Groupuscules d’ultra-droite : analyse d’une émergence identitaire décomplexée par Jean-Yves Camus

Groupuscules d’ultra-droite : analyse d’une émergence identitaire décomplexée

Après le drame de Crépol, les groupuscules d’ultra-droite reviennent dans l’actualité, par leur action, leur manifestation et leur possible dissolution. Jean-Yves Camus, codirecteur de l’Observatoire des radicalités politiques et chercheur rattaché à l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques) apporte son analyse.

Le Laboratoire de la République : Parlons-nous de groupuscules d’ultra-droite ou d’extrême-droite ? Quelle est la différence entre ces deux notions ?

Jean-Yves Camus : Le concept d’ultra-droite n’est pas un concept scientifique. Il a été forgé après que les anciens renseignements généraux aient été entièrement refondus dans ce qui est maintenant la DGSI (direction générale de la sécurité intérieure), la grande différence étant que les renseignements généraux avaient le droit de surveiller les partis politiques. Il a fallu forger une catégorie pour désigner ce qui, à l’extrême droite du spectre politique, restait encore dans le giron du renseignement intérieur. Or ce qui restait dans le giron du renseignement intérieur, ce sont les gens qui présentent une menace pour la sécurité de l’État ou ceux qui promeuvent une idéologie raciste, antisémite, suprémaciste et qui tombent sous le coup de la loi. Donc le renseignement intérieur s’est retrouvé dans l’obligation de forger une catégorie qui apparaît au début des années 2010 : l’ultra-droite. Ultra, c’est à dire au-delà de la limite de ce qui reste dans le champ du renseignement, ce qui est une menace. Concrètement, cela veut dire que le Rassemblement national et désormais Reconquête sont des partis qui ne peuvent pas être suivis par le renseignement intérieur parce qu’ils cherchent à conquérir le pouvoir par les urnes, mais ceux qui souhaitent le conquérir autrement ou qui s’adonnent régulièrement à des activités de propagande ou de manifestations sur la voie publique et qui utilisent la violence ou la haine, ceux-là sont classés à l’ultra-droite. La pertinence du concept, pour nous, politistes, est relative parce qu’à l’intérieur de l’ultra-droite, il existe des gens dont les idées sont effectivement très radicales, hostiles à la démocratie par exemple, mais est-ce qu’ils sont un danger pour les institutions ? Pour moi, non. Ils ont une idéologie, certes radicale, parfois antidémocratique, souvent identitaire, avec parfois, pas toujours, une notion de suprématie de la race blanche, mais leur discours, à mon sens, n’est pas un danger imminent pour la sécurité des institutions.

Le Laboratoire de la République : Comment les partis politiques, notamment le Rassemblement national et Reconquête, se positionnent-ils par rapport à ces groupuscules ?

Jean-Yves Camus : Le Rassemblement national de 2023 n’est pas le Front national fondé en 1972. Il y a peut-être encore des militants de base du Rassemblement national qui ont un pied dans un groupuscule radical. Cependant, l’identité du parti, son positionnement comme acteur politique, n’est plus celui de Jean-Marie Le Pen et des fondateurs du Front national. En 1972, Jean-Marie Le Pen a fondé le Front national avec un numéro 2, qui, quand il avait 20 ans, portait l’uniforme nazi, c’est historiquement vrai. Mais cela ne définit pas l’identité du Rassemblement national de 2023.

Aujourd’hui, les membres du parti sont nationalistes, hostiles à l’immigration, à l’Union européenne et à toute forme de supranationalité. Le projet politique de Civitas qui a été dissous récemment, disait souhaiter l’abolition des lois de 1905 sur la laïcité et le retour du catholicisme comme religion d’État. C’est évidemment une atteinte aux institutions, au moins en paroles.  Le RN n’a pas le même discours. Marine Le Pen n’a jamais parlé d’abolir la laïcité. Elle ne parle pas de remigration. Elle n’a jamais dit que l’islam était incompatible avec la République contrairement à Éric Zemmour. Le combat contre les idées du Rassemblement national et celles de Reconquête ne peut être efficace que si on évite les raccourcis hâtifs en se servant de l’histoire.

Il faut distinguer ce qui rentre dans la stratégie dite de normalisation de Le Pen ou dans la stratégie politique d’Eric Zemmour. L’extrême droite existe. Il y a eu longtemps un consensus établi des chercheurs pour avaliser l’utilisation de ce terme. Désormais il y a débat. Dans le monde anglo-saxon, on a tendance à utiliser le terme « droite radicale » et il me convient assez pour décrire les partis qui s’inscrivent dans le jeu démocratique tout en se démarquant du consensus par des propositions, au sens premier, « radicales » telles la priorité nationale et l’arrêt de l’immigration. Contrairement à la France qui n’a pas de définition juridique, les Allemands, pour des raisons historiques, ont été amenés à élaborer une définition de l’extrême droite comme de l’extrême gauche qui est utilisée par l’office de protection de la Constitution et les services de renseignement pour décider qui peut être mis sous surveillance. Les Allemands font la différence entre ce qui est extrême et ce qui est radical. Un parti a le droit d’être de droite et d’élaborer un projet politique assez radical dans l’ampleur des réformes qu’il propose à la condition de rester dans le respect de la loi fondamentale de 1949. Le parti est dit extrême quand le type d’État qu’il propose est condamné par la loi fondamentale, par exemple le retour au Grand Reich ou à une vision ethniciste de la citoyenneté allemande.

Le Laboratoire de la République : Quelle est la réalité aujourd’hui de ces groupuscules, leur idéologie, méthode et activité ?

Jean-Yves Camus : Plusieurs cartes ont montré dernièrement qu’il existait des groupuscules pratiquement dans chaque métropole régionale et dans beaucoup de petites villes : Thionville, Narbonne, Albi, Chambéry, Annecy. Les dissolutions des grands mouvements qui étaient Génération identitaire, l’Œuvre française et le Bastion social entre 2013 et 2021 ont obligé ces gens à contourner le délit de reconstitution de ligne dissoute en formant de petits groupes par scissiparité. Pour un groupe dissous, naissent X groupes qui ont chacun un intitulé différent qui se réfère, le plus souvent, à l’histoire locale.

Ils font partie de la mouvance identitaire, ce qui veut dire que ces gens sont des ethno différentialistes, c’est à dire qu’ils pensent que sur une terre ne peut exister que le peuple qui y a des racines millénaires et que les autres ne doivent ni y habiter ni se mélanger. Le sang fait la citoyenneté.

Pour comprendre leur idéologie, il faut s’intéresser à ce sujet sur la durée. Or on ne s’intéresse à cette mouvance d’ultra droite ou de droite radicale que lorsqu’il se produit un incident. Dès lors on n’a pas de repères historiques et on a l’impression que ces groupes ne font que se greffer sur un événement. Au contraire, ce sont des acteurs politiques permanents. Certains effectivement suite à la dissolution, se mettent en sommeil, d’autres continuent sous un autre nom et surtout il y en a qui produisent de la théorie. Academia Christiana, dont la dissolution a été annoncée par Gérald Darmanin, a publié un livre de 128 pages qui s’appelle « Programme politique d’une génération dans l’orage » (2022). Il ne faut pas penser que ces gens sont juste des écervelés qui échafaudent des plans pour abattre la République. Jean-Eudes Gannat, qui est l’ancien leader de l’Alvarium dissout, a écrit la préface du programme d’Academia Christiana avec qui il collabore. Il pose dans son texte cette question : pourquoi intituler « programme politique », le manifeste d’un groupe qui ne participe pas aux élections. Pour lui, un programme politique n’est pas quelque chose qui est destiné à arriver au pouvoir. Il explique que les lecteurs d’un programme électoral savent parfaitement celui que les différents partis présentent en période de campagne ne sera pas appliqué, ne sera pas l’action de l’État. Son objectif est de former idéologiquement des gens qui seront des « soldats politiques » (Dominique Venner), des propagandistes, des acteurs, des gens qui, par leur mode de vie, leur attitude, leur degré d’engagement, montreront qu’il est possible de faire de la politique sur d’autres bases que celle du système existant.

Le Laboratoire de la République : Les dernières mesures des autorités françaises à leur encontre tel que la dissolution sont-elles efficaces ?

Jean-Yves Camus : Les dissolutions ne sont pas entièrement efficaces parce qu’il est illusoire de vouloir éradiquer une mouvance politique. Seul le totalitarisme peut l’éradiquer, évidemment, il ne faut pas en arriver là. On est dans un Etat de droit, où l’on respecte les libertés publiques. Une démocratie est saine quand elle tolère dans son sein des gens qui la remettent radicalement en cause. Il y en aura toujours. La limite est la sécurité de l’État et des institutions mais on doit pouvoir dire qu’on est radicalement contre le consensus.

Entretien enregistré le 12 décembre 2023.

Besançon : des centaines d’autocollants et tags néonazis découverts dans le centre-ville

https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/doubs/besancon/besancon-des-centaines-d-autocollants-neonazis-colles-dans-le-centre-ville-par-un-groupuscule-d-extreme-droite-2864465.html

Des centaines d’autocollants néonazis ont été découverts, ce dimanche 29 octobre, dans le centre-ville de Besançon. La maire de la ville annonce qu’elle va porter plainte.

https://france3-regions.francetvinfo.fr/image/GDZQdz8cLp4Xn6IgoUlsjMeOfV0/600x400/regions/2023/10/29/fotojet-653e80dce1909128631140.jpg

Des centaines d’autocollants au nom de “VDL BSK”, un groupuscule nationaliste d’extrême droite, ont été collés sur des façades et du mobilier urbain, dans le centre-ville de Besançon, dans la nuit de samedi à dimanche. Des témoins ont aperçu plusieurs individus, dans les quartiers de Rivotte et de Granvelle. Des tags ont également été découverts.

Deux lieux ont été particulièrement ciblés : la cité des arts et le café-restaurant “Le Pixel”.

“Une amie m’a envoyé une photo, je suis allée voir ce matin, la porte et la vitrine étaient recouvertes d’autocollants” précise Clara, membre de l’association “La Furieuse”, gestionnaire du “Pixel”. “Bien sûr, on se sent un peu visé, mais on ne va pas se laisser intimider, et on va continuer nos activités”, ajoute-t-elle.

“VDL BSK” est le groupuscule déjà connu à Besançon pour avoir fait des saluts nazis et entonné des chants SS. Ses membres s’étaient aussi livrés à des intimidations et à des violences contre des personnes issues de minorités.

Un membre du groupuscule condamné en février 2023

Un des membres de VDL BSK avait été condamné, en février 2023, à 140 heures de travail d’intérêt général. Il avait recouvert de peinture blanche une partie de la statue de Victor Hugo, une œuvre du sculpteur sénégalais Ousmane Sow, sur l’Esplanade des droits de l’homme.

Dans un communiqué, la maire de Besançon, Anne Vignot écrit : “dès demain, je porterai plainte. Nous lutterons très fermement contre ces organisations, pour tout acte délictueux ou pénal commis sur nos bâtiments ou dans l’espace public.”

Le 28 octobre, François Delagrande a participé à un combat de boxe organisé par le club de motards Badass Motorcycle Club à La Bridoire (Savoie). Son groupe Boots and Creepers se produit habituellement sur scène sous la bannière des États confédérés d’Amérique, symbole du suprémacisme blanc.

https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/131123/antisemitisme-et-antiwokisme-le-cocktail-haineux-d-un-concert-neonazi-pres-de-lyon

Le 28 octobre, François Delagrande a participé à un combat de boxe organisé par le club de motards Badass Motorcycle Club à La Bridoire (Savoie). Son groupe Boots and Creepers se produit habituellement sur scène sous la bannière des États confédérés d’Amérique, symbole du suprémacisme blanc.

François Delagrande, alias « Frankreich », a plusieurs fois eu affaire à la justice. En 2017, l’ex-militant du groupuscule Edelweiss, émanation savoyarde du désormais dissous Bastion social, a écopé d’un rappel à loi pour sa participation à l’attaque d’un concert de la fédération anarchiste locale et, en 2020, il a été condamné à six mois de prison ferme après avoir roué de coups un jeune antifasciste.
Engagé au 13e bataillon de chasseurs alpins, il faisait partie des militaires de carrière épinglés dans l’enquête de Mediapart sur les néonazis dans l’armée française. Sollicité, le ministère des armées confirme aujourd’hui que « l’intéressé a été radié des cadres par mesure disciplinaire en 2020 ».

[ la bridoire , Savoie- 28 octobre 2023]
241 Rte de Cumont, 73520 La Bridoire

Police : les tatouages de la haine

On ne peut plus parler de “cas isolés” ou de policiers qui tachent l’uniforme de police. La symbolique fasciste, voire néonazie, est désormais un fait courant au sein des compagnies de police. Combien de cas faut-il pour que l’on puisse enfin démasquer une tendance qui se propage au sein des forces de police, sans que personne ne puisse l’arrêter ? Les derniers tatouages identifiés chez les policiers, aisément utilisés par des suprémacistes blancs, appuient cette tendance.

https://i0.wp.com/www.frustrationmagazine.fr/wp-content/uploads/2023/09/IMEA-jpg.webp?resize=1080%2C675&ssl=1

[Ouest Casual] VDL BSK

https://www.streetpress.com/sujet/1693819816-nazi-militaires-neonazis-regiment-belfort-besancon-vandal

Deux militaires du 35e RI de Belfort sont aussi membres du groupe violent d’extrême droite des Vandal Besak. Sur leurs réseaux sociaux, l’un d’eux, Lukas C. affiche ouvertement ses sympathies néonazies et sa volonté de tuer des étrangers ou des LGBT.

C’est une des dernières publications du compte Instagram du 35e régiment d’infanterie de Belfort (90), qui publie « les plus belles images » des Gaillards, les surnoms des soldats locaux. On y voit un lieutenant bardé de médailles serrer la main de jeunes engagés volontaires. Il s’agit de leur « cérémonie de ventilation », datée de juin 2023. Un rituel qui permet aux différentes compagnies d’accueillir ces nouvelles recrues. Lukas C., un des gaillards présents sur les images au second plan, risque cependant de ne pas y faire long feu. Lukas, couvert de tatouages, dont le H stylisé des hooligans, et repérable à sa grande taille – il met au moins une tête à ses comparses – est un militant d’extrême droite néonazi des Vandal Besak de Besançon (25). 

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Le jeune Lukas C. est un militaire au sein du 35e régiment d’infanterie de Belfort et apparaît sur les publications du compte Instagram de l’unité. / Crédits : DR

Sur son compte Instagram, il multiplie les déclarations d’amour au IIIe Reich. En juin dernier, Lukas C. publie une photo de lui et d’un autre soldat dans ce qui semble être un dortoir de l’armée. Il fait un salut de Kühnen, une variante à trois doigts du salut nazi, son comparse fait directement l’hitlérien. En commentaire sous la photo, il se vante d’être dans un « des régiments les plus NZ [nazi, ndlr] au monde », avec un emoji surpris. Un deuxième membre des Vandal Besak est également dans le régiment belfortain : Raphaël G.

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Sur Instagram, Lukas C. publie avec le pseudonyme de « TSON », qui l’utilise également sur Telegram. Mais les photos de profil sont les mêmes que celles de son Facebook. Tant pis pour la confidentialité. / Crédits : DR

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Sur son compte Instagram, Lukas C. multiplie les stories et les propos néonazies et suprémacistes. À droite, il fait sur la photo un salut de Kühnen, une variante à trois doigts du salut nazi, son comparse fait directement l’hitlérien. / Crédits : DR

Des néonazis

Les Vandal Besak sont un groupe de jeunes militants d’extrême droite qui reprennent les codes du hooliganisme et qui depuis quelques années multiplient les agressions à Besançon et aux alentours. Le 17 mars, Lukas C. et Raphaël G. sont avec sept autres Vandal à proximité de la faculté de lettres et sciences humaines – où les étudiants organisent un blocus dans le cadre de la mobilisation contre la réforme des retraites. Menés par leur leader de l’époque Théo Giacone, les militants d’extrême droite proposent un « fight » à certains étudiants. Quelques heures plus tard, les deux militaires font à nouveau partie de la bande qui frappe un pompier et tente de lui voler sa banderole lors d’une manifestation sauvage dans les rues bisontines, selon des témoins.

À LIRE AUSSI : La carte des hooligans en France

Sur son compte Instagram début juillet, Lukas C. se félicite de la publication d’une photo des Vandal Besak sur le canal Telegram Ouest Casual, qui répertorie toutes les frasques des néonazis français. Et, comme si ce n’était pas suffisant, il inscrit en bas de la story :

« White Race Power [le pouvoir de la race blanche, ndlr]. »

« Le pouvoir de la race aryenne », renchérit-il en anglais dans une d’août. Il a également publié une photo éphémère de lui et trois hommes devant le drapeau de l’Allemagne nazie – en gommant la croix gammée. Pour masquer les visages, les néonazis utilisent des Totenkopfs, symbole de la SS. « Heil Hitler », écrit-il aussi dans une nouvelle story.

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« C’est OK d’être blanc. Le pouvoir de la race aryenne », renchérit-il en anglais dans une story en août. Ou « Heil Hitler », le cri de salut nazi, écrit-il directement dans une autre. / Crédits : DR

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À gauche, la story éphémère de Lukas C. où il pose avec trois hommes devant le drapeau de l’Allemagne nazie – en gommant la croix gammée. À droite, la photo non-censurée. / Crédits : DR

Des soldats qui se fantasment en croisade

Raphaël G. n’est pas en reste. Son compte Instagram, où trône la devise « Dieu, famille, patrie », a longtemps été public. Une des stories qu’il a posté en juillet le montre en train d’agresser et de courser un homme. Sur une autre vidéo datée de mai, il pose avec l’acronyme « WBS » qui signifie White Boy Summer, un slogan suprémaciste américain en vogue depuis quelques années. Et dans des stories de décembre 2022, il se définit comme un « soldat européen » du catholicisme.

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Dans des stories de décembre 2022, Raphaël G. se définit comme un « soldat européen » du catholicisme. / Crédits : DR

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L’acronyme « WBS », avec lequel pose Raphaël G., signifie White Boy Summer, un slogan suprémaciste américain en vogue depuis quelques années. / Crédits : DR

Dans un genre similaire, Lukas C. rédige en story :

« Il va falloir refaire comme en 732 pour chasser la peste de France !! »

Une référence à la bataille de Poitiers où le chef franc Charles Martel a vaincu l’armée omeyyade – utilisée comme mythe (même s’il est historiquement faux) par l’extrême droite pour montrer leur opposition aux musulmans et aux personnes d’origine maghrébine dans l’Hexagone. Début août, il est encore plus direct suite à un tweet d’Alice Cordier, la leader du collectif féminin identitaire Nemesis, sur des agressions sexuelles de migrants, et écrit :

« Envoyez-nous l’armée, on nettoiera bien le pays. Au lieu de faire des MCD à la con [missions de courte durée à l’étranger, en outre-mer ou en métropole, ndlr] et se tourner les pouces en caserne. »

Mais la croisade de Lukas C. n’est pas qu’envers les étrangers. Sur une de ses photos Telegram, on y voit un dessin de chevalier qui vient de trancher des têtes, plantées sur des pics. Les visages sont associés à différents drapeaux LGBT : l’arc-en-ciel, celui des personnes transgenres et des asexuels.

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Lukas C. aime faire des références à la bataille de Poitiers en 732 – où le chef franc Charles Martel a vaincu l’armée omeyyade. Début août, il est encore plus direct suite à un tweet d’Alice Cordier, leader de Nemesis, où il demande à « nettoyer le pays » et critique les missions de l’armée. / Crédits : DR

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Sur son compte Telegram, Lukas C. affiche un dessin de chevalier qui vient de trancher des têtes. Sur les visages ou par terre, différents drapeaux LGBT : l’arc-en-ciel, celui des personnes transgenres et des asexuels. / Crédits : DR

Recruteur pour les successeurs de FrDeter

Le militaire de Belfort est très actif sur la messagerie russe. Début juillet, il est même devenu recruteur pour l’entité Nova Europa dans le Doubs. Ce canal de discussion est une resucée de FrDeter, une clique soupçonnée de préparer des actions violentes révélée en avril dernier. Comme FrDeter avant lui – même s’ils ont cette fois prévenu qu’ils ne veulent pas de « dingueries » dans le chat –, Nova Europa a une chaîne principale forte de 7.800 membres et se décline ensuite par départements. Dans celui du Doubs, les 90 participants sont répartis entre Lukas C. et un autre recruteur – également membre des Vandal Besak. « Toutes les personnes qui sont plus proches de Belfort que de Besançon, merci d’écrire à [Lukas C.] », écrit ce dernier.

À LIRE AUSSI : Des militants d’extrême droite discutaient d’un projet d’attentat contre Bilal Hassani

Pour Nova Europa, Lukas C. a monté sur Belfort Gallico Vallum, un groupe nationaliste qu’il a présenté avec les chiffres 14 et 88 sur Instagram, deux références là-encore au nazisme. Et dans une vidéo de présentation de la bande, qui mêle autant des photos de Gallico Vallum que celles des Vandal Besak, Lukas C. intègre une image de la division Charlemagne – qui rassemblait les combattants français de l’Allemagne nazie.

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Début juillet, Lukas C. est devenu recruteur pour l’entité Nova Europa dans le Doubs, un canal de discussion qui est une resucée de FrDeter. Pour Nova Europa, le bidasse a monté Gallico Vallum, un groupe nationaliste qu’il a présenté avec les chiffres 14 et 88 sur Instagram, deux références là-encore au nazisme. / Crédits : DR

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Dans une vidéo de présentation de Gallico Vallum, Lukas C. intègre une image à gauche de la division Charlemagne – qui rassemblait les combattants français de l’Allemagne nazie. À droite, il pose à nouveau avec le drapeau nazi qu’il masque. Et l’inscription « Deus Vult », le cri de guerre des chevaliers templiers. / Crédits : DR

Lukas C. et Raphaël G. ont également des liens avec les autres groupes et personnalités d’extrême droite en vogue. Le premier a participé à la journée de cohésion en Franche-Comté de plusieurs bandes nationalistes comme la Division Martel, le Korrigans Squad, les Infréquentables Dijon ou évidemment les Vandal Besak. Quant à Raphaël G., il s’est pris en vidéo fin décembre en train de s’entraîner à la boxe avec le Rouennais Adrien Dalençon. Ce militant d’extrême droite, recruteur lui aussi pour Nova Europa dans le 76, a été un des membres de l’expédition punitive qui visait des supporters marocains lors de France-Maroc en décembre 2022.

Un embarras pour l’armée

Autant de liens embarrassants pour l’armée et le 35e RI, qui a déjà dû gérer un profil néonazi. Au printemps 2021, un caporal-chef de Belfort avait été épinglé dans une enquête-fleuve de Mediapart. Le même bidasse avait ensuite été mis en examen en novembre de la même année après la découverte d’un arsenal de 130 armes, couplé à de la « propagande néonazie ». Son contrat a été résilié en janvier 2022, avec un blâme du ministère des Armées en prime. « L’institution condamne en effet systématiquement les écarts de comportements et ne tolère aucun écart de conduite quand les faits sont établis », indique la communication de l’armée de terre.

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Une des stories postée par Raphaël G. en juillet le montre en train d’agresser et de courser un homme. / Crédits : DRhttps://backend.streetpress.com/sites/default/files/raphaelg-4_1.jpg

À gauche, Raphaël G. se bat avec Adrien Dalençon, militant d’extrême droite qui a été interpellé lors de France-Maroc en décembre 2022. À droite, le militaire pose avec un émoji Vatican et un autre doigt levé, un signe utilisé par le Gud. / Crédits : DR

Et pour nos deux larrons ? « Quand de tels cas, qui relèvent de la dérive individuelle, sont avérés, des enquêtes de commandement sont diligentées et, le cas échéant, des sanctions lourdes sont prises », promet-on. L’institution assure que ces militaires « n’étaient pas connus pour des faits de cette nature » et leur commandement n’avait pas constaté leur positionnement d’extrême droite, « ni oralement, ni de façon écrite ». Elle garantit :

« Toutes les idéologies néfastes, nauséabondes, révisionnistes, extrémistes, sont proscrites. Il n’y a aucune tolérance. »

Contactés, Lukas C. et Raphaël G. n’ont pas répondu aux questions de StreetPress. Suite à notre message, ce dernier a changé le nom de son compte Facebook. Les deux ont supprimé leurs comptes Instagram.

Solstice d’été RAC

Pour le « solstice d’été », le retour d’un concert néonazi près de Lyon

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Pour le « solstice d’été », le retour d’un concert néonazi près de Lyon :
Deux groupes de rock néonazi donneront un concert près de Lyon, dans l’Ain, le samedi 24 juin. Cet évènement signe une résurgence de la scène RAC (Rock Against Communism) et NSBM (National Socialist Black Metal), particulièrement active autour de Lyon jusqu’en 2020 . . .
Football, tir à la corde, repas, concert de deux groupes de rock en vue à l’extrême droite, rituel païen autour d’un bûcher et camping à la belle étoile. Le milieu du rock néonazi a prévu de fêter à sa manière le solstice d’été près de Lyon. Organisé par le tout récent groupuscule Division Gallia, l’évènement doit avoir lieu samedi 24 juin au soir, dans l’Ain.
Parmi les deux groupes qui s’y produiront, on retrouve Match Retour, un groupe de Oi!/RAC (Rock against communism) néonazi lyonnais, mené par Renaud Mannheim, une figure de l’extrême droite radicale lyonnaise. Sur le logo du groupe, on retrouve la Totenkopf, une tête de mort utilisée comme insigne par des divisions SS ainsi que le slogan « Lion le Melhor », cri de ralliement de l’extrême droite radicale lyonnaise.
La deuxième tête d’affiche, Ewigersturm, est suisse et écume la scène RAC et néonazie européenne. Elle se présente comme une « chanteuse nationaliste ». Dans ses textes, elle fait de régulières références à l’Allemagne nazie et ses alliés. Ce solstice d’été ne sera pas leur première date ensemble. Les deux groupes s’étaient déjà retrouvés sur un concert commun le 18 mars à Lyon, à l’occasion de la Saint-Patrick. Les deux événements ont par ailleurs été annoncés sur des affiches au graphisme très proche.

Un concert qui signe le retour de la scène du rock néonazi près de Lyon

On n’avait plus vu de concerts clandestins néonazis près de Lyon depuis 2020. Quatre éditions d’un festival de NSBM (National Socialist Black Metal) appelé « Call of terror » s’étaient tenues entre 2017 et 2020 dans la région lyonnaise. Nous avions même recueilli le témoignage de l’un des participants en 2017. Mais les « Call of terror » étaient loin d’être les premiers événements du genre, récurrents depuis la fin des années 2000 près de Lyon. Le dernier en date s’est tenu le 8 février 2020, et avait aussi pris place dans l’Ain, à l’espace culturel de Châtillon-la-Palud.
Depuis, l’organisation de ce genre de concerts a été largement freinée par la pandémie de covid mais aussi par la dissolution du principal mouvement organisateur de ces évènements, Blood and Honour. Ce mouvement organisait principalement des concerts et des tournois de free-fight, et tirait sa devise « Blut und Ehre » des Jeunesses hitlériennes.
Leur dissolution a été prononcée le 24 juillet 2019, pour diffusion « d’une idéologie néo-nazie, raciste et antisémite, exaltant la « race blanche », appelant à la haine, à la discrimination et à la violence » et pour son organisation sous forme de « groupe de combat », d’après le décret. Depuis, ce réseau a dû se faire plus discret, même s’il n’a pas cessé d’exister. On en assiste aujourd’hui à la résurgence, un peu partout en France, comme à Strasbourg le 25 février 2023, et maintenant près de Lyon.
Selon des mails que Rue89Lyon s’est procuré, envoyés par le groupe organisateur, le concert du « Solstice d’été » devrait se tenir près de Meximieux, dans l’Ain. Le lieu exact est gardé secret jusqu’à 14h, une heure avant le début de l’évènement. Et tout est fait pour protéger les participants et les organisateurs. Sur place, les téléphones ne seront pas autorisés, et même mis sous scellés jusqu’à la fin de la soirée, afin d’éviter que des images ne filtrent de la soirée.
Un concert néonazi qui verse dans l’occultisme
Pour les derniers concerts de NSBM en date près de Lyon, le mode opératoire des organisateurs était simple : louer des salles des fêtes sous un faux prétexte, en dupant les mairies de petites communes. Ce concert du 24 juin ne devrait pas suivre le même fonctionnement. Car cette célébration du « solstice d’été » s’accompagne d’un bûcher, et nécessite donc un lieu en plein air, possiblement un terrain privé.
« Une fois la nuit tombée, nous nous rassemblerons autour du bûcher pour une cérémonie et mettre feu à ce dernier, en hommage au soleil invaincu », écrivent les organisateurs Division Gallia, sur leur boucle Telegram.
Plus qu’un traditionnel feu de la Saint-Jean, ce feu de joie s’inspire aussi de rituels païens. Cette proximité entre néonazisme et paganisme n’est pas nouvelle. Nombre de sigles de l’imagerie nazie puisent leurs racines dans l’occultisme, comme le soleil noir ou la rune d’Odal.
Quant aux organisateurs, la Division Gallia, nous n’avons que peu d’informations. Le groupuscule a été créé récemment, entre février et mars 2023, avec pour logo un casque gaulois sur une croix celtique. Le groupe était présent au Forum de l’implantation locale, organisé par le groupuscule d’extrême droite Lyon Populaire, le 11 mars 2023. Un grand raout qui réunissait tous les courants de l’extrême droite régionale.
Sur une photo postée sur son groupe Telegram, la Division Gallia affiche aussi sa présence le 6 mai à Paris. Ses membres assuraient le service d’ordre de la manifestation organisée chaque année par le Comité du 9 mai, en hommage à un militant d’extrême droite, Sébastien Deyzieux, décédé en 1994 après une course-poursuite avec la police. L’évènement avait réuni lors d’un week-end plusieurs groupes d’extrême droite radicale venus de toute la France.
Division Gallia promet d’organiser d’autres évènements à l’avenir, comme des randonnées ou des bivouacs, mais aussi des concerts. « Le milieu n’est pas mort, la scène non plus », assurent-ils, convoitant la place, laissée vacante, de Blood and Honour dans la région lyonnaise.

 


Ewiger Sturm porte le chandail capuchonné KPN

 

Ewiger Sturm affichée Day of Honour 2023