Une tragique loi des séries, sur fond d’alcoolisation excessive. En 2010-2011, à Lille (Nord), cinq corps sont repêchés dans la Deûle à quelques mois d’intervalle. A l’époque, les autorités réfutent tout lien entre ces décès. Six ans plus tard, au terme d’une discrète enquête, trois personnes ont été mises en examen la semaine dernière pour «violences volontaires ayant entraîné la mort». Trois militants de l’ultra-droite soupçonnés d’avoir poussé à l’eau Hervé Rybarczyk, 42 ans, le cinquième et dernier de ces «noyés de la Deûle». Guitariste du groupe Ashtones, il avait disparu de retour d’un concert, dans la nuit du 11 au 12 novembre 2011. Son corps avait été retrouvé immergé, sur la commune de Loos, dix jours plus tard.
L’enquête confiée à la police conclut alors au suicide. Une thèse réfutée par les proches de la victime. Plus largement, une majorité de Lillois ne croient pas à l’époque au hasard pour expliquer cet enchaînement de noyades. En 2014, faute de preuves, les dossiers sont refermés par la justice.
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Un an plus tard, un nouveau juge d’instruction se penche à nouveau sur ces cinq affaires. C’est par le biais de Jérémy Mourain que l’enquête a redémarré. Placé en détention provisoire dans un autre dossier, cette figure de l’extrême droite a fondé en Picardie le White Wolves Klan, un groupe de «loups blancs» néonazis reconnus coupables de multiples violences et délits. Dix-huit de ses membres ont été jugés fin mars devant le tribunal correctionnel d’Amiens (Somme), Mourain écopant de la peine la plus lourde, neuf ans de prison.
Incarcéré, Mourain dispose d’un portable clandestin, qui est placé sur écoute. A l’un de ses interlocuteurs, il explique qu’il lui a fallu «tuer un homme», à Lille. Et de confier son inquiétude : «Pourvu que le juge n’aille pas chercher trop loin dans ma période lilloise.»
Un crime commis pour impressionner le skinhead Serge Ayoub ?
Sur ce mystérieux crime, deux témoins se font plus précis. Mathieu D., un membre du groupe, évoque spontanément devant les gendarmes un homicide. Un crime commis pour impressionner Serge Ayoub, figure tutélaire du mouvement skinhead. Mourain rêve en effet d’intégrer les Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR), le bras armé de Troisième Voie, le mouvement d’Ayoub, dissous en 2013.
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Le même témoin évoque l’implication dans ce crime de Yohann M., membre des JNR et «parrain» de Mourain dans le cadre de son accession au groupe. Kévin P., autre «loup blanc», atteste devant les enquêteurs que Mourain «devait taper deux personnes». «Après, il les avait jetées dans le canal.»
De source proche de l’enquête, on concède que «les propos de Mourain» — dont l’avocat n’a pas donné suite à nos sollicitations – «ont permis de remonter aux agresseurs présumés d’Hervé Rybarczyk, mais pas de le mettre lui-même directement en cause». En revanche, selon nos informations, Yohann M. serait l’un des trois mis en examen, ce que se refuse à confirmer ou infirmer le parquet de Lille.
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Cette autre figure de l’extrême droite nordiste avait été impliquée en 2013 dans l’agression de plusieurs clients du Vice & Versa, un bar gay du centre de Lille. Des faits qui lui avaient valu d’être condamné la même année. «Depuis, il s’était amendé, explique une de ses connaissances. Il semblait regretter ses dérives.»
Yohann M. a-t-il été rattrapé par son passé ? S’il reconnaît l’appartenance de ce dernier aux JNR, Serge Ayoub conteste fermement toute implication. «Un rituel de passage ? C’est n’importe quoi, balaie l’intéressé. Vous imaginez si chacun des membres des JNR avait dû tuer quelqu’un ? Et en plus des inconnus !» Lui-même poursuivi – et relaxé – dans le procès des «loups blancs», Ayoub reconnaît avoir croisé Yohann M. à plusieurs reprises mais voit en lui et Jérémy Mourain «des pieds nickelés déchaînés».
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Pour l’instant, difficile d’établir le scénario précis de la mort d’Hervé Rybarczyk, chacun des trois mis en cause, placés en détention provisoire, se renvoyant la balle. Selon l’édition lilloise de «20 Minutes», il y aurait préméditation, les auteurs ayant préalablement enlevé la puce de leur téléphone portable avant de s’en prendre au guitariste. En l’état actuel des investigations, qui se poursuivent, aucun lien n’a pu être établi avec les quatre autres disparitions. «Plusieurs de ces victimes avaient un point commun, analyse un connaisseur du dossier. Elles étaient liées d’une manière ou d’une autre à la communauté gay.»