La Nouvelle Droite et le nazisme. Retour sur un débat historiographique
Première parution : Stéphane François, « La Nouvelle Droite et le nazisme. Retour sur un débat historiographique », Revue Française d’Histoire des Idées Politiques, vol. 46, n°2, 2017, pp. 93-115.
[…] Nous devons garder à l’esprit que les thèses grécistes ont été reprises par des milieux forts éloignés de ses positions idéologiques : un certain nombre de thèmes développés par la Nouvelle Droite ont été retraduits, radicalisés et réutilisés par des groupuscules d’extrême droite, notamment néonazis, dans une optique différente, ou opposée, de celle du GRECE, comme le reconnaît Pierre-André Taguieff :
« Si, à bien des égards, le modèle du “néo-racisme” culturel et différentialiste permet d’éclairer l’argumentation de la “Nouvelle droite” jusqu’au milieu des années 1980s, il convient d’insister sur un processus souvent observé en histoire des idées : les représentations et les arguments forgés par le GRECE dans les années 1970 lui ont progressivement échappé, étant repris, retraduits et exploités par des mouvements politiques rejetant l’essentiel de sa “vision du monde”. Il s’agit donc d’éviter d’attribuer au GRECE les avatars idéologiques et politiques de certaines composantes de son discours, et plus particulièrement de son discours des années 1970.[66] »
Une autre difficulté pour le chercheur réside dans le fait que les discours néo-droitiers ont été réutilisés/recyclés par différents groupuscules nordicistes occidentaux contemporains. Des groupuscules qui ne partagent pas pour autant, bien au contraire, la vision du monde de la Nouvelle Droite. La récupération et la déformation des idées grécistes sont particulièrement visibles dans le cas des nationalistes-révolutionnaires et des identitaires. Ainsi, le magazine identitaire et néonazi, racialiste et antisémite, Réfléchir et Agir, dont les animateurs se considèrent comme les disciples de Saint-Loup et de Terre et Peuple des anciens grécistes Pierre Vial, Jean Mabire (décédé en 2006) et Jean Haudry, affirme faire partie de la « Nouvelle Droite païenne »[67]. Nous ne pouvons donc pas considérer la Nouvelle Droite dans son ensemble comme relevant du néonazisme, ni qu’elle est une résurgence de celui-ci. Ainsi, Pierre Milza, contrairement à ce qu’il affirmait en 1985, estime actuellement que le discours de la Nouvelle Droite des années 1980 n’est pas une nouvelle version « plus ou moins aseptisée du national-socialisme ». En effet,
« Les éléments de référence, écrit-il, ne manquent pas : une conception de l’histoire reliée au mythe aryen, un néo-paganisme rejetant l’héritage judéo-chrétien, une raciologie fondée à la fois sur l’anthropologie physique, la “psychologie des peuples” et la théorie des “génies créateurs de civilisations”, l’attachement au passé nordique de l’Europe, à l’esthétique wagnérienne, à un hellénisme repensé par la culture allemande (la statuaire d’Arno Breker occupe une place de choix dans le “musée imaginaire” de la Nouvelle Droite), etc. : tout cela est présent dans les deux cultures politiques, mais avec des différences d’intensité et d’intentionnalité telles qu’il serait inexact et injuste de réduire la pensée néo-droitière de cette époque à une résurgence du nazisme parée des oripeaux de la respectabilité.[68] »
La Nouvelle Droite se place, outre la filiation « révolutionnaire-conservatrice », plutôt dans celle de l’anthropologie raciale anglo-saxonne : ses militants se réfèrent à un courant à la fois progressiste et inégalitaire de l’ethnologie développé en Occident au xixe siècle, comme l’a mis en évidence Michael Billig dans un ouvrage important, L’Internationale raciste. De la psychologie à la « science des races », paru en 1981[69]. Selon lui, Nouvelle École était « fermement mariée à la tradition de la science de la race et de la politique de la race [et mélange] les vieilles traditions de la science de la race (incluant Günther et autres théoriciens nazis) avec celle des héritiers actuels de Galton »[70]. Cette question du racialisme est très importante car elle marquera profondément la vision qu’auront par la suite les observateurs de la Nouvelle Droite, mais aussi certains militants d’extrême droite. En effet, celle-ci a du mal à se débarrasser de l’image de théoriciens racialistes. Pour une raison légitime, d’ailleurs : le racialisme est encore défendu par certains dissidents (Faye, Vial, Haudry notamment). Pourtant, les références national-socialistes ont progressivement disparu de la Nouvelle Droite, à l’exception notable de la tendance identitaire, nordiciste et néopaïenne, que nous avons appelé ailleurs « folkiste »[71]. Elles se retrouvent par exemple chez Pierre Krebs, actuel compagnon de route du groupuscule identitaire Terre et peuple. Krebs édite tous les ans un petit almanach, très luxueux, à l’esthétique très national-socialiste : runes, soleil noir SS, représentations de divinités germano-scandinaves et celtes, photos de statues de Breker, photos de nazis et d’identitaires comme Pierre Vial, etc. Au-delà de la question néo-droitière, le nordicisme reste une référence importante constante de l’extrême droite, des néo-droitiers proches des courants dits identitaires aux néo-nazis.