https://www.liberation.fr/societe/1998/02/18/coup-de-filet-dans-le-milieu-neonazi-grace-a-l-internet_227598/
Policiers français et britanniques démantèlent un groupe ultraviolent.
La brigade des recherches de la gendarmerie maritime de Toulon vient de taper sérieusement dans le réseau néonazi des Charlemagne Hammer Skinhead (CHS).
Grâce à la collaboration des polices britannique et française, grâce au réseau Internet, Hervé Guttuso, 25 ans, chef des CHS, groupe néonazi international d’une extrême violence, a été arrêté la semaine dernière dans sa planque de Londres, où il s’était réfugié depuis 1996 chez les frères Sargent.
L’un de ces derniers, Stephen, est passé devant la justice en janvier pour meurtre raciste.
Dans le même coup de filet, sont tombées en France treize autres personnes, dont neuf ont été écrouées et mises en examen par le juge d’instruction toulonnais Thierry Roland, pour «incitation à la haine raciale, apologie de crimes contre l’humanité, menaces de mort» à l’encontre de personnalités, dont Anne Sinclair, Jean-François Kahn (qui ne s’est pas porté partie civile), Simone Veil et l’ancien conseiller au ministère de l’Intérieur Patrick Gaubert.
A Lyon, c’est le patron du CHS en France, qui pourrait être le fils d’une personne haut placée.
A Rouen, ce sont deux garçons de l’AMSG (Ad majorem satane gloriam, comme son nom l’indique, d’inspiration satanique) qui ont été interpellés.
Ils publiaient la revue SD88, à connotation raciale, pourrait-on dire pudiquement, via des disquettes cryptées (procédé interdit en France) échangées entre l’Angleterre et la France.
D’autres interpellations ont également eu lieu à Marseille.
Inspiration satanique.
Ces arrestations dans le milieu néonazi ont été rendues possibles par le lien existant entre les adeptes des CHS et un groupe français d’inspiration satanique, l’Ordre sacré de l’émeraude, dont les membres ont été interpellés le 18 septembre 1997.
Dans la nuit du 8 au 9 juin 1996, Antony Mignoni, Emilie Dervillers, Laurence Scharples et Christophe Magnoni exhument et mutilent un cadavre (torse perforé d’une croix renversée, yeux crevés) dans un cimetière toulonnais.
La police toulonnaise, chargée de l’affaire, la transmet après commission rogatoire à la gendarmerie maritime à la suite de la découverte de documents sur un terrain militaire appartenant à la marine.
Les documents néonazis, avec incitation à la haine raciale, menaces de mort, violations de sépultures, lisibles entre autres dans la revue Wotan, publication mensuelle du CHS, avaient été planqués sous des amas de roches dissimulés sous des broussailles par le frère de Christophe Magnoni, David.
La brigade maritime fait immédiatement le lien avec la violation des sépultures toulonnaises, à Six-Fours-les-Plages, non loin de Toulon, et d’autres près de Mulhouse.
Christophe Magnoni, qui semble être le chef de bande de l’Ordre sacré de l’émeraude, est parti violer des sépultures près de chez son copain David Oberdorff, en Alsace.
Celui-ci, pour lui montrer qu’il peut faire aussi bien, assassine le père Hull, un prêtre, de trente-trois coups de couteau le 19 décembre 1996.
L’essentiel des preuves accusant Magnoni et l’Ordre sacré de l’émeraude est, dès septembre 1996, grâce aux documents découverts, dans les mains de la brigade maritime. Qui préfère attendre et poursuit les filatures.
C’est en apprenant que deux jeunes de l’Ordre se sont donné pour mission de contaminer par hépatite virale un maximum de gens que la brigade intervient et procède à l’arrestation des quatre, le 18 septembre 1997.
Heureusement, leur sérologie se révèle négative, les quatre avouent la violation de sépulture de juin 1996 et la procédure suit son cours.
Site Internet.
Le lien avec les CHS avait été établi dès 1996 avec la découverte de documents sur le terrain maritime, mais sans certitude absolue.
En outre, les revues Wotan, bénéficiant de la prescription de trois mois des documents de presse, ne permettaient pas l’ouverture d’une information, l’enquête ayant duré de septembre 1996 à l’arrestation en septembre 1997.
Lors de la perquisition chez les membres de l’Ordre sacré de l’émeraude, des numéros de juillet-août 97 de Wotan ont été trouvés, ceux-là mêmes qui menaçaient de mort les personnalités susdites.
On y voit entre autres Simone Veil, un pistolet sur la tempe.
Une nouvelle information est ouverte, qui mène à l’interpellation des membres du réseau CHS, dont celle de Guttuso à Londres, menée en personne par le procureur Cortès et le juge Rolland.
Le site Internet du CHS, ElsaSS 88, hébergé en octobre 1997 et en France chez le fournisseur d’accès AOL, puis fermé, et rouvert en novembre au Canada, a permis la localisation et l’identification de 1500 personnes, en Grèce, au Canada, aux Etats-Unis, en Pologne.
Londres a demandé au Canada de le fermer, une grande première chez les Britanniques, qui n’ont guère l’habitude de sanctionner les néonazis sur le réseau.
Grâce aux dossiers de la brigade maritime, qui se félicite de cette collaboration, la Grande-Bretagne pourrait légiférer sur l’Internet et sanctionner des sites. Hervé Guttuso devrait être extradé prochainement.