Ronan Cariou et Amandine Tatin sont, notamment, soupçonnés d’avoir provoqué, dans la nuit du 29 au 30 janvier, l’incendie criminel qui a entièrement détruit la chapelle de Saint-Guen, à Saint-Tugdual (56), après en avoir sorti des statues et les avoir déposées, la tête en bas, dans le cimetière attenant à l’édifice. (Photo archives François Destoc)
Que se cache-t-il derrière Ronan Cariou et Amandine Tatin, ce jeune couple soupçonné d’avoir profané et dégradé chapelles et cimetières, en janvier et février derniers, en Bretagne ? Les indices laissés par Amandine mènent à d’inquiétantes fréquentations, au carrefour du satanisme, de l’idéologie néonazie et de la musique black metal. D’un côté, l’image de ce jeune couple très amoureux qui se lance dans la vie active. De l’autre, le squelette d’une chapelle du XVI e siècle aux murs noircis se dressant au sommet d’une colline. Ou encore l’image de ce crâne, arraché à la dépouille d’un homme mort il y a plus de 50 ans, dans un caveau, près de Nantes. Saisissant contraste. Qu’est ce qui a poussé Amandine Tatin, 21 ans, et Ronan Cariou, 28 ans, sur la route des cimetières et églises de la région de Quimperlé et de Nantes ? Le couple a reconnu plus de six profanations. Toutes portent la marque du diable : les chiffres « 666 », des croix et pentagrammes inversés. Difficile de ne pas penser à un cycle initiatique. D’autant que, comme les rituels sataniques l’exigent, des actes sexuels ont bien eu lieu sur certains des sites profanés. Amandine et Ronan ont, en tout cas, filmé tous les « exploits » de leur triste périple. La vidéo, avec des livres, photos et des objets de culte dérobés sur les différents sites, est l’une des nombreuses pièces à conviction saisies par les enquêteurs.
Un étrange message
Troublantes, aussi, ces étranges inscriptions dans la chapelle de Guiscriff, dans le Morbihan. Des « runes » : des caractères aux vertus prétendument magiques, empruntés au plus ancien système d’écriture nordique. Un message qui, une fois décodé, évoque « le passage vers une autre dimension », « la lumière » et « le réveil après un long sommeil ». Encore plus déconcertant, les dates auxquelles les faits bretons ont été commis correspondent exactement à des dates clés du calendrier satanique : nuits précédant la nouvelle lune et fin d’un des quatre sabbats annuels; celui du « porteur de lumière », symbole du feu : Lucifer. Satanisme ? Amandine nie farouchement. Ces inscriptions ne seraient qu’un habillage folklorique, sans signification réelle. Pourquoi s’en prendre, alors, exclusivement à des symboles religieux ? Ces questions agacent Amandine. Son avocat les balaie d’une phrase : « S’ils avaient été dans le 93, ils auraient brûlé des voitures ». La jeune femme, qui craignait ces « mauvaises interprétations », a réponse à tout. Elle possède un drapeau nazi ? « Ce n’est pas cet emblème qu’il faut voir », répond-elle, renvoyant ces interlocuteurs vers les symboles de bon augure, d’équilibre ou solaire que désignait, « bien avant la croix gammée nazie », ce signe païen.
Coup de foudre à l’Afpa de Rennes
L’ethnologie passionne Amandine. Tout spécialement l’odinisme, cette « religion » dominante au nord de l’Europe avant la conversion des tribus au christianisme. La jeune femme a arrêté ses études en fin de classe de 3 e . C’est à cette même époque qu’elle a quitté le très chaotique foyer parental, à Toulon. Ensuite ? Foyers d’accueil, petits boulots, dont un passage dans une boutique de jeux de rôle. L’an dernier, selon son oncle, elle suit une formation en menuiserie dans le Var. Moins d’un an plus tard, elle arrive à Rennes pour suivre une nouvelle formation à l’Afpa. C’est là qu’elle rencontre Ronan. Le jeune homme, titulaire d’un BTS agricole, prépare sa reconversion à la plomberie. Avec succès. Quelques mois plus tard, il décroche un CDI dans une petite entreprise, à Concarneau. Le couple ne se quitte plus. Il emménage à 30 km de la « cité des thoniers » et ses loyers « trop chers ». A Saint-Thurien, bourg de 867 âmes perdu au-dessus de Quimperlé.
« J’ai pété les plombs »
Pour Amandine, c’est la clé de l’affaire. Loin de tout, en plein hiver, attendant chaque jour le retour de son compagnon, elle aurait « pété les plombs ». Et quand on lui fait comprendre que la réponse est un peu courte, la jeune femme s’énerve. D’ailleurs, elle ne comprend pas pourquoi l’instruction dure « si longtemps ». Les faits sont si simples… Son avocat, M e Daniel, les résume ainsi : « Ce ne sont pas des adorateurs de satan. Ce sont des gamins qui ont, enfin, pris conscience de la gravité de leurs bêtises. Aujourd’hui, ils en ont honte et ils regrettent ». Amandine se dit prête à payer la note : prison et indemnisation salée. « Que voulez-vous de plus ? », s’étonnait-elle encore récemment.
Profanations à Toulon meurtre en Alsace
Dans sa cellule de la maison d’arrêt de Rennes, la jeune femme est tourmentée. Elle ne tient surtout pas à ce qu’on fouille dans sa vie. A Toulon notamment, d’où elle est originaire. Que pourrait-on y trouver ? Ses liens avec un dénommé Mignoni. Anthony Mignoni, aujourd’hui âgé de 31 ans, condamné à trois ans de prison ferme en 1996. Il avait participé à la profanation d’une tombe au cours de laquelle le cadavre d’une septuagénaire avait été exhumé et transpercé à l’aide d’un crucifix inversé. C’est le même Anthony Mignoni que l’on retrouve en Alsace, la même année, mêlé à l’assassinat d’un prêtre tué de 33 coups de couteau. Le meurtrier a tout juste 18 ans. Il s’appelle David Oberdorf. Au cours de son procès, en 2001, celui-ci déclare avoir voulu « s’élever au rang d’Anthony Mignoni », son maître. Celui qui l’a initié au satanisme. La mère de David Oberdorf témoigne aussi : « Anthony Mignoni était nocif. Il disait qu’il fallait tuer les juifs, les chrétiens. J’interceptais des cassettes et les lettres qu’il envoyait à David. Il voulait qu’il brûle une église ». Il lui avait également demandé de voler un crâne dans un cimetière… Blanchi par l’accusé, Anthony Mignoni sera juste entendu comme témoin. David Oberdorf, lui, sera condamné à 25 ans de réclusion criminelle.
La piste néonazie
Le Toulonnais fait encore parler de lui en 2004. Il est condamné à de la prison avec sursis pour « diffusion d’une revue exhortant à la haine raciale et l’antisémitisme, apologie de crimes contre l’humanité » et de nouvelles profanations de sépultures commises en 1997.
Autre contact : celui de Varg Vikernes, pionnier du courant musical black metal, unique membre du groupe Burzum. Ce Norvégien âgé de 33 ans purge actuellement une peine de 21 années de réclusion pour avoir poignardé de 23 coups de couteau, en août 1993, le leader d’un autre groupe de black metal (Mayhem). Les deux hommes appartenaient à « l’Inner Black Circle ». Une organisation sataniste terroriste à l’origine de l’incendie volontaire de huit églises en Norvège, et qui en aurait inspiré plusieurs dizaines d’autres, ainsi que des meurtres et des suicides, dans les pays voisins. Aujourd’hui, Varg Vikernes s’est tourné vers l’odinisme et l’idéologie néonazie. Confrontée à ces nouveaux éléments, Amandine aurait nié toute influence néonazie. Ses relations avec Mignoni et les autres ne seraient « qu’ exclusivement musicales » (*). Elle-même musicienne (guitare basse), elle aurait proposé ses services au groupe de black metal toulonnais, Blessed in Sin (Bénis dans le péché). Encore un hasard malheureux : deux de ses membres, les frères Magnoni, ont été condamnés pour les profanations de Toulon et diffusion de fanzines néonazis. Amandine aurait été ébranlée par ce tournant de l’instruction. La jeune femme, jugée très intelligente, « a perdu de sa superbe », selon une source proche de l’enquête. Elle ne s’exprime plus avec un fort accent allemand, comme lors de sa première audition. Son compagnon a également paru déstabilisé. Visiblement, il semblait découvrir ces liens. Peut-être sera-t-il amené à réfléchir aux circonstances de sa rencontre avec Amandine. Pourquoi est-elle venue en Bretagne ? Venait-elle en mission, pour implanter un réseau dans la région ? Des investigations sont en cours.
Procès en sorcellerie ?
L’avocat de la jeune femme conteste ce scénario. « Ce n’est pas parce qu’Amandine aime certains groupes de black metal qu’elle partage la philosophie de leurs membres. Tous ceux qui apprécient Baudelaire n’approuvent pas l’usage des drogues, raille M e Daniel. Que cherche-t-on ? Les procès en sorcellerie n’existent plus ! Et pénalement, cela n’apporte rien aux charges retenues contre elle. » Étrange Amandine. Quand il quitte précipitamment Saint-Thurien, début février, alors que la série de profanations fait la une des médias, le couple organise, malgré tout, son départ dans les règles. L’agence est prévenue, l’employeur de Ronan aussi. Officiellement, le couple rencontre de gros soucis financiers. Il rejoint le domicile des parents de Ronan, près de Nantes. En moins d’une semaine, Amandine s’inscrit en intérim. Elle trouve même un travail. Et quand elle est interpellée, son premier coup de fil est pour… son employeur. Pour le prévenir qu’elle ne pourra pas venir ! Troublant pour une jeune femme censée être manipulatrice et adepte du diable.
Macabre « lune de miel »
Pour l’heure, en prison, Amandine et Ronan s’écrivent tous les jours. Plusieurs fois par jour. Tous les deux portent le même pendentif : un marteau de Thor. Dans la mythologie nordique, c’est un symbole de protection. Un signe que l’on traçait au-dessus des couples qui venaient de s’unir par les liens du mariage. Pour Amandine, c’est aussi la marque de sa « haine des religions ». Subjugué par sa compagne, mal dans sa peau, Ronan n’aurait fait que la suivre. C’est du moins ce qu’estiment certains membres de la famille du jeune homme. Certains soirs, le couple parcourait jusqu’à 300 km pour repérer les cimetières et les chapelles où ils allaient ensuite frapper. « Ou je mettais fin à mes jours ou j’extériorisais cette violence que j’avais en moi », a expliqué Ronan aux enquêteurs. Pour lui, cette affaire est une histoire d’amour. Ce périple macabre dans les cimetières et les églises, c’était un peu leur « voyage de noces ». La « lune de miel » de deux paumés.
(*) Le black metal a sa branche « politique » : le National socialist black metal. Un courant ultra-minoritaire qui, lui, n’hésite pas à passer à l’action. Comme Vikernes, Mignoni et consorts.