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La Cravate (du skinhead) – Film documentaire 2020
Bastien a vingt ans et milite en Picardie depuis cinq ans dans le Front National, principal parti d’extrême-droite .
Quand débute la campagne présidentielle, il est invité par son supérieur à s’engager davantage.
Initié à l’art d’endosser le costume des politiciens, on le surprend à rêver d’une carrière, mais son CV ressurgit :
projet de tuerie de masse dans son collège
puis membre du gang skinhead Picard Crew.
Le documentaire suit le parcours d’un jeune militant du Front national dans la Somme, de ses premiers engagements au sein du parti jusqu’à son départ et sa perte d’influence.
Régnier est un militant de ce parti depuis déjà cinq ans, et accélère son engagement à l’occasion de la campagne présidentielle de 2017. On le suit notamment auprès des grandes figures du parti Florian Philippot et Marine Le Pen. Il passe alors de l’ennuyeuse administration de la permanence locale et de la distribution de tracts, à la production de vidéos pour Philippot, le numéro deux du parti.
Endossant alors son costume de politicien et sa cravate, il a néanmoins des difficultés à masquer son passé mouvementé, notamment son ancienne appartenance aux skinheads.
Et les choses commencent à se compliquer4,5.
La Cravate est un film documentaire français réalisé par Mathias Théry et Étienne Chaillou, sorti en 2020. À travers une forme singulière qui fait appel à la littérature, le film retrace le quotidien de Bastien Régnier, jeune militant du Front national lors de la campagne présidentielle de 20171,2,3. Ce documentaire apporte une forme inédite dans sa narration, avec des textes écrits par les réalisateurs, soumis à la lecture du militant Régnier, puis apposé en voix-off sur le film. https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Cravate_(film,_2020)
Un an après sa sortie en salles, “La Cravate” est diffusé ce mardi 12 janvier 2021 à 22h50 sur Canal+. Cet excellent documentaire questionne à bonne distance l’engagement militant d’un petit soldat de l’extrême droite. Bastien Régnier, le personnage principal, raconte comment il a vécu le dévoilement de son passé violent et ce que ce film a changé dans sa vie.
https://www.telerama.fr/ecrans/bastien-regnier-heros-de-la-cravate-a-voir-sur-canal-les-gens-macceptent-ou-me-rejettent-mais-ils-ne-6800254.php
Film intégral en streaming gratuit sur FB :
https://fb.watch/kTYcJnfIP6/
Nazi et ésotérisme – 28/07/19
Stéphane François Docteur en sciences politiques et historien des idées auteur de Les mystères du nazisme : Aux sources d’un fantasme contemporain » (PUF),
Eric Giacometti co-auteur avec Jacques Ravenne du Cycle du soleil noir ( tome 1 1- le triomphe des ténèbres et tome 2 La nuit du mal ) chez Ed Lattès
Yohann Chapoutot, historien spécialiste du nazisme, auteur de Hitler (co-ecrit avec Christian Ingrao ) chez PUF
https://www.europe1.fr/emissions/legendes-dete/nicolas-carreau-nazi-et-esoterisme-28019-3911893
Picardie, réveil difficile pour des néonazis
https://lahorde.samizdat.net/picardie-reveil-difficile-pour-des-neonazis
Lundi 9 mars au petit matin, 16 personnes du milieu néonazi picard ont été interpellées, toutes feraient parti d’un groupe les White Wolves Klan ( Clan des loups blancs ), [1] et auraient été membres de 3ème Voie de Serge Ayoub. Depuis plusieurs mois et même plusieurs années, ces néonazis se sentaient pousser des ailes, entre règlements de compte et bastons après des beuveries. Ce clan aimait passer son temps à taper sur tout ce qui se trouvait sur son chemin.
C’est en plein cœur de la Picardie, dans le triangle Chauny, Noyon, Ham, à la limite des 3 départements de l’Aisne, de l’Oise et de la Somme, que sévissaient ces jeunes défenseurs du nationalisme franchouillard. Sur Chauny déjà au début des années 2010, certains de ces zozos, font des actions coup de poing pour exprimer leurs idées et décorent les murs des environs avec leurs slogans bien à eux. Ils se retrouvent autour du style Gabberskin : voir l’interview de Stéphane François sur les Gabberskin de Chauny.
A Ham dans la Somme, le clan tournait surtout autour d’une personne, Jérémy Mourain, qui s’était déjà distingué en 2008 , alors qu’il n’avait que 18 ans, en frappant avec une batte de base-ball sur le fourgon d’un conducteur qui était sur sa route, fier d’avoir “bien tapé dans le pare-brise d’un gris”. Il écope de 8 mois de prison ferme à cette occasion. Plus récemment, en octobre 2014, il se retrouve encore devant les tribunaux pour avoir organisé une expédition punitive contre trois habitants de sa cité – dont un ancien de son clan, qui faisaient trop de bruit d’après lui. Pour cette affaire il se retrouve avec 18 mois fermes.
Quant à Compiègne où une autre interpellation a eu lieu ce lundi, il s’agirait d’un militant plus âgé : Jérôme Bailly, dit Jarod, 40 ans, vigile bossant pour Sphinx Security Privée, et aussi un ancien militant de 3ème Voie.
Dans la région Picardie, les jeunes nationalistes se portent bien quand même, c’est d’ailleurs dans le sud de l’Aisne qu’Esteban Morillo a grandi (l’assassin de Clément Méric).
Dans le secteur de Ham, et du centre de la Picardie, pendant quelques années les Picards Crew, également proches de 3ème Voie, avaient affirmé leur présence en organisant un solstice d’été dans la Somme en juin 2013, et en participant à un concert néonazi le 15 octobre 2011, qui avait réuni une centaine de militants à Franvilliers dans la Somme, près d’Amiens, autour de groupes de RAC (Rock Against Communism), les ’Lemovice’ par exemple, et d’orateurs comme Thomas Joly (du parti de la France) ou Serge Ayoub.
Parmi les personnes interpellées lundi, quelques unes ont pu assister à l’une de ces soirées, bien que la majorité soit des Gabberskins, plutôt techno que RAC. Les Picards Crew et les White Wolves Klan auraient très bien pu s’y retrouver, en fait ces deux groupes avaient la même activité sur le terrain, mis à part que les WWK n’auraient jamais pu organiser un concert à eux seuls.
Un concert est prévu samedi 14 mars, sans doute dans le nord de la Picardie, qui devrait réunir un beau panel de ces néonazis, organisé par les Hammerskins.
La Horde
“Vikernes défend une Europe blanche débarrassée de tous les peuples métissés et des juifs”
https://www.lemonde.fr/politique/article/2013/07/16/vikernes-defend-une-europe-blanche-debarrassee-de-tous-les-peuples-metisses-et-des-juifs_5992839_823448.html
Stéphane François est historien des idées et spécialiste des sous-cultures d’extrême droite. Il revient sur Varg Vikernes, néonazi norvégien interpellé mardi matin en Corrèze et sur les relations entre la scène Black metal et l’extrême droite.
Qui est Varg Vikernes ?
C’est un musicien norvégien de la scène Black Metal, une figure importante, même mondiale de ce courant musical. Varg Vikernes, Kristian de son prénom, est surtout connu pour avoir défrayé la chronique dans les années 1990 pour des propos racistes, satanistes et des incendies d’églises plus que millénaires en Norvège.
https://youtu.be/CYJ6H2kKbFE
Il est aussi connu pour avoir tué un membre de son groupe, Øystein Aarseth, alias Euronymous. Il fera de la prison pour cela, 21 ans, la peine la plus lourde en Norvège.
Il a aussi fait quelque chose qui a beaucoup choqué en Norvège, il a pris comme second prénom, Quisling, du nom chef de gouvernement pronazi norvégien pendant la seconde guerre mondiale.
Vikernes fut aussi un ancien skinhead dans sa jeunesse. Il est à la fois un musicien et quelqu’un qui s’est radicalisé avant d’aller en prison mais est devenu « officiellement » néonazi en prison. Varg Vikernes a aussi soutenu un groupuscule néonazi, le « Einsatzgruppe », qui prévoyait de faire des attentats en Norvège. Cette frange radicale n’hésite pas à avoir de propos racistes dans leurs entretiens.
Appartient-il à des groupes politiques ?
Oui, il appartient à plusieurs structures néo-païennes völkisch, des groupuscules, comme le Front païen norvégien et le Front païen germanique. Il se réclame du paganisme nordique. Il est aussi un des membres fondateurs du mouvement extrémiste norvégien Résistance Aryenne.
Quel est son courant musical ?
Au départ, c’est le Black metal. Avec son premier groupe, Mayhem, c’est une des figures phares du Black metal. Une fois qu’il a fondé Burzum, son nouveau groupe, il est devenu une figure de proue dans le monde du National socialist black metal (NSBM). D’ailleurs, Burzum, c’est une grande référence, quelque chose d’important, on peut trouver leur disque à la Fnac ou chez Gibert ! Ce n’est pas cantonné au « petit milieu ». Les CD peuvent tirer à 20 000 ou 30 000 exemplaires.
Le Black metal est apparu au milieu des années 1980. C’est une évolution musicalement, esthétiquement et textuellement violente du Metal. C’est une sorte de vision lourde musicalement, pessimiste du hard-rock, qui prise les sons gutturaux et les atmosphères oppressantes. Sa genèse musicale renvoie à plusieurs groupes et registres : Black Sabbath, pour les textes désespérés, Kiss et Alice Cooper, pour les maquillages et Led Zeppelin pour les textes occultistes. Parmi les codes du Black metal, il y a la misanthropie, la haine du monde mais surtout un discours élitiste.
Une partie des références est ouvertement païenne, l’autre étant un satanisme bricolé à partir des représentations romantiques du satanisme médiéval. Ces groupes font référence à un monde mythique d’avant l’histoire où de super guerriers harnachés de cuir et de métal combattent les dragons, les entités maléfiques, les dieux…
Au niveau (pseudo) religieux, cette scène a fait un syncrétisme entre le paganisme nordique, celte parfois, et le satanisme, à un tel point que parfois nous pouvons même parler de « pagano-satanisme ». Ce syncrétisme se renforce chez les plus radicaux d’un racisme biologique.
Ces « pagano-satanistes » professent un antichristianisme primaire mâtiné de darwinisme social. « Le christianisme est pratiqué par des gens trop faibles pour contrôler leur propre vie. La religion représente la morale de pitié illogique qui va à l’encontre des lois de la nature », explique par exemple l’une des figures du milieu. Ces groupes insistent ouvertement sur la bestialité, la brutalité et la force, les faibles subissant la violence des forts, c’est-à-dire des Vikings. Ce darwinisme primaire est revendiqué et assumé par la frange la plus radicale de cette scène.
Certains des groupes radicaux influencés par les délires racialistes païens de Varg Vikernes accompagnent leurs disques de représentation de la Totenkopf (la tête de mort des divisions SS gardiennes des camps de concentration) et de runes. Il a même existé même un groupe appelé Zyklon B, du nom du gaz utilisé dans les camps d’extermination.
Cette mouvance est implantée partout ?
On en a principalement du NSBM en Europe et aux Etats-Unis mais aussi en Australie ou en Nouvelle-Zélande. En France, leur heure de gloire a eu lieu lors de la décennie 1990-2000. Il y a encore pas mal de fanzines et de labels qui en font la promotion, comme* Deo Occidi, fondé par Rudy Potyralla, lié aux Charlemagne Hammerskins. [* à la fin des années 90]
Il y a eu une tentative de récupération politique de la scène Black metal par l’extrême droite radicale ?
Le genre de propos et de provocations du milieu Black metal radicalisé ont incité une partie de l’extrême droite païenne à tenter de récupérer ces groupes. Nouvelle résistance [formation nationaliste-révolutionnaire créée en 1990 et disparue aujourd’hui] l’a tenté par exemple. Ils avaient essayé de mettre en place un label pour sortir des disques de musique industrielle et de Black metal. Le fanzine Napalm Rock était d’ailleurs lié à ce groupuscule animé par Christian Bouchet [ancien dirigeant nationaliste révolutionnaire, il est aujourd’hui tête de liste FN aux élections municipales à Nantes]. Le but affiché de Napalm Rock était de « montrer que la culture musicale nationaliste/païenne est aussi liée au Black metal, au Death metal, à la musique industrielle et au hardcore ».
Cette politique est aussi celle aujourd’hui de la revue Réfléchir & Agir qui chronique dans ses pages des productions musicales Black metal. Actuellement encore, les forums de certains sites Internet consacrés au Black metal voient des tentatives d’entrisme de la part de militants d’extrême droite, notamment néo-nazis et nationalistes-révolutionnaires, quand ils ne sont pas complètement noyautés par ceux-ci. Cet entrisme est facilité par la naïveté et l’apolitisme revendiqué des animateurs de ces sites. Il se peut aussi que des sites soient créés par des militants d’extrême droite, adaptant au Web la politique de la décennie précédente vis-à-vis des fanzines.
Autre exemple, les profanateurs de Carpentras, des skinheads, venaient de la scène Black metal. La tendance NSBM est une des composantes de la mouvance néonazie actuelle.
Ne soyons pas trop dur avec les imprécisions journalistiques : L'auteur confond 2 affaires de profanations de cimetières : - Carpentras 1990 : skinhead PNFE crane rasé ne provenant pas de la scène black metal la profanation d’un cadavre dans le cimetière juif de Carpentras (Vaucluse), en mars 1990. Imputé à l’influence culturelle du FN, cet acte, qui devint un événement de mobilisation fondamental dans la stratégie de mobilisation politique et associative contre le Front national, fut élucidé seulement en 1996, alors que l’un des auteurs, Jean-Claude Gos, skinhead de Denain (Nord) et membre du PNFE, était déjà décédé. - Toulon 1996 : les profanateurs membres du groupe Funeral sont chevelus et pas skinheads mais ont opérés la convergence NS+BM
Quels rapports Varg Vikernes entretient-il avec Andreas Breivik ? Il était récipiendaire du Manifeste de Breivik mais au lendemain de la tuerie d’Utoya, il avait estimé que ce dernier « faisait le jeu des juifs »…
Pour Varg Vikernes, Breivik est un petit joueur. Vikernes est beaucoup plus radical et extrême.. Breivik défend l’Occident chrétien, pour Vikernes il est hors de question de défendre l’Occident chrétien, ni l’Occident tout court, qu’il considère comme dégénéré.
Vikernes reprend les thèmes nazis sur la décadence de la civilisation américaine. D’ailleurs les personnes avec qui il est en contact aux États-Unis comme Michael Moynihan, vivent au fin fond des Etats-Unis, sans aucun contact avec le monde extérieur, en autarcie, ils ont leur communauté païenne germanique et surtout aucun mélange ni aucun contact avec les populations métissées.
Un exemple pour illustrer tout ça : Vikernes a laissé tomber le heavy métal car pour lui le rock, qui vient du blues, est une « musique de nègres ». Il a abandonné l’aspect rock pour se tourner vers le folk, musique « blanche » dépourvu de toutes influences, et musique électronique de type industriel, entièrement « blanche » aussi.
Pour résumer sa pensée, Vikernes défend une Europe blanche débarrassée de tous les peuples métissés et des juifs. C’est le nouvel ordre européen des nazis avec une Europe forcément païenne.
Propos recueillis par Abel Mestre et Caroline Monnot
La Nouvelle Droite et les Indo-Européens Une anthropologie d’extrême droite – Stéphane François 2011
https://journals.openedition.org/terrain/14232#tocto1n13
[…] Les milieux que nous avons étudiés prônent l’« affirmation ethnique ». Ils considèrent que les différences culturelles sont fondées biologiquement, et que leur mélange ne peut être qu’une source de décadence. Selon eux, la « race indo-européenne » est menacée par un certain nombre de périls – un « ethnocide », selon une expression empruntée à l’anthropologue Robert Jaulin –, parmi lesquels se trouvent l’islamisme, l’immigration perçue comme une colonisation ethnique de l’Europe, le métissage et l’impérialisme anti-européen des Américains. La solution résiderait alors dans une défense de l’identité raciale, une « ethnopolitique » à l’échelle de la race blanche. Ils souhaitent faire appel à la « conscience ethnique » des Européens, c’est-à-dire à la supposée conscience individuelle et collective de ces derniers. Il s’agit de défendre les identités biologique et culturelle des Européens, condition indispensable au maintien de la race blanche dans l’histoire des civilisations.
- 18 Parmi les participants de ce colloque « Défense de l’Eurosibérie », organisé par Tierra y Pueblo, l (…)
- 19 La conférence était organisée par le journal russe de tendance néo-païenne Ateheu. La déclaration f (…)
37Concrètement, cette ethnopolitique se manifeste par la promotion d’un grand ensemble européen « blanc » de Brest à Vladivostok, qui s’attache à développer une conscience ethnique. Elle tente de mettre en place une synergie européenne, qui pourrait ensuite s’étendre aux défenseurs non européens de la « race blanche ». C’est ainsi que différents groupuscules se sont réunis en Espagne en novembre 2005 pour un colloque intitulé « En defensa de Eurosiberia18 », tandis qu’une conférence internationale sur « L’avenir du monde blanc » était organisée du 8 au 10 juin 2006 à Moscou19. À l’issue de cette dernière, un « Appel de Moscou » entraîna la création du réseau identitaire Conseil des peuples d’origine européenne, qui donna à son tour naissance à la Coordination identitaire européenne (cie) qui regroupe des groupuscules allemands, autrichiens, espagnols, flamands, français, italiens, portugais, russes, serbes, wallons et québécois. Ce conseil prétend remplacer l’Organisation des Nations unies (onu) par l’Organisation des Nations identitaires (oni).
38Les diverses thèses archéologiques, linguistiques, philologiques, biologiques, raciales que nous venons de voir ont été réfutées par les spécialistes de ces domaines. Ainsi, Bernard Sergent (2005) refuse de parler de race en ce qui concerne les Indo-Européens. Il parle à leur sujet d’une « synthèse ethnique entre au moins des populations préhistoriques locales, c’est-à-dire dont les racines remontent entre autres, sur place, jusqu’aux temps paléolithiques et, par ailleurs, des immigrants porteurs d’une langue indo-européenne dont l’imposition au pays et l’évolution locale aboutirent aux langues historiquement attestées » (Sergent 2005 : 18). De fait, les spécialistes condamnent l’assimilation des Indo-Européens à un groupe racial déterminé, assimilation abusive fréquente dans les milieux d’extrême droite et largement diffusée par Hans F. K. Günther et ses disciples, dont Jean Haudry.
39L’originalité des auteurs ici évoqués est d’offrir une synthèse : reprenant les idées de Tilak, les mélangeant aux thèses racialistes nordicistes de Günther, à la mythologie comparée de Dumézil et à l’ésotérisme formulé par Evola, en minimisant les références à des auteurs nazis sans pour autant les rejeter, ils sont à même d’élaborer une nouvelle anthropologie nordiciste.
Les skins de Chauny et la scène musicale gabber : entretien avec Stéphane François
Il y a un peu moins d’un an, nous avions consacré un post à la réapparition d’une extrême droite adolescente- lycéens et tout jeunes actifs ou inactifs- férue de look, de vêtements typés, et souvent nourrie de références White Power plus radicales (suprémacistes blancs et néo-nazis), à Chauny, dans l’Aisne, et dans la vallée de l’Oise. Le phénomène ne s’est pas éteint, au contraire et a vu l’apparition d’un nouveau groupe – les Nationalistes autonomes picards– qui s’est singularisé il y a quelques jours par la distribution de tracts anti-halal dans les boites aux lettres de la région.
Stéphane François, politologue et chercheur à l’université de Strasbourg, est un spécialiste des “sous-cultures” d’extrême droite (musique, esotérisme, etc…). Il vient de consacrer une longue étude aux jeunes gabberskins de Chauny, ville dont il est lui-même originaire, publiée dans les Cahiers de psychologie politique (voir ici). Il revient en détail sur le profil de ces jeunes, le contexte social, le rôle joué par la scène musicale “gabber skin” et la concurence à laquelle se livrent différentes formations d’extrême droite pour les récupérer.
Vous vous êtes intéressés aux jeunes “gabberskins” de la région de Chauny, dans l’Aisne, qui affichent ostensiblement des symboles d’extrême droite. Certains d’entre eux se sont livrés à des actes de dégradation ou de violence raciste. Pouvez-vous nous dire qui sont ces jeunes et ce qu’est le mouvement gabberskin?
Je vais commencer par répondre à la deuxième question : les “gabberskins”. Le terme “gabber”, présent dans le langage courant néerlandais, signifie “ami” ou “pote”, et vient lui-même d’un mot yiddish.
Ce registre musical est né au Benelux, vers le milieu des années quatre-vingt-dix. Il s’agit d’un sous-registre de la musique “techno”, apparenté à [la techno] “hardcore“, donc une variante agressive de la techno, qui se distingue par un rythme plus agressif, voire martial, mais festive. Ce dernier aspect attire donc un public plus radical et génère une ambiance plus tendue… Les “gabberskins” sont une dérive d’extrême droite de ce registre, comme il existe une tendance gauchisante. Il ne faut donc pas stigmatiser toute la scène gabber.
Le mouvement “gabberskin” est d’origine néerlandaise et apparaît vers le début des années 2000. Dans ce pays, les “gabberskins” sont un problème de sécurité publique. C’est le cas aussi en Belgique. Pour la période 2001- 2005, un rapport de la Fondation Anne Frank a estimé à 125 le nombre de groupes de jeunes racistes se réclamant du “gabber” aux Pays-Bas. Ceux-ci ont été, selon ce rapport, à l’origine de 200 incidents, dont 140 violents et commis 41 agressions et 50 affrontements opposant jeunes Hollandais et jeunes immigrés. Toutefois, selon l’AIVD (l’équivalent des Renseignements Généraux aux Pays-Bas), seuls 5% des jeunes “gabber” peuvent être considérés comme des racistes.
Sociologiquement, les “gabberskins” de l’Aisne sont souvent issus de milieux modestes. Ils proviennent de famille monoparentale, précarisée, alcoolique ou violente… Par contre, il est important de noter que ces adolescents, provenant de milieux difficiles, ne sont pas “connus des forces de police”, selon l’expression consacrée. En effet, s’ils viennent de familles défavorisées, ils n’ont pas pour autant sombrés dans la délinquance.
Au niveau scolaire, ils sont soit déscolarisés, soit en lycée d’enseignement professionnel (LEP). Cette population est au trois quart composée de mineurs (dont un nombre important sont encore au collège), les majeurs ayant un rôle de meneurs (“intellectuels”). Ceux-ci ont environ 25 ans et un passé de militant d’extrême droite affirmé. Certains de ces leaders sont les enfants d’un responsable du Front national, connus pour leur militantisme, parfois violents. Ils sont en effet des habitués du tribunal (soient comme victimes d’agression, soient comme agresseurs).
Enquête exclusive : Police belge et gabberskins français 18/03/2012 à 23h00 • Chaque week-end, des groupes de jeunes skinheads français appelés "gabberskins" débarquent dans l´ouest de la Belgique pour faire la fête. Cependant, ces gangs sèment le trouble dans la zone frontalière. Pour limiter leur affluence, les autorités belges testent une méthode venue des États-Unis : le "harcèlement policier".
Comment se fait le passage entre la scène musicale gabber, l’appartenance à un groupe et l’engagement politique?
Ce passage se fait assez naturellement. Premièrement, nous pouvons affirmer que cette scène musicale a amené certains adolescents vers l’engagement politique, et non l’inverse.
D’un point de vue sociologique, la musique exprime des contenus émotionnels suggestifs, suscite des sentiments et des humeurs. En l’occurrence, la musique des “gabberskins” exprime de la colère et de la haine. Les rythmiques violentes et agressives font de cette scène une scène exutoire, une scène cathartique, pour des adolescents ayant une vie difficile, à l’instar du football pour les hooligans. Et comme pour le football, il s’agit aussi d’un lieu d’embrigadement.
À partir de ce moment, et c’est mon deuxième point, le mécanisme d’embrigadement devient relativement simple : comme nous venons de le dire, ces jeunes recherchent dans cette musique un exutoire à un mal de vivre et à une déshérence sociale. Or, il n’y a pas dans en Picardie et dans le Nord-Pas-de-Calais de lieu jouant les différents registres de techno extrême (“gabber”, “Hardcore”, etc.).
En conséquence, les amateurs picards et nordistes de ce genre de musique se déplacent en Belgique (pays qui se trouve à 1h30, et parfois moins, de route de nos zones axonaises) pour trouver ce type de lieu. En effet, la Belgique est un pays connu depuis la fin des années quatre-vingt pour ses établissements, réputés, de musique “techno”. Au sein de ces établissements, nos jeunes fréquentent des salles réservées aux registres extrêmes comme la “gabber “. Là, ils y rencontrent des “gabberskins” locaux, connus, comme je l’ai dit précédemment, pour leur radicalité et pour l’ancienneté de leur militantisme extrémiste.
La fréquentation de ces établissements permet la mise en en place de certaines pratiques sociales affinitaires dans lesquelles dominent le relationnel et l’affectif. En effet, l’une des conséquences sociales importantes, outre l’attitude militante, est la constitution de clan, voire, pour certains de ces adolescents, d’une famille de substitution.
Paradoxalement cette même musique donne le sentiment d’appartenir à une communauté, à une tribu : la haine parfois rapproche. En effet, nous sommes face à des “hommes de violence”, pour reprendre la typologie de Birgitta Orfali. Dans sa typologie, l’homme de violence est celui dont la psychologie est tournée vers la notion de lutte ou de combat. Il se caractérise par une opposition violente à tout adversaire (individu ou groupe). Bref, il recherche l’antagonisme et le conflit. À partir de ce moment, l’embrigadement devient facile.
Y-a-t-il d’autres facteurs en jeu ?
Oui évidemment. Le contexte social et économique local est catastrophique. La région subit les effets de financiarisation de l’économie mondiale. Des entreprises florissantes ferment pour des raisons financières aggravant une situation locale déjà très difficile : cette région, de vieille tradition industrielle (sidérurgie, textile, chimie), a connu une vague de désindustrialisation importante au début des années 1980 et n’en s’est jamais remise.
Actuellement, ce sont les derniers ilots de prospérité qui sont touchés… Ainsi, à Chauny, au 31 décembre 2008, 27,4% des jeunes de 15 à 24 ans étaient sans emploi (dont 14,9% en chômage de longue durée) et 29,4% étaient sortis du système scolaire sans diplôme. Le nombre de familles monoparentales est aussi en augmentation depuis 1999 (20,6% en 2006 contre 13,5% en 1999). C’est catastrophique…
En outre, ces adolescents s’inscrivent souvent dans une tradition politique familiale de vote pour le Front national. Celui-ci obtient de très bons scores dans cette région, entre 17 et 19 % selon les élections.
L’abandon des références ouvrières des partis de gauche, au profit des classes moyennes, a permis au Front national d’investir le rôle de “porte-parole” des “Français d’en bas”, substituant le marqueur identitaire de classe à celui de race…
Localement, cette évolution nationale va se combiner à la fois avec une pauvreté endémique, dont je viens de parler, et avec un vote protestataire bénéficiant à ce parti. En effet, en 2007, lors des dernières élections présidentielles, ce parti a récolté 17,43% des suffrages. Aux dernières élections régionales de mars 2010, le Front national a amélioré son score de 3 points, passant à 20,24% des suffrages exprimés ! Enfin, il existe une banalisation des propos racistes/xénophobes dans certaines familles…
Quelles sont les relations entre les formations d’extrême droite (classiques ou pas type nationalistes autonomes) et ces jeunes? Constituent-ils un vivier pour le FN? De quoi sont ils le révélateur?
Effectivement, ces jeunes peuvent constituer un vivier pour le Front national, mais pas uniquement pour ce parti. Depuis quelques temps, je me suis rendu compte que ces jeunes gens attirent plusieurs partis/groupuscules d’extrême droite : le FN donc, mais aussi le Bloc Identitaire, via des tentatives d’approches de membres du Projet Apache (l’un d’entre eux a passé sa scolarité à Chauny), le Renouveau Français dans le Sud de l’Aisne et depuis peu la Troisième Voie de Serge Ayoub [dont se sentent proches les Nationalistes autonomes de Picardie]…
Ceci dit, je pense que c’est le FN qui les attirera le plus facilement car des responsables du FNJ local les travaillent au corps depuis plusieurs années. Ce sont d’ailleurs ces responsables qui cherchent à imposer le terme “nationaliste” pour les qualifier, au lieu de celui de “skinheads”.
Ces tentatives sont compréhensibles d’un point de vue électoraliste. En premier lieu, le contexte local est très favorable au Front national : l’électorat frontiste se maintient aux environs de 17/19% suivant les élections. Ainsi, en 2007, lors des dernières élections présidentielles, ce parti a récolté dans ce département 17,43% des suffrages. Aux dernières élections régionales de mars 2010, le Front national a amélioré son score précédent de 3 points, passant à 20,24% des suffrages exprimés.
Ensuite, nos “gabberskins” proviennent majoritairement de communes rurales proches de Chauny ayant très largement voté pour le Front national aux élections régionales de mars 2010 (dont 42% pour le Front national à Abbécourt, village des responsables locaux du FNJ).
On peut en déduire les points suivants : une majorité de ces jeunes ont des parents qui ont voté pour ce parti; ensuite, ils évoluent dans des milieux sociaux non seulement défavorisés mais aussi très imprégnés par les thèses xénophobes et populistes.
Des éléments vont dans ce sens : primo, leur attitude contestataire et leur rejet du politique, le “tous pourris” des démagogues d’extrême droite ; secundo, la très grande occurrence sur leurs blogs de certaines idées anti-immigrés, dont celle de la préférence nationale (les immigrés sont tous des délinquants et des dealers, ils prennent le travail des français, ils nous envahissent, etc.).
De fait, ces jeunes sont révélateurs d’une évolution identitaire de l’extrême droite. Leur attitude est en effet clairement un repli identitaire, celui-ci étant corrélé avec la notion de “race blanche”.
Nous sommes face à ce que Pierre-André Taguieff a appelé “la quatrième vague du nationalisme”, c’est-à-dire celle du repli identitaire contre la mondialisation, une mondialisation vue comme une machine à détruire les peuples et les identités. Il s’agit donc d’une volonté de repli “entre soi”, entre personnes de même “race”.Cela est parfaitement explicite dans les discours peu élaborés de nos “gabberskins”, en particulier ceux exprimés sur leurs blogs.
Propos recueillis par Abel Mestre et Caroline Monnot
=> En complément: - l'étude récente de Stéphane François sur les gabberskins de Chauny publiée dans les Cahiers de psychologie politique (ici) - les différentes publications de ce chercheur sur les cultures d'extrême droite sur le site Fragments sur les temps présents (là) https://www.lemonde.fr/politique/article/2011/01/27/les-skins-de-chauny-et-la-scene-musicale-gabber-entretien-avec-stephane-francois_5981769_823448.html