condamnations à son casier – dont une pour meurtre lors de sa période skinhead[23]. Enfin, le 7 janvier 1998, à Mortefontaine-en-Thelle (Oise, autre département de prédilection de la scène skinhead), Antoine Bonnefis, 18 ans, tue son beau-frère et un de ses amis africains. Il écope de 14 ans de prison sans que le mobile raciste soit retenu et les parties civiles sont déboutées.

Ce panorama serait incomplet sans citer deux événements. Le premier est la profanation d’un cadavre dans le cimetière juif de Carpentras (Vaucluse), en mars 1990. Imputé à l’influence culturelle du FN, cet acte, qui devint un événement de mobilisation fondamental dans la stratégie de mobilisation politique et associative contre le Front national, fut élucidé seulement en 1996, alors que l’un des auteurs, Jean-Claude Gos, skinhead de Denain (Nord) et membre du PNFE, était déjà décédé. Le second est exceptionnel parce qu’il est entièrement provoqué par la commande d’un média télévisuel peu scrupuleux (et disparu) qui, comme bien d’autres à l’époque, traite le phénomène skinhead sous l’angle du sensationnalisme : le 22 avril 1990 pour les besoins d’un reportage, une équipe de journalistes incite des membres des JNR, dont Joël Giraud, à agresser un Africain, Karim Diallo, sous les caméras des journalistes. Les mis en cause seront condamnés à 8 mois de prison avec sursis en janvier 1994 pour cette agression.

Certains de ces actes violents ont notablement influencé l’image de l’ensemble de la mouvance. Ce qui est devenu « l’affaire Bouarram » a connu un retentissement exceptionnel parce que les faits se sont déroulés en marge du cortège de Jeanne d’Arc organisé chaque premier mai par le Front national, dont le service de sécurité a d’ailleurs collaboré avec la police dans l’identification des agresseurs. Ils sont également emblématiques de trois dimensions du phénomène de la violence skinhead en France autour desquelles peut s’organiser la réflexion sur cette mouvance dans une période qui constitue son apogée.

La première est la dialectique de l’autonomie et du militantisme politique au sein du FN ou de groupuscules activistes plus radicaux : violents, ouvertement racistes, antisémites et même néo-nazis, réputés incontrôlables et hostiles à toute forme d’organisation sociale autre que celui de la « bande », les skinheads veulent-ils, peuvent-ils s’agglomérer durablement à une organisation hiérarchisée, voire à un parti impliqué dans le jeu électoral ? Seconde question : quelle est l’ampleur du phénomène, à la fois en termes de nombre de personnes concernées, d’influence politique sur le reste de l’extrême droite et de niveau de violence, symbolique ou physique ? Enfin, la catégorie « skinheads » a-t-elle un contenu clair ? N’est-ce pas en partie une construction, notamment médiatique, qui inclut à la fois des individus se revendiquant tels et d’autres qui y ont été rattachés pour des raisons liées à leur « look » (tout « crâne rasé » n’est pas un skinhead) ou à leurs idées – des skinheads ont milité aux Faisceaux nationalistes européens (FNE) ou au PNFE, mais ceux-ci n’étaient pas uniquement ni même prioritairement des mouvements skinheads ?

Deux éléments de réponse peuvent être avancés. Le premier est que les skinheads ont vite été repérés par les fondateurs du PNFE et dans une moindre mesure des FNE, comme le seul canal leur permettant d’étoffer de maigres effectifs et de dépasser la fonction de mouvements nationaux-socialistes orthodoxes, voire de cultes néo-nazis. Le second est que l’époque où ils apparaissent est plus largement celle où les medias découvrent le phénomène des « bandes urbaines » (skins mais aussi « zoulous » ou punks d’extrême gauche) et lui donnent une couverture qui n’est que bénéfice pour les groupes d’extrême droite. La police elle-même prend conscience du phénomène que les Renseignements généraux globalisent sous l’appellation « Violences urbaines ». Ils créent en 1991 une section spécialisée intitulée « Villes et banlieues ». Volens, nolens le phénomène skinhead s’est en tous cas polarisé à l’extrême droite, posant par là-même la question de sa possible structuration par les mouvements organisés de cet espace politique.

La mouvance skinhead et les organisations françaises d’extrême droite

Le mouvement skinhead politisé à l’extrême droite apparaît d’abord vers 1983-1984 et se signale lors de la fête de Jeanne d’Arc 1985 par la présence d’un groupe qui s’appelle « Les Amis de Barbie ». Il s’étend vraiment à partir de 1987, lorsque l’organisation Troisième Voie (TV), alors dirigée par Jean-Gilles Malliarakis[24], se rapproche des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR) menées par Serge Ayoub. Avec le PNFE, ces deux groupes sont ceux qui ont voulu et réussi à recruter en milieu skinhead avec le plus de constance et de succès. Cependant, ils ont des précurseurs, figures individuelles qui ont généralement connu les skinheads politisés à l’extrême droite lors de séjours à l’étranger, en particulier en Grande-Bretagne, qui en deviendront des figures et qui prouvent que la culture skinhead est un article d’importation comme beaucoup de modes qui façonnent les sous-cultures de la jeunesse européenne. Les antifascistes radicaux publiant la revue REFLEXes, puis le site internet éponyme[25], et qui ont suivi avec une précision certaine la trajectoire des skinheads de la droite radicale, datent de 1983-84 l’apparition à Marseille de skinheads ayant séjourné en Grande-Bretagne et à la même période, celle à Tours d’un fanzine intitulé Bras tendu, édité par Olivier Devalez alias « Tod », une des figures historiques de la scène, mis au contact du British Movement lors d’un séjour à Londres. La même source affirme que Serge Ayoub (né en 1964), aurait adopté le « look » skinhead au retour d’un voyage outre-Manche. Enfin, une autre personnalité importante de la scène skinhead des premières années est un Britannique installé en France, Bruce Thompson, qui suivra Ayoub aux JNR et restera actif jusqu’en 1995 au moins[26].

La question est de savoir comment, et pourquoi, le développement des skinheads d’extrême droite en France, à cette époque précise, croise la route d’organisations politiques du même milieu et aboutit à ce que celles-ci cherchent à attirer des individus connus pour leur propension à la violence et dont le credo consiste à rejeter tout type de hiérarchie autre que le charisme naturel du chef de bande, généralement reconnu pour ses « faits d’armes », sans parler du fait que les skinheads, dont Thompson semble être le vétéran, étant trentenaire dans les années pionnières, ne souhaitent pas se donner de leader n’appartenant pas à leur génération.

C’est là qu’intervient la dialectique de l’autonomie et de la récupération. En 1983-1984, l’arrivée de la gauche au pouvoir trouve un Front national qui attire toujours des militants très radicaux, mais l’entreprise de marginalisation de ceux-ci, commencée par Jean-Pierre Stirbois, aboutit à la création de groupuscules qui se disputent le maigre espace existant à la droite d’un FN déjà jugé embourgeoisé. En 1989, Bruce Thompson déclare ainsi au fanzine Le rebelle blanc : « Le Pen est trop vieux, trop mou, trop riche »[27]. Les quelques mouvements qui existent à l’époque en dehors du FN ont un rapport de suspicion vis-à-vis de la violence politique. L’Œuvre française, de Pierre Sidos, est un groupe dont le chef a connu l’épuration puis la répression de l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS), il tient au respect de la légalité et dirige en outre son organisation, étroitement nationaliste française, d’une manière hyper-centralisée, tout en normant étroitement les comportements des militants (costume tenant de l’uniforme, défilés en rangs, chant du mouvement…) : les jeunes aux cheveux ras qui y militent ressemblent aux skinheads, mais n’en sont que très exceptionnellement. Le Parti Nationaliste Français (PNF), scission du FN opérée fin 1982 par les animateurs du journal Militant, militent pour un nationalisme européen racialiste qui recoupe davantage le slogan du White Power, mais outre qu’il est aussi légaliste, ses animateurs d’alors sont en majorité d’anciens du Parti Populaire Français ou du Francisme [28] ayant servi dans les rangs de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme ou de la Division Charlemagne et nés dans les années 1920 : le fossé générationnel est trop important. Serge Ayoub fondera en 1990 un éphémère Comité de base jeunesse, hébergé à l’adresse du local du PNF avec lequel il partageait la « défense de l’identité française face au cosmopolitisme », l’affirmation selon laquelle « la nation est avant tout une communauté de destin et de sang », inaccessible aux non-européens, l’« opposition au système », la démocratie étant décrite comme un moyen d’asseoir la domination des « grands financiers et des grands trusts », la « lutte pour la justice sociale » et la répudiation de la lutte des classes ; la « conscience européenne contre le mondialisme ». Ce rapprochement restera toutefois sans lendemain.

L’instrumentalisation la plus réussie du phénomène skinhead par des mouvements politiques d’extrême droite est le fait de deux groupes : Troisième Voie (1985-1992, réactivé en 2010-2013) auquel il faut ajouter les Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires (JNR, 1987-2013)[29] et le PNFE[30], fondé en 1987 par un ancien militant de l’OAS et du FN, Claude Cornilleau, qui avait en 1983 réussi à se faire élire conseiller municipal de Chelles (Seine-et-Marne) sur une liste menée par un élu du Rassemblement Pour la République (RPR).

Troisième voie a été fondée en 1985 par Jean-Gilles Malliarakis sur des bases idéologiques nationalistes-révolutionnaires ou solidaristes ; il n’était pas un mouvement skinhead. Son slogan était : « Ni trusts, ni soviets » et outre un anti-sionisme affiché, il tenait à une Europe réunifiée et indépendante des blocs américain et soviétique. Le rapprochement opéré en 1986-1987 entre TV et Serge Ayoub, volontiers interviewé par les media et présenté comme la figure emblématique du milieu skin français, est une initiative de ce dernier, originaire de la classe moyenne parisienne à fort capital culturel, et déjà une figure de la scène skinhead depuis 1982 environ. Il est à la fois chef d’une bande (le Klan), qui se targue volontiers d’avoir le recrutement prolétarien, l’attitude violente et les objectifs anticapitalistes des Sections d’Assaut (SA) ; acteur du milieu hooligan politisé qui, à partir de 1984, s’installe dans la tribune Boulogne du Parc des Princes et qui s’engage dans des affrontements violents contre des personnes de couleur, des supporters des clubs adverses ou d’autres groupes de hooligans apolitiques ou antifascistes[31] ; et entrepreneur ouvrant en 1986 une boutique de vêtements brassant une clientèle de skinheads, hooligans et amateurs de marques anglaises que se sont appropriés comme dress-code une partie des jeunes d’extrême droite.

Le noyautage des supporters parisiens a débuté en septembre 1989 avec la création du groupe Pitbull Kop par Serge Ayoub. Leur prise en main par les JNR est allée de pair avec l’établissement de liens internationaux avec d’autres supporters d’extrême droite, comme ceux du « 0 Side » d’Anderlecht (Belgique) ou les Brigadas Blanquazules de Barcelone. Vers l984-1985, divers sous-groupes se sont constitués, tous influencés par les thèmes racistes et comprenant des skinheads, mais possédant chacun leur mode d’habillement et leur forme préférée d’affrontement : les « casual  », hooligans qui n’arborent plus l’allure skinhead et sont donc moins repérables de prime abord, se sont développés sous le nom de « Commando pirates », tandis que les Fire Birds, une cinquantaine d’individus formant la fraction la plus violente au Parc des Princes, ont choisi une stratégie d’affrontement contre la police et les supporters adverses.

Les JNR, dont Ayoub reste la figure tutélaire avec une longévité exceptionnelle ne se terminent qu’avec la dissolution de 2013 et la fermeture administrative de son quartier général parisien, Le Local. C’est une sorte de garde prétorienne composée d’éléments généralement issus des classes populaires, impliquée comme on l’a vu dans des agressions racistes sordides, dans lesquelles, à l’exception de la « ratonnade » télévisée évoquée plus haut, Serge Ayoub, bien que son nom ait souvent été évoqué après les faits, n’a jamais été condamné*

Serge Ayoub connaît bien les arcanes du monde judiciaire et les histoires de bagarres qui terminent mal. Ce fils de magistrate, qui a fait ses études secondaires au très bourgeois collège Saint-Sulpice dans le VIe arrondissement, est repéré assez tôt par les services de renseignement. 

Dans une fiche de juin 1993 que StreetPress s’est procurée, les RG déroulent son pedigree de skinhead violent.
- « Agression et propos racistes tenus à l’encontre d’élèves du Lycée Voltaire » (1983) ; 
- interpellation pour « port d’arme blanche » et « vol avec violence » (avril 1984) ; 
- « coups et blessures volontaires » (juillet 1984).
Son casier fait aujourd’hui (2018) mention de six condamnations légères.

https://www.streetpress.com/sujet/1536574128-serge-ayoub-parrain-meurtriers-meric

L’histoire des JNR comporte deux périodes : l’une court jusqu’à l’autodissolution du milieu des années 1990 et est celle de la violence débridée ; l’autre, de la reformation en 2010 jusqu’à 2013, est celle de la violence canalisée, et même de la tentative pour engager une nouvelle mouture de Troisième Voie dans davantage de visibilité publique, avec la présentation de candidats aux élections (2012), l’ouverture de locaux associatifs à Paris et à Lambersart (Nord) sous le nom à consonance régionaliste flamande de Vlaams Huis et la publication d’un journal intitulé Salut public.

Le mouvement est aussi le seul de la scène à avoir réussi à construire des ponts avec le milieu des « bikers » et l’un des rares à prendre la grande majorité de ses références idéologiques dans l’histoire de France, que ce soit chez les révolutionnaires les plus radicaux (Babeuf), les blanquistes et le syndicalisme-révolutionnaire, adoptant d’ailleurs comme emblème le faisceau des licteurs[32]le rattachant bien davantage à la Révolution française qu’au fascisme. La carrière des JNR et de Troisième Voie se terminera cependant dans la violence avec l’implication de plusieurs de leurs membres dans la mort du militant antifasciste Clément Méric, le 5 juin 2013. Une des questions essentielles qui se pose, au moment de dresser le bilan de l’activité violente des JNR, est celle de la facilité avec laquelle, des années 1980 à nos jours, les multiples groupes qu’a dirigés Serge Ayoub ou dont il a été proche, ont pu continuer à opérer en étant impliqués dans des faits très graves : en mars 2017 encore, il comparaissait devant le tribunal correctionnel d’Amiens en compagnie d’une quinzaine de membres du groupe picard White Wolves Klan (WWK), poursuivis pour des faits de violences, vols, séquestration et tentative de meurtre. Serge Ayoub a été relaxé.

Le PNFE n’a jamais disposé d’un porte-parole ayant les capacités communicationnelles de Serge Ayoub. Il a toutefois joué un rôle essentiel dans la socialisation politique des skinheads. Adepte d’un néo-nazisme orthodoxe qui s’exprime dans les colonnes de son journal, Tribune nationaliste, le PNFE décide, semble-t-il en 1988, de se lancer dans l’action violente et ce, de manière préméditée et concertée. Le 31 juillet 1988, le journal Globe est plastiqué. En novembre 1988 quatre policiers membres du parti participent au Château de Corvier (Loir-et-Cher) au congrès du PNFE. Ils y assistent à une démonstration sur la fabrication et l’utilisation d’engins explosifs et y apprennent que de tels engins ont déjà été utilisés lors de deux attentats encore inexpliqués, ceux du foyer d’immigrants du Cannet (9 mai 1988) et contre Globe (31 juillet 1988)[33]. Certains adhérents non-skinheads se rendent coupables, le 19 décembre 1989, d’un attentat contre le foyer Sonacotra de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes) qui fait un mort et onze blessés. Cette affaire déclenche une vague de répression policière qui se traduit, début 1989 par une vague d’arrestations de 24 cadres (dont le président) et militants dont quatre policiers appartenant à la Fédération Professionnelle Indépendante de la Police (FPIP), un fait qui donne au PNFE la réputation d’être au moins aussi infiltré par des indicateurs qu’il dit avoir réussi à infiltrer la police. Le 5 juin 1990, son journal est interdit. Cependant le PNFE connaît une seconde vie à partir de son cinquième congrès, tenu le 3 avril 1993 en présence de John Tyndall, le président du British National Party (BNP) comme de néo-nazis allemands, et qui consacre sa fusion avec les FNE. Ce sursaut est dû, en bonne partie, au choix stratégique de Cornilleau ainsi résumé par Alain Léauthier dans le quotidien Libération du 2 août 1996 : « Adepte du marketing et de la communication, il [Cornilleau] a su donner à ses troupes le style et le ton qui manquaient aux concurrents : tenues de parade copiées sur celle des SA (sections d’assaut nazies), chants hitlériens, congrès événement, comme en 1989 au château de Corvier. Surtout, quand le phénomène s’est développé, Cornilleau a fait la cour aux skins rétifs aux longues séances d’endoctrinement mais amateurs de musique oï (rock des skinheads, ndlr), de bière et de bastons avec les “bronzés”, c’est-à-dire avec toute personne d’apparence non-européenne. Résultat : à son apogée, vers 1990, le PNFE compte plusieurs centaines de sympathisants dans toute la France. Il adopte une structure extrêmement décentralisée. Les sections locales sont très autonomes, ont leur fanzine[34]. Le PNFE s’implante dans le Nord, l’Ouest et le Sud-Est ».

Le mouvement attire à lui, précisément en raison de cette décentralisation, les groupes musicaux de skinheads d’extrême droite les plus en vue, généralement formés sur une base strictement locale. Le plus connu est Légion 88, dans l’Essonne, qui fera du nom du mouvement le titre d’une de ses chansons[35].

L’organisation satellise aussi de nombreux fanzines et leurs animateurs ainsi que plusieurs structures à but commercial dont la plus importante est, de 1987 à 1994, le label Rebelles européens, basé à Brest. Les CDs sont aussi vendue et des concerts, organisés, par une structure militante non-lucrative et amie, l’AME ou Association Musicale Européenne, basée dans les Bouches du Rhône). Vis-à-vis des militants ou des recrues potentielles, la musique est utilisée comme moyen d’endoctrinement : la plupart des fanzines publient des interviews de groupes de musique « oi ! », qui laissent peu de doutes quant à la motivation politique des chansons. Le groupe Bifrost, dénommé d’après un terme de la mythologie nordique désignant le pont qui relie le monde des hommes à celui des dieux, déclare par exemple que ses textes « véhiculent le sentiment de révolte face au capitalisme sauvage, hybride et apatride ». Ses références doctrinales sont Georges Sorel et Proudhon, Drieu La Rochelle et Doriot, ou l’écrivain néo-nazi français René Binet. Le groupe Baygon blanc se réfère à Rudolf Hess et Hitler[36]. Action dissidente, basé dans les Yvelines, a pour slogan : « Mort à ZOG [Zionist occupation government] et à tous les parasites de notre pays. » Dans les années 1984-1985 le groupe-culte Evilskins chantait : « le Führer est de retour, on va rallumer les fours, dérouler les barbelés et préparer le Zyklon B », ce texte sans ambiguïté constituant jusqu’à aujourd’hui un « tube » de la scène skinhead. Une partie de cette violence antisémite a pu se transformer en actes sous la forme de profanations de cimetières juifs, particulièrement en Alsace et Lorraine, tandis que celles de carrés musulmans des cimetières ont été nombreuses dans le Nord-Pas-de-Calais.

Une nouvelle catégorie de profanateurs a même vu le jour en 1997, lorsqu’a été violé un caveau du cimetière de Six-Fours (Var). Les auteurs, jugés en 2004, diffusaient la revue W.O.T.A.N. (Will of the aryan nation – volonté de la nation aryenne), « bulletin mensuel de rééducation » des CHS (Charlemagne Hammer Skin – nom choisi en référence à la division SS française), édité à Londres. Un des mis en cause avait été condamné, en 1997, pour avoir exhumé un corps dans le cimetière central de Toulon lors d’une sorte de rituel gothico-satanique. Courant de longue date aux Etats-Unis, le lien entre satanisme et néo-nazisme se retrouve en 2001 dans le procès de David Oberdorf, meurtrier en 1996 d’un prêtre haut-rhinois et dont l’un des mis en cause du Var avait été l’inspirateur[37]. À Rouen, la police arrêtera en mars 1995 les animateurs d’un fanzine nazi-sataniste, Deo Occidi, précurseurs du sous-genre musical connu sous le nom de National-Socialist Black Metal (NSBM), qui avaient formé une association nommée AMSG (Ad Majorem Satanae Gloriam), valorisant l’action terroriste. Sa charte stipulait en effet : « Tout terrorisme se pratique de manière individuelle sans engager la totalité du mouvement Black Metal (…). Chacun doit s’armer de manière individuelle en vue de combattre tout opposant. Tous les moyens devront être utilisés pour se procurer un armement légal et illégal »[38].

La réussite du PNFE dans la manière d’agglomérer les skinheads a évidemment eu un coût en termes d’image et hypothéqué finalement la pérennité du mouvement. Son journal est interdit en 1990, ses réunions militantes sont interrompues par la police[39]. Une réorganisation de l’appareil, en 1990-1991, voit le PNFE diversifier ses activités vers le soutien aux prisonniers politiques néo-nazis en France et à l’étranger via le COBRA (Comité Objectif Boycott de la Répression antinationaliste) créé par Olivier Devalez dans les années 1980 et animé par Rolf Guillou, un skinhead du Havre. À cette époque, le nombre de « prisonniers de guerre » que Devalez demande aux lecteurs de soutenir dans son fanzine L’Empire invisible[40] est de 37, en majorité américains. Les Français ne sont que 4, deux militants du PNFE inculpés dans l’affaire des attentats azuréens du Cannet et de Cannes, l’ancien militant frontiste Edouard Serrière, et Michel Lajoye, figure emblématique de l’activisme racialiste qui a rejoint le parti pendant son incarcération[41]. Le PNFE se lance également dans le soutien au négationnisme du génocide des juifs par l’intermédiaire de l’ANEC (Association normande pour l’Éveil du Citoyen) basée à Caen et fondée par Vincent Reynouard, qui adhère au parti et devient, jusqu’à ce jour, une icône de la seconde génération des auteurs négationnistes. Néanmoins dès 1995, l’activité militante semble fléchir dans les départements où le journal Le Flambeau « compte pourtant un nombre d’abonnés non négligeables, tels que les Alpes-Maritimes, la Seine-Maritime, certains départements bretons ou d’Ile- de- France »[42].

Le PNFE se désintègre lentement, malgré une tentative de revitalisation qui passe par l’importation en France d’un certain nombre de thématiques américaines comme la guerre ethnique : dans son avant-dernier numéro, son journal dresse un tableau apocalyptique des violences commises dans les « quartiers sensibles » par des personnes non-blanches et conclut : « seule une répression im-pi-to-ya-ble viendra à bout de la violence. Mais d’ici-là, vu l’état d’abrutissement dans lequel le régime a plongé la masse des veaux, beaucoup de sang aura coulé. Et la reconquête sera longue et douloureuse »[43]. Toutefois dans la surenchère idéologique et la promotion du passage à l’acte dans ce qu’il faut bien appeler la guerre raciale, le PNFE est déjà débordé.

Les organisations radicales ayant quelque difficulté à gérer les bandes skinheads, il va de soi que les relations de celles-ci avec le FN ne sauraient être monolithiques. Si les cortèges annuels de la fête de Jeanne d’Arc et d’autres manifestations frontistes rendaient visible la présence en queue de cortège (ou en marge de celui-ci) d’individus au « look skinhead », il faut garder à l’esprit que le concept de « partei-skin » (skin de parti), élaboré par l’historien et politiste Patrick Moreau pour désigner le skinhead inféodé à un parti organisé dans lequel il milite[44], n’a jamais été pertinent en France. D’une part, l’individualisme, le caractère provocateur et incontrôlable des skins les rendent inaptes à s’insérer durablement dans une structure politique hiérarchisée comme celle du FN. D’autre part, contrairement à une idée reçue, si la stratégie dite de dédiabolisation ne s’est imposée vraiment qu’à partir de 2011, lorsque Marine Le Pen a supplanté son père, elle n’était pas totalement inexistante auparavant : ainsi, outre que la double appartenance était interdite dans les statuts, le parti cherchait à exercer un contrôle étroit sur l’emploi de la force et de la violence, tâche dévolue au Département Protection Sécurité (DPS), placé sous le seul contrôle du président Le Pen. Les projecteurs s’étant braqués sur celui-ci, tout au long de la décennie 1990, au point qu’en 1999 il faisait l’objet d’une enquête parlementaire préludant à une éventuelle dissolution[45], le FN se devait de contenir les skinheads, de sorte que les relations entre le parti et eux étaient depuis longtemps très conflictuelles. Ainsi, lors du défilé FN du premier mai 1993, 32 skins furent interpellés sur dénonciation d’un responsable du DPS et c’est dans la « zone grise » alors constituée autour du Front national de la jeunesse (FNJ) et des nationalistes-révolutionnaires radicaux (notamment ceux d’Unité radicale[46]) que la jonction pouvait s’opérer, davantage d’ailleurs sur le mode du jeune « rebelle blanc » proclamant son appartenance ethnique face à la société multiculturelle que du skinhead proprement dit, en prélude en somme au futur phénomène identitaire des années 2000 à nos jours que Stéphane François analyse dans le chapitre 7 du présent volume.

Idéologiquement, la mouvance skinhead trouvait le discours de Le Pen beaucoup trop modéré. Elle ne comprenait pas la tactique de normalisation par le jeu électoral exposée par Hubert Massol, élu municipal du FN (depuis 1989) et président de l’Association pour défendre la mémoire du Maréchal Pétain (ADMP), dans un fanzine skinhead finement intitulé Gestapo[47]: « Pour que les nationaux reviennent au pouvoir, ils doivent être de plus en plus présents dans le jeu démocratique qui leur permet d’exister, afin de le faire basculer en leur faveur et ensuite faire pression pour instaurer la Révolution nationale. » Subtilité que l’éditeur (Fabien Ménard, des Sables d’Olonne en Vendée, ancien militant du FNJ) de ladite publication récuse ainsi : « Comme notre présence les dérange, exprès nous serons toujours là et encore plus provocants. Notre but n’est pas de nuire au FN, mais rien ne doit nous empêcher de nous exprimer ». Cette affirmation donne la clé de l’attitude des skinheads lors des manifestations du FN : une sorte de complicité idéologique mâtinée d’une réelle aversion à fusionner de manière organisationnelle, ainsi qu’un refus de la « mise au pas » par le DPS, dans la rue. C’est Gestapo encore, orné en couverture d’un portrait d’Hitler, qui l’avoue au final : « Beaucoup critiquent le FN, mais il serait bon de s’apercevoir qu’en fait ce parti est le déclic pour notre peuple. Par la modération de son programme, il permet d’être écouté et de convaincre, apportant ainsi parmi notre grande famille des nationalistes d’innombrables sympathisants. » D’autres ont eu un avis plus tranché : dans son n°10, le fanzine Le Rebelle blanc affirme qu’il s’agit non seulement « d’un parti de corrompus » mais aussi qu’il est « infiltré par les sionistes »[48].

Conclusion

Les skinheads français ont constitué dans les décennies 1980 et 1990 un mouvement que des observateurs étrangers, ceux de l’Anti-Defamation League (ADL), estimaient entre 1000 et 1500 personnes en 1985-1986[49] et que le rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme pour 1995 évaluait encore à un millier. Ils ont formé une sous-culture de la jeunesse séduite par un mode de vie au slogan apolitique (« bière, baise et baston », ou, dans la version du fanzine One Voice : « Oï, Sex and Beer »[50]) mais que certains groupes d’extrême droite ont tenté de radicaliser politiquement, à une époque où le Front national dépassait pour le première fois la barre des 10% des voix (1984) mais où les skins séduits par les idées nationalistes, voire racistes, le considéraient déjà comme une formation « bourgeoise ». Ne voulant pas s’intégrer durablement dans un parti politique d’extrême droite, les skins nationaux-socialistes, que d’ailleurs le Front national ne souhaitait utiliser que pour des tâches électorales (collages) ou de service d’ordre, ont constitué un vivier facile pour des groupuscules glorifiant la violence raciste voire le terrorisme (PNFE) qui s’est exprimé par un niveau exceptionnellement élevé d’actes violents visant les personnes de couleur et les personnes d’origine maghrébine. La réaction des autorités politiques, l’existence d’une législation antiraciste votée dès 1972 et renforcée en 1990, ainsi que la différence entre les lois française et américaine sur la détention des armes, ont sans doute permis que le passage au terrorisme soit évité.

L’internationalisation des liens entre skinheads, en particulier en direction de l’Europe de l’Est, notamment la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie après 1990, a donné une dimension transnationale à la violence de ces milieux. Les groupes musicaux voyagent, se produisent sur tout le continent. Les deux principaux réseaux, Hammerskins et Blood and Honour, sont par essence transnationaux et les concerts qu’ils organisent, y compris en France, drainent un public souvent venu des pays voisins (par exemple en Alsace-Lorraine, d’Allemagne et de Belgique ; en Franche-Comté, d’Allemagne et de Suisse). Cette dimension transnationale de la violence, tout comme le caractère d’importation des idées, des méthodes et même de la musique et de la mode, font du phénomène skinhead un mouvement en porte-à-faux avec le nationalisme français. Il s’agit en définitive d’un phénomène d’affirmation raciale dans l’optique d’une imminente confrontation du type « guerre urbaine »[51], entre Européens blancs et « allogènes », soit cette part de l’idéologie d’extrême droite qu’un FN intégré dans le système parlementaire ne peut plus assumer et qui continue, en 2017, à être l’horizon partagé d’une partie importante de l’extrême droite, avec toutefois un nombre de violences graves et d’homicides moins élevé que dans les années 1980.


Notes

[2] Cf. George Marshall  Spirit of ’69: A Skinhead Bible, Dunoon, S.T. Publishing, 1991.

[1] Michel Wieviorka, La France raciste, Paris, Seuil, 1992, ch. 10.

[3] Titre d’un fanzine publié au milieu des années 1990 dans les Bouches- du-Rhône par Mickael P., alors proche du Parti Nationaliste Français et Européen.

[4] Le terme « oi !» est une déformation, utilisée en argot anglais, de « hey you ».

[5] Cf. Timothy Scott Brown, «Subcultures, Pop Music and Politics: Skinheads and “Nazi Rock” in England and Germany », Journal of Social History, 2004, Volume 38, Number 1, p.157-173.

[6] Sur ce sujet, voir le documentaire de Marc-Aurèle Vecchione : Antifa, chasseur de skins (Résistance films, 2008) et pour une version diamétralement opposée celui produit par les proches de Serge Ayoub : Sur les pavés, (Autonomiste media, 2009).

[7] Voir Leonard Zeskind : Blood and Politics, the history of the White Nationalist Movement, Farrar, Strauss and Giroux, 2009, ch. 22.

[8] Fondé en 1972 par l’Américain Garry Rex Lauck, le « NSDAP Aufbau- und Auslandsorganisation » continue à vendre sur le net des ouvrages en français : https://third-reich-books.com/product-tag/francais/

[9] Des suprémacistes américains sont les auteurs de l’attentat contre un bâtiment fédéral d’Oklahoma City qui fit, le 19 avril 1995, 168 morts et 680 blessés.

[10] La diffusion de l’ouvrage a été interdite en France par arrêté du 21 octobre 1999 :  https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000197597

[11] 14 Mots n°1, n.d mais postérieur à juillet 1995, n.p.

[12] Cf. Libération, 18 février 1998.

[13] Voir leur site : http://www.hammerskins.net/fhs/

[14] Voir : https://28hexagone.wordpress.com/

[15] L’adhésion au Front national. De la minorité active au mouvement social, Paris, Editions Kimé, 1990.

[16] Michael Billig, Fascists: A social psychological view of the National Front, London: Academic Press, 1978.

[17] Op. cit, p. 202.

[18] Voir : http://www.slate.fr/story/85579/extreme-droite-radicale

[19] Le mouvement Troisième Voie, fondé en novembre 1985, se réclamait du nationalisme-révolutionnaire : voir la contribution de Nicolas Lebourg dans ce volume. Sa direction était composée d’anciens cadres du Parti des forces nouvelles (PFN) et du Mouvement Nationaliste-Révolutionnaire (MNR) menés par Jean-Gilles Malliarakis. Il attira toutefois, notamment à Lille, des éléments de la mouvance skinhead. C’est l’existence de ce vivier spécifique qui conduisit Serge Ayoub à créer en 1987 les JNR comme une structure destinée à regrouper les sympathisants skinheads de TV, qui disparaitra en 1991. Après cette date, les JNR sont définitivement une organisation autonome se réclamant tantôt du « solidarisme », tantôt du nationalisme-révolutionnaire », mais dont les militants sont bien issus du milieu skinhead et l’assument. Cf. Petrova Youra, « Les skinheads : solidarité de classe ou combat national », Agora débats/jeunesses, vol. 9, n°1, 1997, pp. 76-93.

[20] Kerhuel était le bassiste d’un groupe nommé Evil Skins, jusqu’en 1987. Il a affirmé lors de son procès avoir adhéré aux JNR. À l’audience Giraud a déclaré : «Aux JNR, on pouvait se permettre d’avoir une connotation raciste.» Cf. Libération, 18 octobre 2000.

[21] Libération, 12 décembre 1997.

[22] Ouest-France édition locale de Carhaix, 29 septembre 2013.

[23] La Voix du Nord, 26 mars 2010.

[24] TV a édité un bulletin mensuel, Troisième voie information [dir. publ. Philippe Cabassud], n°1, décembre 1986.

[25] Voir : http://reflexes.samizdat.net/. Si l’information factuelle contenue dans tous les numéros (désormais numérisés) à partir de juin 1986 est donnée dans un contexte militant avoué, du point de vue de la mouvance libertaire, et qu’elle doit être prise par  les chercheurs avec les précautions d’usage, puisqu’elle n’est pas toujours confirmable par des archives accessibles, elle n’en donne pas moins une trame historique fiable du mouvement.

[26] Cf. Libération, 4 mai 1995.

[27] Le Rebelle blanc, 1989, n.p.

[28] Le Francisme, fondé en 1933 par le héros de la guerre de 1914-1918, Marcel Bucard (1895-1946), a été le parti d’extrême droite le plus proche du Fascisme italien jusqu’à son tournant ultra-collaborationniste de 1943. Pierre Sidos, de l’Œuvre française, Pierre Bousquet, de Militant, en ont été membres. De même que l’adolescent Jean Mabire, selon l’ancien Franciste Antoine Graziani. Cf. Les visiteurs de l’aube, Chemise bleue, Volume, III, p. 458, Paris, Dualpha, 2009.

[29] Dissous tous deux par décret du 10 juillet 2013.

[30] Jamais dissout, le PNFE s’est mis en sommeil au printemps 1999. Le dernier numéro de son journal Le Flambeau (mai 1999), porte en couverture la photo de Bruno Mégret.

[31] Sur le hooliganisme : Nicolas Hourcade , « L’engagement politique des supporters “ ultras” français. Retour sur des idées reçues », Politix, vol. 13, n° 50, 2000, p. 107-125. Le hooliganisme constitue un objet d’étude séparé, dans la mesure où il a ses ressorts de mobilisation propres et n’a été utilisé par l’extrême droite que comme un vivier de recrutement.

[32] Symbole porté par l’escorte des magistrats de la Rome antique, ce faisceau a été repris sous une forme proche par l’Assemblée Constituante de 1790, comme allégorie du pouvoir dévolu au peuple. Le Fascisme italien l’a parfois repris sur ses monnaies.

[33] Voir L’Humanité du 2 avril 1990.

[34] À savoir : Walkyrie (pour les militantes); Niebelungen (groupe Thor à Metz); Le Marteau (Saint-Lô, groupe Thulé), Charlemagne (section Léon Degrelle, Nord-Pas-de-Calais); Le chêne (section Jacques Doriot, Seine-et-Marne); Le Glaive (section Roger Degueldre, région parisienne); L’if de Ross (Lyon); Liberté (groupe Odal, Marseille); Sang et Honneur (groupe René Binet, région parisienne); Ultime ralliement (Seine-et-Marne); Wikings (groupe Odin, Normandie). Le nom des sections souligne le poids de la mémoire de l’engagement sur le front de l’Est (Binet, Degrelle et Doriot y furent volontaires) et du néo-paganisme nordiciste, justement activé dans l’extrême droite française à cette période (cf. Nicolas Lebourg et Jonathan Preda, « Le Front de l’Est et l’extrême droite radicale française : propagande collaborationniste, lieu de mémoire et fabrique idéologique », Olivier Dard dir., Références et thèmes des droites radicales, Bern, Peter Lang, 2015, p. 101-138 ). Degueldre était quant à lui membre de l’Organisation de l’Armée Secrète, fusillé en 1962.

[35] Voir : http://wimpeez.tripod.com/id9.html

[36] Interview à Pitbull Zine, n° 4, 1993.

[37] Cf. Libération, 7 avril 2001.

[38] Voir : http://reflexes.samizdat.net/zik-zina-quand-la-musique-fait-boum/

[39] Cf. Le Flambeau n°15, août 1995, p. 22, qui rapporte le déroulement d’un solstice d’été à Paris, le 24 juin précédent.

[40] L’Empire invisible, n°11, janvier-février 1990, p.11. Devalez se présentait alors comme « organisateur national » du 33/5 ce qui, dans la numérologie du Ku-Klux-Klan américain, renvoie à la cinquième époque du mouvement, dont le théoricien était Robert Miles (1925-1992), partisan d’un Klan agissant dans le secret absolu, mystique dans le sens des Identity Churches.

[41] Michel Lajoye (1967) a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 18 ans pour avoir posé en 1987 une bombe dans un café du Petit-Quevilly, fréquenté par des Maghrébins. Il a été libéré en 2007 et a toujours prétendu avoir été manipulé par son complice, un démineur des services de police qui aurait été chargé de pousser l’ultra droite à commettre des attentats. Voir son livre : 20 ans, condamné à la prison à vie, Paris, Dualpha, 2002.

[42] Idem, p. 14.

[43] Le Flambeau, n°32, 1999, p. 12.

[44] Cf. son livre Les Héritiers du Troisième Reich, Paris, Seuil, 1994.

[45] Le DPS : service d’ordre du FN ou garde prétorienne ? Rapport n°1622 enregistré le 26 mai 1999, deux volumes, Les documents d’information de l’Assemblée nationale.

[46]Fabrice Robert, leader à partir de 1996 du groupe de rock nationaliste Fraction, cadre d’Unité radicale et élu municipal FN en 1995, avant de prendre la tête du Bloc identitaire en 2003, a rendu compte de ce qu’il appelle sa période « rebelle blanc » dans un texte intitulé « Retour sur un parcours politique personnel ». Cf : http://fr.metapedia.org/wiki/Fabrice_Robert_:_%22Retour_sur_un_parcours_politique_personnel%22.

[47] N°4, 1994.

[48] Non daté, sans doute publié en 1989-1990, ce fanzine est un des premiers à évoquer la nécessité d’importer en France « la lutte légitime des Palestiniens contre les occupants israélites ».

[49] ADL : The Skinhead International : A worldwide survey of Neo-Nazi Skinheads, 1994, p. 30.

[50] One voice (Segré, Maine- et-Loire), n°4,  n.d.

[51] Voir le fanzine Objectif survie, publié par Olivier Devalez, n°4, septembre 1985.

Un Français – Extrait de film : Scène du meurtre raciste par empoisonnement à la soude.

https://img.over-blog-kiwi.com/1/05/31/59/20150610/ob_fba520_068738.jpgLe film raconte, sur une période de 19 ans (de 1994 à 2013), l’histoire de Marco (Alban Lenoir) et de ses acolytes, Braguette (Samuel Jouy), Grand-Guy (Paul Hamy) et Marvin (Olivier Chenille). Ils sont ce que l’on appelle des skinheads et passent leurs journées à cogner des noirs et des Arabes, à se battre contre des punks et des redskins, et à coller des affiches de l’extrême-droite. Mais peu à peu, au fil des années, Marco se remet en question et décide de se repentir, de devenir quelqu’un de bien et d’abandonner cette haine et ce mépris. On va alors suivre le parcours d’un homme essayant par tous les moyens d’abandonner la colère, la violence et la bêtise qui le rongent pendant qu’autour de lui, à l’inverse, la société se radicalise de plus en plus et plusieurs personnes de son entourage, notamment sa petite amie et un de ses amis, tous deux décidés à garder leurs idéaux racistes, xénophobes, islamophobes, homophobes…, ne le reconnaissent plus.

Un Français – Film de fiction inspiré de faits réels et d’individus connus.

Régis Kerhuel
bassiste du groupe Evil Skins 
et militant des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR) 
du militant néo-nazi Serge Ayoub dont il est le second supposé, 
est arrêté en 1998 
et condamné en octobre 2000 à vingt ans de réclusion criminelle 
pour sa participation au meurtre de James Dindoyal au Havre, le 18 juin 19903. 
Il est libéré en 2010 après avoir effectué la moitié de sa peine4,5,6. 
Il décède le 8 août 2019, à l'age de 54 ans7.

 

Originaire de la région parisienne et du Havre, le groupe se forme en 1983. Nommé dans un premier temps Zyklon B, il est d'abord composé d'Iman Zarandifar (alias Sniff ou Fesni) au chant, William Deligny (alias P'tit Willy) à la guitare, Régis Kerhuel (1965-2019)1 à la basse et Cornette à la batterie. 

Au début des années 1980, Sniff et P'tit Willy rencontrent Madskin (qui a des notions de basse) et Cornette, skinheads du Havre avec qui ils décident de monter un groupe de rock anti-communiste.
En 1984, à la sortie d'un bar-concert, à Paris, dans le quartier festif d'Oberkampf, une bagarre oppose le chanteur, Sniff, à Laurent Jacqua, un jeune de 17 ans. Sniff est blessé d'un coup de revolver : il est atteint à la colonne vertébrale et restera paralysé. À la suite de cet événement, le chanteur continue malgré tout au sein des Evil Skins, chantant désormais en chaise roulante.
En 1986, ils publient leur premier 45 tours Docteur Skinhead sur leur label Intensive Produc., qui fera connaître le groupe dans le milieu skinhead. Pour leur premier concert, ils assistent à une scène ouverte et prennent d'assaut la scène, expulsent les musiciens en train de jouer, prennent leurs instruments et jouent. C'est la photo qu'il y a sur le premier 45 tours des Evil Skins.
L'année suivante sort l'album intitulé Une force, une cause, un combat sur le label Evil Records (réalisé par Rock-O-Rama Records). Parmi les titres les plus connus du groupe, peuvent être mentionnés : La Zyklon Army, Bêtes et méchants, Paris by Night, Marcel ne regrette rien, Vivre pour frapper, Docteur Skinhead, Le Poisseux, Un amour perdu et Luxembourg.

Le guitariste du groupe William Deligny, quant à lui, se considère comme un repenti et est à présent moine Vaishnava dans une communauté hindoue8. Auteur de livres religieux, il ouvre en 2003 un centre, puis un monastère, à Rouen. En 2013, Il témoigne dans le cadre de l'affaire Clément Méric9.

Le rap dissident tente l’OPA sur le rap conscient : Le rap français part en quenelle

https://www.streetpress.com/sujet/1413189061-le-rap-francais-part-en-quenelle
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Médine devant une copie du mur de séparation de Bétlehem

Ambiguïté toujours, Médine glisse une quenelle dans les locaux de Skyrock. Puis devant une réplique du mur de séparation de Bethléem. Mais face aux caméras de Canal+ il, jure que « [sa] quenelle n’est pas celle d’Alain Soral ». Son attitude confine à l’hypocrisie quand il se rend au théâtre de la Main d’Or pour assister à une conférence du tribun « panafricaniste » et antisémite Kémi Séba. Médine se fera ovationner pendant plusieurs minutes à la demande de Séba qui le présente comme « un ami ».

« Assister à la conférence d’un homme ne veut pas dire épouser ses idées », s’est justifié Médine dans un droit de réponse suite à notre article sur le sujet. Ce qui ne l’a pas empêché de poster sur Facebook des messages accompagnés du hashtag « #freekemi » après l’incarcération de ce dernier le 17 septembre. Ou d’être annoncé en première partie pour une conférence à Bruxelles de Kémi Séba, flyers à l’appui.

Skins tueurs à la bière empoisonnée. Les meurtriers d’un Mauricien au Havre démasqués huit ans après.

par Patricia Tourancheau

publié le 9 novembre 1998 à 16h08

La mort de James Dindoyal, un soir de beuverie au Havre, est une «correction» infligée à un «boucaque», mélange de bougnoule et de macaque, qui n’avait pas à passer par là. La triste fin de ce Mauricien de 23 ans sur la plage «du bout du monde» a été élucidée huit années plus tard, après les révélations à la police de Michel H., un «jeunot» de la bande à l’époque.

Ce 18 juin 1990, des crânes rasés du Havre ­ la bande Blood and Honour ­ et des durs de Paris se retrouvent à trente devant l’église du quartier Sanvic, achètent des packs de bière et des bouteilles de rhum chez Champion, puis filent au bunker sur la falaise en face du fort de Sainte-Adresse. Circuit habituel. Le soir, les voilà «chauds», qui descendent sur la plage au bistrot la Bodega s’envoyer encore des «barons» de bière. Selon Michel, le chef Joël Giraud donne le signal du départ: «On bouge, pour aller casser du boucaque.» Il interdit aux deux mineurs, âgés de 15 ans, de sortir. Michel et «Cafard» restent. Les «autres, Kerhuel, Cédrose, Poisson, Mammouth et trois meufs suivent Giraud».

«Trempette». Du bar, Michel observe le manège des dix qui se dirigent vers la digue. «Trois garçons reviennent sur le parking pour prendre un sac dans le coffre de la voiture de Giraud», puis rejoignent le groupe. Au bout d’une demi-heure, tout le monde réintègre la Bodega, hilare. Giraud lance: «On s’est bien marrés, il a bien picolé, celui-là, avant de faire trempette.» Le «jeunot» du groupe a gardé ses doutes jusqu’au 10 avril 1997. Ce jour-là, Michel, qui a témoigné dans une autre affaire de crime raciste (1), dépose plainte au commissariat pour «menaces de mort» à cause de coups de fil. En gage de sa bonne foi, le «repenti» branche les policiers sur «l’histoire du Pakistanais». Dans les archives, les enquêteurs trouvent trace de la mort classée sans suite d’un étranger, James Dindoyal, né le 11 juillet 1966 à l’île Maurice, décédé le 3 juillet 1990 au Havre, de façon atroce. Un médecin de Sainte-Adresse avait trouvé devant sa porte un jeune homme qui «se tordait de douleur, de la bave sanguinolente aux lèvres». A l’hôpital Monod, James Dindoyal avait parlé d’une agression violente, d’une boisson bizarre avalée de force. Avant de plonger dans le coma. Et de succomber, seize jours plus tard, de ses brûlures à l’estomac. Selon l’autopsie, la mort a été causée par «l’ingestion d’un produit caustique» indéterminé.

Le film "Un Français" s'inspire de ces faits pour une de ses scènes

Aiguillés par Michel sur la piste des boules à zéro, souvent désignés par des noms de guerre et éparpillés aux quatre coins de France ­ Paris, Bordeaux, Perpignan, Le Havre ­, les policiers ont mis une année à démasquer les skinheads meurtriers. Le 12 juin 1998, six suspects ont été mis en examen par le juge Christian Balayn, du Havre, pour l’homicide de James Dindoyal.

Empoisonnement. Régis Kerhuel, 33 ans, maître-chien, et Joël Giraud, 30 ans, qui crient à la «dénonciation calomnieuse», sont accusés d’«empoisonnement». Pascal Liberge, dit «Poisson», 31 ans, qui se prétend «absent ce soir-là», Cédric Haudebout, «Cédrose», 29 ans, Carmen Vicente, 31 ans, qui «n’a rien à voir avec ça», et Elodie Lagarde, 24 ans, sont soupçonnés de «complicité». Les quatre garçons ont été écroués, les deux filles placées sous contrôle judiciaire. Me Dominique Tricaud s’est constitué partie civile pour la famille de James Dindoyal, ainsi que SOS-Racisme.

Régis Kerhuel et Joël Giraud sont des lieutenants de Serge Ayoub (2), un inconditionnel de la batte de base-ball surnommé «Batskin», qui a monté les Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR) à Paris en 1987 et a soutenu en hooligan le club de foot du Paris-Saint-Germain. «Carmen de Normandie» fabrique alors un fanzine, Bird’s Band, avec Elodie et Greg, le chanteur du groupe Viking. Son compagnon Giraud et Kerhuel, «partisans du White Power», traversent Le Havre «déguisés en grands chefs du Ku Klux Klan», tiennent des «réunions secrètes» pour monter un groupe KKK, «organisent les trajets sur Paris pour aller aux manifs du Front national, à la fête des Bleu-Blanc-Rouge ou au défilé à Jeanne d’Arc», et participent à des services d’ordre du FN au Havre et à Paris, «contre rémunération».

«Drôle de goût». Embrigadé par Kerhuel dans Blood and Honour, Cédrose a rapporté aux enquêteurs la scène du crime. «Assis sur la digue, on a vu passer un bien bronzé qui se promenait vers la mer, pas noir ni maghrébin, mais comme un Pakistanais. On l’a insulté, traité de sale boucaque: “Retourne dans ton pays. Il n’a rien dit. On lui a barré la route, on l’a entouré et bousculé. On le provoquait pour obtenir une réaction de sa part. Il voulait partir mais ne se défendait pas. On attendait qu’il se rebiffe pour le frapper. Les chefs ont décidé qu’on allait le forcer à boire. Il a vidé une bière sans rien dire. C’est la première fois qu’on faisait ça. On n’avait pas pour habitude d’user de la bière pour un boucaque. Comme il avait accepté une bière normale, Giraud et Kerhuel ont eu l’idée de lui en préparer une autre, ils se sont absentés quelques instants. Mort de trouille, le gars avait du mal à boire la deuxième bière, il faisait la grimace, il se plaignait qu’elle avait “un drôle de goût. Giraud et Kerhuel répondaient: “Mais non, c’est rien, elle doit être éventée. Soit tu la bois, soit on te tabasse. Finis ta bière, et on te laissera partir. Le mec l’a toute bue et a cherché à s’en aller. Le ton est monté, et on l’a balancé à l’eau par-dessus la rambarde. Il est remonté sur ses jambes vers la plage, trempé.» Aujourd’hui, Cédrose refuse de confirmer au juge ce long récit qu’il aurait livré «sous la pression de la police». Elodie Lagarde, elle, maintient ses aveux. Cheveux rasés sur le côté, petite queue-de-cheval, tatouée, elle est restée en retrait avec Cédrose et Carmen: «Notre rôle à tous les trois a été de servir en deuxième rideau à empêcher le gars de se barrer.» Pascal Liberge, alias Poisson, fut «l’un des gros bras qui maintenaient le gars», et Joël Giraud, «l’un des instigateurs de la correction» avec Régis Kerhuel, qui «a tendu la nouvelle canette de bière décapsulée au Black»: «Ils n’admettaient pas de personnes étrangères au groupe sur leur territoire, même simplement de passage. L’intrus était prié de s’en aller. Si, en plus, il était bronzé, il avait droit à une correction.» Sa copine Carmen Vicente prétend qu’elle est hors du coup. Mais, ex-femme de Joël Giraud, chef de la bande du Havre avec Régis Kerhuel, elle a raconté toutes leurs sales histoires.

Chat égorgé. Kerhuel et Giraud raffolent d’un «petit cocktail à base d’eau chaude, d’absinthe et d’alcool à 90°». Carmen, buveuse de whisky, a goûté à leur mixture et a souffert de brûlures d’estomac. Elle dépeint ses amis en tortionnaires. Giraud l’a souvent frappée les soirs de soûlerie, «cocards, bleus et autres», et lui a «cassé la jambe, d’un coup de pied au tibia». Kerhuel, lui, «aimait faire souffrir les animaux». Un jour, il a mis «son rat blanc dans une bouteille d’eau-de-vie pour le tuer». Un autre, il a «égorgé un chat en forêt de Montgeon pour manger son coeur, une sorte de messe noire». James Dindoyal, le pauvre «boucaque» échoué sur la plage «du bout du monde», a avalé leur breuvage mortel, un mélange de bière et de soude, ou d’acide, ou peut-être d’eau de Javel.

(1) Le meurtre d’Imad Bouhoud, noyé dans le port du Havre le 18 avril 1995 par David Beaune et Michaël Goncalves, deux skinheads du Havre.

(2) Serge Ayoub, Régis Kerhuel et Joël Giraud ont été condamnés ensemble pour l’agression de Karim Diallo à Paris en 1990 sous l’oeil des caméras de la 5.

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Le skinhead David Beaune a été condamné à dix-huit ans de réclusion criminelle

https://www.lemonde.fr/archives/article/1997/12/14/le-skinhead-david-beaune-a-ete-condamne-a-dix-huit-ans-de-reclusion-criminelle_3810383_1819218.html

David Beaune n’est pas parvenu à convaincre ses juges. Dans la soirée du vendredi 12 décembre, les jurés de la cour d’assises de Seine-Maritime l’ont reconnu coupable du meurtre d’Imad Bouhoud, un jeune beur âgé de dix-neuf ans, le 18 avril 1995, et l’ont condamné à dix-huit ans de réclusion criminelle. Il écope ainsi de la même peine que celle infligée à Mickaël Gonçalves, son comparse, jugé pour les même faits, le 4 juillet, par le tribunal de Braga, au Portugal. Les deux jeunes hommes s’accusaient l’un l’autre de la responsabilité du meurtre d’Imad Bouhoud, mort noyé dans les eaux du bassin Vauban, au Havre.

Dans son réquisitoire, l’avocat général Jean-Louis Lecué a souligné qu’« il est fondamental de dire haut et fort que David Beaune a commis un meurtre raciste », et a demandé à la cour de lui infliger une peine de vingt ans de réclusion criminelle. Me Jean-Michel Vincent, avocat de l’accusé, a, pour sa part, mis en avant l’histoire difficile de David Beaune. Abandonné à l’âge de deux ans par ses parents, « il avait besoin d’une autre famille », a-t-il notamment suggéré.

A l’énoncé du verdict, David Beaune n’a pas paru surpris. Avant que la cour ne se retire pour délibérer, il a une dernière fois pris la parole, affirmant ne pas réclamer « la clémence » de ses juges. Plus tôt dans la journée, il avait déjà dit : « Je vais m’expliquer sur les faits. Je suis là pour assumer mes actes. » Une stratégie différente de celle adoptée jusque-là. A l’ouverture du procès, David Beaune était, en effet, apparu borné, presque arrogant, quand il revendiquait à la barre son appartenance au mouvement skinhead et son attachement aux idées racistes et xénophobes (Le Monde du 11 décembre). Cette attitude suicidaire augurait mal de la suite. Pourtant, au fil des audiences, l’accusé avait modulé son propos, allant même, au soir du premier jour, jusqu’à adresser des excuses à la famille de la victime.

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A l’ouverture du troisième et dernier jour d’audience, David Beaune a pris toute sa part de responsabilité dans la mort d’Imad Bouhoud. Bien sûr, de nouveau il affirme ne pas avoir poussé le jeune beur dans le bassin Vauban. « C’est Mickaël Gonçalves qui l’a fait, alors que je retenais Imad par le col de son blouson », précise-t-il. Le président Jean Reynaud s’étonne alors que l’accusé n’ait jamais formé de demande de mise en liberté. « Vous considérez-vous coupable de quelque chose ? », a-t-il demandé. « Oui, de complicité de meurtre. » « Pourquoi ? » « Parce que j’ai lâché Imad Bouhoud. » « Au début, ajoute-t-il, j’avais bien la haine. La prison a alimenté cette haine. Maintenant, c’est comme des regrets, j’essaie de trouver quelqu’un pour me sortir de ça. »