Si vous rêviez d’entendre le rappeur Médine crucifier la laïcité et vomir en chantant sur Charlie au Bataclan, c’est trop tard. Tous les billets sont déjà vendus. Le spectacle affiche complet. On espère que le pourcentage récolté permettra au moins de réparer les derniers impacts de balles sur la moquette et laver le sang séché. En revanche, on ne voit pas bien comment nettoyer cet immense glaviot lancé à la figure des victimes.
Moins de trois ans après les attentats de Paris, cette affiche résume à elle seule le renoncement d’une partie du pays à mener la bataille culturelle et morale contre l’islamisme.
Ainsi le Bataclan, qui a refoulé des membres du groupe Eagles Of Death Metal en raison de propos polémiques, ne montre pas la même exigence envers le rappeur Médine. Que des marchands de salle touchés par un tel drame ne voient pas l’énormité de programmer un tel chanteur laisse sans voix. Qu’on ne puisse même pas s’en émouvoir sans entendre de mauvaises langues crier à la censure ou au racisme, comme le tragico-comique Yassine Belattar, promu conseiller par l’Elysée, permet de mesurer l’emprise du syndrome de Stockholm qui nous gagne et nous ronge. Les djihadistes renonceraient à commettre des actes d’une telle cruauté s’ils renforçaient notre détermination. Heureusement pour eux, chaque fois qu’ils frappent, il se trouve des supplétifs pour finir leur travail et nous désarmer en nous culpabilisant.
Le rappeur Médine fait partie de ces agents de désarmement culturel. Ses chansons et son album Jihad intoxiquent les oreilles de toute une jeunesse, la monte contre une autre, contre son pays, contre elle-même. Quand il ne pose pas en tendant le bras façon quenelle, il fredonne « Crucifions les laïcards comme à Golgotha ». Voilà pour le credo. Et voici le couplet : « Ils n’ont ni Dieu ni maître à part maître Kanter. Je scie l’arbre de leur laïcité avant qu’on ne le mette en terre. »
Dans ses clips, les hommes portent la barbe longue et les femmes, le niqab. Dans son monde, il y a les musulmans et les autres : « On ira tous au paradis, tous au paradis on ira. On ira tous au paradis, enfin seulement ceux qui y croient. » Et, bien sûr, il y a la loi et au-dessus la charia : « En me référant toujours dans le saint Coran. Si j’applique la charia, les voleurs pourront plus faire de main courante. »
L’homme ne se contente pas de rapper en chœur avec les intégristes. Il a cofondé une association, Havre de savoir, qui justifie la haine contre les yézidis, cette minorité religieuse persécutée par Daech. Dans une vidéo postée sur Internet, son principal animateur explique à ses ouailles qu’ils adorent Satan, ne descendent pas d’Adam et Eve, et sont donc en dehors de l’humanité… En plein génocide ! C’est permis, au nom de la liberté, de s’exprimer et de s’associer. Mais faut-il vraiment l’encourager ? Il se trouve des « responsables » pour légitimer cette propagande. La mairie du Havre de l’actuel Premier ministre leur a prêté des salles pour se réunir et donc recruter.
Le rappeur Médine a aussi pu compter sur la complaisance de Jean-Louis Bianco, conforté à la tête de l’Observatoire de la laïcité par ce gouvernement, malgré sa collaboration active avec tous les antilaïques. On se souvient de cet appel porté par l’observatoire en compagnie du rappeur Médine et de groupes islamistes qui exigeait de s’unir contre les amalgames – des « laïcards » ? – juste après les attentats du Bataclan. Devant l’émotion suscitée, Jean-Louis Bianco a défendu l’humour noir du rappeur en expliquant : Charlie dit « bien pire ». Il a gardé son poste.
Quelle misère politique. Ne l’appelez plus syndrome de Stockholm, mais syndrome du Bataclan.
Un sursaut moral suppose une vraie mobilisation culturelle contre le fanatisme. Au lieu de quoi, le Bataclan a rouvert pour mieux programmer Médine, l’Observatoire de la laïcité le défend comme moins pire que Charlie, le Parti de gauche – censé défendre la séparation – a fait élire une députée qui multiplie les conférences avec le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF, principale association de lutte contre la laïcité), et l’Union nationale des étudiants de France (Unef, réputée former une jeunesse progressiste) se fait représenter par une femme qui porte le voile de la pudeur et de la soumission à Dieu. A croire que les djihadistes ont bien raison de nous frapper. Plus ils cognent, plus les digues censées leur résister semblent s’enfoncer.
Caroline Fourest
Marianne, 16/6/18